«Je suis un républicain libertaire», écrit à plusieurs reprises Alan Greenspan dans Le temps des turbulences, qui paraît en français aux éditions JC Lattès.

«Je suis un républicain libertaire», écrit à plusieurs reprises Alan Greenspan dans Le temps des turbulences, qui paraît en français aux éditions JC Lattès.

Au long de quelque 640 pages, celui qui a été considéré comme l'homme le plus puissant de la planète durant les quelque 18 ans qu'il a passés au timon de la Réserve fédérale américaine se raconte et pose un diagnostic sur les défis économiques des 20 prochaines années.

Pour résumer la différence entre une économie socialiste et une autre capitaliste, Alan Greenspan rappelle les tracteurs bringuebalants qui labouraient les champs de l'ex-Union soviétique alors qu'il rendait visite à son président Mikhaïl Gorbatchev.

«Dans la première, il n'y a pas de destruction créatrice, d'incitation à construire de meilleurs outils.»

Seulement voilà, la destruction créatrice, concept développé par l'économiste Joseph Schumpeter, dérange. Elle bouscule le besoin inné de sécurité des humains au point où plusieurs en viennent à renoncer à un bien-être accru au profit d'un confort connu.

C'est à coup sûr une des résistances au progrès les plus vivres auxquelles sont confrontées les sociétés qui protègent les droits de propriété comme les nôtres, plongées dans la mouvance de la mondialisation.

Disciple d'Adam Smith et adversaire acharné de l'interventionnisme de l'État, l'homme qui faisait vibrer les marchés à coups de 25 ou 50 centièmes de pourcentage en plus ou en moins sur les taux d'intérêt affirme son credo dans l'initiative individuelle récompensée pour assurer le progrès du plus grand nombre.

«Je considère que le droit à la propriété garanti par l'État est la clé du principe de développement, écrit-il. Les gens ne feront pas l'effort de constituer le capital nécessaire à la croissance économique s'ils n'en deviennent pas les propriétaires.»

Cela suppose trois conditions: l'ampleur de la concurrence interne et l'intégration dans le commerce mondial; la qualité des institutions qui garantissent le fonctionnement d'une économie et la capacité des gouvernants à appliquer les mesures nécessaires à la stabilité macroéconomique.

C'est ici qu'entre en scène son rôle à la présidence de la Réserve fédérale, garante de la stabilité des prix, elle-même rempart essentiel contre l'érosion du capital.

Entré en fonction une dizaine de semaines avant le krach d'octobre 1987 où la moyenne Dow Jones a fondu de plus de 20% en une seule journée, Greenspan affirme que c'est là l'exemple typique d'un comportement irrationnel qui se produit parfois sur les marchés.

Il doute qu'il ait été causé par les transactions électroniques comme d'aucuns l'ont avancé. On aurait pu fermer les machines, argue-t-il. Vingt ans après, à ses yeux, ce krach échappe à toute explication raisonnable, mais c'était un sacré bon baptême du feu pour un banquier central.

Il explique les décisions délicates que la Fed a dû prendre à la faveur d'incidents conjoncturels ou de précédents historiques: chute du mur de Berlin, implosion de l'URSS, guerre du Golfe, crise asiatique, du peso mexicain, faillite de la Russie et des fonds spéculatifs Long Term Capital Management, bogue de l'an 2000, techno-krach

Greenspan passe aussi en revue, surtout sur le mode anecdotique, ses rapports avec les quatre présidents américains qu'il a côtoyés durant son long règne à la Fed. De Ronald Reagan qui l'a nommé, il dira simplement qu'il s'intéressait assez peu aux questions économiques.

Malgré ses longs états de services avec les républicains, c'est surtout avec le démocrate Bill Clinton qu'il se sera le mieux entendu. D'abord parce qu'il n'a jamais remis en cause l'indépendance de la Fed. Ensuite, parce qu'il s'intéressait beaucoup aux transformations de l'économie induites par les technologies de l'information.

Le sujet a passionné Greenspan lui-même, un des premiers à comprendre que les gains de productivité qu'elles engendraient ne généraient pas d'inflation. Enfin parce que Clinton a pris la mesure des dangers des dérapages budgétaires. Il a d'ailleurs terminé son mandat avec des surplus.

Il conserve en revanche une certaine amertume des années de la présidence de son prédécesseur George Bush. Celui-ci lui a tenté de lui faire porter l'odieux de sa défaite de 1992 parce que la Fed s'était centrée sur la lutte contre l'inflation alors que l'économie traversait une récession. Fin 1992, rappelle Greenspan, la reprise était bien amorcée.

Enfin, il reste très distant de la présente administration en qui il avait pourtant fondé bien des espoirs. Après tout, le vice-président Dick Cheney, et l'ex-secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld ne faisaient-ils pas partie tout comme lui du cabinet de Gerald Ford?

Entre leurs deux mandats, ces gens auront changé, suggère-t-il, bien qu'il soit garant au président George W. Bush de ne pas avoir critiqué sa conduite de la Fed.

Août 1998: la Russie en crise

«Sur un marché, la panique est semblable à l'azote liquide elle peut rapidement tout geler. Et, effectivement, les études effectuées par la Fed montraient déjà que les banques hésitaient de plus en plus à prêter».

«Il ne fut pas nécessaire d'argumenter pour décider le FOMC à baisser les taux d'intérêt. Nous l'avons fait trois fois coup sur coup entre le 29 septembre et le 17 novembre. (...) Lorsque la Russie se trouva en cessation de paiements, les modèles mathématiques de la Fed montrèrent qu'il était extrêmement probable que la croissance se poursuive à un rythme soutenu aux États-Unis malgré les problèmes de la Russie et sans intervention de la Fed.»

«Nous avons tout de même choisi de baisser les taux d'intérêt en raison du risque, minime mais réel, que la défaillance des Russes perturbe suffisamment les marchés financiers pour affecter gravement les États-Unis»

La bulle immobilière

«Les booms engendrent les bulles, comme les propriétaires d'actions des start-up internet l'ont appris à leurs dépens. Nous dirigeons-nous vers un krach immobilier douloureux? Cette inquiétude a commencé à se manifester sur les marchés les plus fébriles comme ceux de San Diego et New York, où les prix avaient monté en 2002 respectivement de 22 et 19% et où certains investisseurs commençaient à voir dans les maisons et les immeubles à logements le dernier moyen en date de faire rapidement fortune. (...)

«Je disais devant certains auditoires que nous avions affaire non à une bulle mais à une écume de nombreuses petites bulles locales qui n'atteignaient jamais une échelle suffisante pour menacer la santé de l'économie. Bulle ou écume, la fête se termina fin 2005, lorsque les prix devinrent hors de portée des nouveaux acquéreurs de logements.»

Le pétrole et l'Irak

«Que font les gouvernements dont les économies et les citoyens sont devenus lourdement dépendants des importations de pétrole lorsque l'approvisionnement devient incertain? L'attention du monde développé pour les affaires politiques du Moyen-Orient a toujours été lié de façon critique à la sécurité du pétrole. (...) Je déplore qu'il soit politiquement déplacé de reconnaître ce que tout le monde sait: l'un des grands enjeux de la guerre d'Irak était le pétrole de la région.»

«Par conséquent, les prévisions sur l'offre et la demande mondiales de pétrole qui ne prendraient pas en compte la grande instabilité du Moyen-Orient feindraient d'ignorer un gorille de 400 kilos qui, s'il était déchaîné, pourrait arrêter la croissance économique mondiale.»