Les demandeurs d’emploi bourrent leur CV de mots à la mode pour qu’ils passent les filtres des systèmes automatisés. Mais les humains qui finissent par les lire ne sont pas impressionnés.

Le CV de deux pages est désormais la norme, le double d’il y a cinq ans, selon le créateur de CV LiveCareer, qui a analysé une base de données de 50 000 CV et a constaté que les longues énumérations de compétences expliquent l’inflation textuelle. Les expressions « gestion du temps » et « esprit critique » reviennent souvent.

Certains recruteurs s’impatientent.

« Je n’ai pas le temps de faire le tri entre la substance et la frime », affirme Katie Birkelo, première vice-présidente chez le recruteur Randstad. Selon elle, les énumérations tape-à-l’œil de compétences sont plus déroutantes qu’autre chose et créent un soupçon ou mènent directement à un « non ».

PHOTO CHRISTOPHER ALUKA BERRY, ARCHIVES REUTERS

Des chercheurs d’emploi lisent des descriptions de tâches lors d’une foire de l’emploi à Roswell, en Géorgie.

Ce déluge de mots-clés dans les CV a commencé quand les recruteurs et les employeurs ont adopté en masse les filtres automatisés durant la pandémie. La section « compétences » des CV a gonflé avec deux nouvelles approches dans la sélection : l’embauche basée sur les compétences (ce que les candidats potentiels savent réellement faire, et non leurs titres d’emploi précédents) et l’intelligence artificielle (IA) appliquée au recrutement.

Pour LiveCareer, l’allongement des CV est une amélioration. Le groupe encourage les candidats à suivre des formations techniques « dures » comme Python et JavaScript, et d’ajouter des compétences « douces » comme le leadership et l’écoute active pour « donner une vision plus holistique » de ce qu’ils apportent.

Le CV court se fait rare

Les jeunes dérogent aussi à l’ancienne règle d’or du CV court (une page) : ils pensent que certaines compétences seront retenues par les filtres de l’IA, explique Jannette Swanson, orienteuse au Vassar College, à Poughkeepsie, dans l’État de New York. « Ils s’essaient à ce jeu-là », dit-elle. (Selon la Society for Human Resource Management, un employeur sur quatre utilise l’IA en ressources humaines, principalement pour l’embauche.)

Donovan Harris, 27 ans, stratège en communication à Washington – il a mis « conception du message » et « communication » dans son profil LinkedIn –, dit qu’empiler des compétences dans son CV l’a aidé à décrocher des emplois. « Ces mots-clés vous permettent de mettre un pied dans la porte, c’est clair. Je sais que mon profil est sorti du lot grâce à des mots-clés ou à des compétences inscrites sur LinkedIn. Des recruteurs m’ont contacté à cause de ça. »

Depuis les licenciements massifs opérés par de grandes sociétés et le ralentissement du marché de l’emploi, certains postulants malchanceux ont décidé de bourrer leur CV de compétences additionnelles.

Comme personne ne les appelle, ils se disent : ""OK d’abord, je vais en rajouter une couche. »

Jannette Swanson, orienteuse au Vassar College

Mark Saltrelli, vice-président du recrutement chez Kelly Engineering, reconnaît l’absolue nécessité d’inclure dans son CV des compétences comme Java et Excel, surtout dans le secteur techno. Mais à force d’en empiler, on risque de doper son profil, et les candidats doivent s’attendre à ce que recruteurs et employeurs mettent leurs compétences à l’épreuve, dit M. Saltrelli, qui fait passer des examens de codage avant l’embauche pour s’assurer que les candidats n’ont pas enjolivé leur CV.

« N’allez pas mettre quelque chose parce que vous avez entendu le mot quelque part ou parce que c’est en forte demande, dit M. Saltrelli. Si la liste des compétences n’a pas de sens par rapport à l’expérience professionnelle, ça va allumer un voyant rouge. »