Incapables de répondre aux appels de marge de leurs créanciers, plusieurs fonds alternatifs sont forcés de liquider des titres dont personne ne veut accentuant d'autant plus la crise de liquidités. Un véritable cercle vicieux.

Incapables de répondre aux appels de marge de leurs créanciers, plusieurs fonds alternatifs sont forcés de liquider des titres dont personne ne veut accentuant d'autant plus la crise de liquidités. Un véritable cercle vicieux.

La crise du crédit qui sévit depuis juillet fait de nouvelles victimes. Depuis un mois, elle rattrape les fonds de gestion alternative (hedge funds) et les banques d'investissement qui les ont financés.

Au moins une douzaine de grands fonds alternatifs ont été étranglés par leurs dettes. Et ce n'est pas terminé. «C'est sûr qu'on va en voir d'autres, beaucoup d'autres», prédit Vital Proulx, président de la firme de gestion Hexavest.

Il ne serait pas étonné que la crise du crédit signe l'arrêt de mort du quart des quelque 9500 fonds alternatifs qu'on dénombre à l'échelle mondiale.

«Ça va faire des journées folles à la Bourse», ajoute-t-il. Quand les fonds alternatifs doivent défaire leurs positions, cela cause tout un brasse-camarade sur les marchés.

Cercle vicieux

Plusieurs fonds alternatifs avaient emprunté massivement pour investir dans des titres qui se retrouvent aujourd'hui en pleine crise de liquidités. Plus personne n'en veut. Leur valeur a culbuté.

Les fonds alternatifs accusent donc de lourdes pertes, décuplées par les sommes empruntées pour surinvestir.

Ils reçoivent des «appels de marge» de la part de leurs courtiers. L'ultimatum est clair: vous ajoutez plus d'argent d'ici 48 heures ou nous liquidons vos positions.

C'est ce qui a tué Carlyle Capital la semaine dernière.

Ce fonds européen avait investi dans les titres adossés à des prêts immobiliers, des produits en eau trouble à cause de l'explosion des défauts de paiement sur les prêts à risque aux États-Unis (subprimes).

Or, Carlyle Capital avait pesé très fort sur le levier: en empruntant 32 fois sa mise de départ, il s'était constitué un portefeuille de presque 22 milliards de dollars.

À sec, Carlyle était incapable de rajouter près d'un demi-milliard réclamé par ses créanciers qui ont été forcés de saisir ses actifs, afin de les liquider.

Parmi la douzaine de créanciers, se trouve justement Bear Stearns qui a évité la faillite de justesse dimanche dernier. La banque d'affaires a finalement été rachetée pour une bouchée de pain par JP Morgan Chase, avec l'aide de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Bear Stearns était l'un des plus importants courtiers désignés (prime broker) de l'industrie des fonds alternatifs. Les autres grands acteurs sont Morgan Stanley, Goldman Sachs, Lehman Brothers

«Les courtiers eux-mêmes éprouvent des difficultés de financement. Ils deviennent beaucoup plus sévères», note Jacques Lussier, vice-président chez Desjardins Gestion d'actifs.

Ils haussent les coûts d'emprunt ou ferment carrément le robinet du crédit aux fonds alternatifs qui sont forcés de démonter leur effet de levier, de défaire leurs positions.

«Plus ils sont forcés de vendre, plus la valeur de leurs titres baisse, même en dessous de leur valeur réelle», explique M. Proulx. Des «ventes de feu» qui pèsent sur le marché et sur le bilan des banques qui ont aussi des titres adossés à des prêts hypothécaires.

«Jusqu'à maintenant, les dévaluations d'actifs liés aux subprimes ont retranché environ 188 milliards aux profits des banques et des courtiers au niveau mondial», note Mathieu D'Anjou, économiste d'expérience aux Études économiques Desjardins. Et les pertes pourraient atteindre 400, voire 600 milliards.

Pour absorber ces pertes, les banques doivent recapitaliser leur bilan. Comme des éponges, elles absorbent toutes les liquidités que les banques centrales injectent. Et elles resserrent encore plus leurs conditions de crédit.

Le téléphone sonne chez les fonds alternatifs: appel de marge, liquidation, etc.

C'est un véritable cercle vicieux.

Avec le temps

Pour rétablir la situation, certains comptent sur l'intervention de la Fed, qui a d'ailleurs abaissé ses taux de 0,75% cette semaine. Mais la Fed ne peut pas toujours sauver les meubles.

En 1998, la Fed avait orchestré le sauvetage de Long Term Capital Management (LTCM), un fonds alternatif coincé par la crise en Russie. Mais à l'époque, on comptait 3200 fonds alternatifs, dotés d'un actif de 210 milliards.

Dix ans plus tard, on en dénombre 9500 et leur valeur marchande dépasse 1500 milliards. Sept fois plus!

La crise a bien plus d'ampleur. «Les banques centrales ne seront pas assez puissantes», estime M. Proulx.

«On va s'en sortir, mais ça va prendre du temps. Même si les banques centrales baissent leur taux directeur à zéro, il faudra attendre que les banques assainissent leur bilan», dit M. Proulx.

«Pour la première fois, on va entrer en récession avec un système bancaire affaibli», souligne le gestionnaire. Normalement, les banques ont accumulé des années de profit lorsque le repli économique survient.

Elles ont un bilan en béton. Elles peuvent encaisser les pertes si leurs clients tombent en défaut de paiement.

Cette fois, les investisseurs seront surpris de voir les banques déjà ébranlées. Cela mènera peut-être à la capitulation boursière, dit M. Proulx, ce moment où tout est noir, où le pessimisme atteint son comble et où la Bourse peut enfin rebondir.