Malgré les conseils de sa thérapeute, Jeanne Bélanger n'a jamais pu se résoudre à détruire le dossier qui lui a empoisonné la vie. La semaine dernière, quand l'affaire Oasis a éclaté, elle l'a récupéré dans le haut d'une penderie.

«L'Oasis de la santé enrg», établissement de massages et soins esthétique qu'elle avait fondé en 1988 à Terrebonne, c'était le rêve de Mme Bélanger. Sa création, sa fierté, son gagne-pain. Tout s'est écroulé en mars 2000 après une lutte épuisante. C'était il y a 12 ans, mais la cicatrice n'est pas complètement refermée.

«Après, j'ai fait une grosse dépression», glisse la femme, aujourd'hui âgée de 60 ans.

Mme Bélanger est passée à une autre étape de sa vie. De son côté, Lassonde assure que sa façon de faire a changé depuis 2004.

Ce sont des clients et des amis qui ont téléphoné à Mme Bélanger la fin de semaine de Pâques, pour lui dire de regarder dans La Presse, qu'elle allait y trouver son histoire. Il s'agissait bien sûr de l'affaire qui a opposé le fabricant des jus Oasis aux savons Olivia's Oasis, qui s'est conclue de manière inattendue, après une levée de boucliers sur les réseaux sociaux. Malgré un jugement de la Cour d'appel qui lui donnait raison, Lassonde a dédommagé la fondatrice d'Olivia's Oasis, Deborah Kudzman, pour ses frais juridiques.

Un dossier à la Cour fédérale

Même si elle en brûle d'envie, Jeanne Bélanger ne peut parler publiquement de son histoire avec Lassonde, car elle est liée par un document qu'elle a signé en 1999. Lassonde a refusé de relever madame de son engagement. Les renseignements sur le combat judiciaire dont il est question ici, proviennent donc d'autres sources, notamment du dossier bien garni de la Cour fédérale. On y apprend que c'est en décembre 1995, que Lassonde a envoyé une première mise en demeure à Mme Bélanger, pour l'aviser de cesser d'utiliser le mot Oasis dans sa raison sociale. On suppose que Mme Bélanger a résisté, car en mai 1996, Lassonde a intenté une action en contrefaçon de marque de commerce et en concurrence déloyale contre elle. En plus de ses propres produits, Lassonde mettait sous licence d'autres entreprises qui avaient le mot «oasis» dans leur raison sociale, ce qui élargissait sa mainmise.

Conflit d'intérêts

Mme Bélanger a embauché quatre avocats, l'un à la suite de l'autre. Le troisième, Jean-François Buffoni, la défendait vigoureusement. Dès son entrée dans le dossier, en septembre 1996, il a rappelé qu'oasis était un nom commun du dictionnaire, et a reproché à Lassonde ces fameuses licences qui, «selon toute vraisemblance et conformément à une stratégie bien connue, sont des contrats de pure complaisance, accordés à titre gratuit ou pour un prix dérisoire... Le portefeuille de licences factices et à bon marché dont se réclame la demanderesse, ne peut avoir et n'a pas pour effet d'étendre l'aire de protection restreinte...», écrivait-il.

À l'été 1997, Me Buffoni a été contraint de se retirer du dossier, à la suite de pressions des avocats de Lassonde. Ces derniers estimaient qu'il était en conflit d'intérêts, parce que le grand cabinet Martineau Walker où il était, comptait parmi ses clients un nouveau licencié de Lassonde: Oasis Esthétique Distribution inc., distributeur de produits de beauté. Par ailleurs, Mme Bélanger avait porté son combat dans l'arène médiatique en s'adressant à J.E, ce qui inquiétait le fabricant de jus. Dans une déclaration visant à faire sortir Me Buffoni du dossier, Jean Gattuso, alors vice-président exécutif de Lassonde, a écrit, le 3 juin 1997:

«Il est d'autant plus important que la défenderesse (Mme Bélanger) ne puisse obtenir les informations confidentielles de la demanderesse (Lassonde) car, à la lumière de ma conversation téléphonique avec le journaliste de TVA, Mme Bélanger étale sur la place publique la présente affaire et les informations qu'elle obtient sur la demanderesse (Lassonde).»

Me Buffoni s'est retiré du dossier. L'émission J.E. a été diffusée, mais, il n'y a pas eu de suite. En avril 1999, Lassonde s'est désisté de son recours.

Mme Bélanger a fait faillite moins d'un an plus tard.

Jeanne Bélanger a mis du temps à se relever de tout cela, mais elle y est parvenue. Aujourd'hui, selon son entourage, elle est redevenue une dynamo, toujours passionnée par son métier. Mais plus question pour elle d'ouvrir une entreprise. Désormais, elle travaille sous son propre nom, sans raison sociale.

Au terme d'un litige, Oasis Esthétique Distribution inc. a accepté de devenir licencié de Lassonde. Combattre aurait coûté trop cher, estime son président, Andreas Ernst. L'entreprise a conservé son nom. M. Ernst affirme que ça ne lui a jamais causé de problème, et que Lassonde n'est jamais venu mettre le nez dans leurs affaires.