(Québec) Pour motiver ses dirigeants, Énergir liera une partie de leur rémunération à l’atteinte de ses cibles climatiques. Si la volonté politique et l’argent sont là, l’entreprise pourrait même réduire plus rapidement les émissions de gaz à effet de serre du secteur des bâtiments.

« L’idée est d’envoyer un message à la haute direction qu’on y croit. Mécaniquement, c’est relativement simple. En gros, c’est 25 % de la pondération du plan [de rémunération] à long terme qui dépend de cet objectif de décarbonation », affirme le président et chef de la direction d’Énergir, Éric Lachance, en entrevue avec La Presse.

Le distributeur de gaz naturel veut ainsi « démontrer le sérieux de son engagement climatique », peut-on lire dans son rapport 2021 sur la résilience climatique. L’entreprise dessert d’importants acteurs : ses clients émettent 11 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES).

Ces bonus, dit M. Lachance, seront liés à l’atteinte de cibles dans les secteurs de l’efficacité énergétique, du gaz naturel renouvelable et de la biénergie. Il veut prouver qu’Énergir fait partie de la solution pour décarboner l’économie québécoise. À terme, l’entreprise estime que le gaz naturel sera un produit de niche utilisé pour le chauffage des bâtiments lors des périodes de grands froids, et par les industries qui ne peuvent pas électrifier leurs procédés. Le mantra : avant « on vendait plus, maintenant, on vend mieux ».

Énergir souhaite que 10 % de son approvisionnement soit composé de gaz naturel renouvelable (GNR) en 2030. L’entreprise teste également son réseau pour voir s’il est possible d’y intégrer de l’hydrogène. Dans les deux cas, la production de GNR et la production d’hydrogène, Énergir est prête à investir pour devenir actionnaire. « On se donne le droit de participer à des projets de production », dit M. Lachance.

L’IGOPP emballé

François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), est emballé. « À l’IGOPP, on a toujours milité pour l’intégration de mesures autres que la rémunération liée à l’action, donc pour nous, ce sont de bonnes nouvelles d’entendre ça », souligne-t-il.

Il émet toutefois un bémol : « Pour que la motivation soit réelle, il ne faut pas avoir un avantage financier plus important à ne pas respecter nos cibles environnementales. Ça prend des objectifs qui ne sont pas en opposition, mais si on ficelle bien le package de rémunération, c’est extrêmement favorable pour nos objectifs en matière de réduction de GES. »

La tendance des bonis verts est une « pratique en pleine expansion », indique M. Dauphin, même si elle n’est pas « répandue à grande échelle en Amérique du Nord ». L’IGOPP estime que la moitié des grandes sociétés françaises ont des mesures environnementales intégrées dans la rémunération des hauts dirigeants, contre près du tiers au Canada.

Scénario net zéro

Autre nouveauté dans ce deuxième rapport : Énergir prépare un nouveau scénario, « Net zéro », arrimé sur l’objectif de limiter la hausse de la température à 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Pour l’instant, le gouvernement du Québec n’a pas l’intention d’augmenter sa cible de réduction des émissions de GES, qui se situe à - 37,5 % par rapport à 1990 en 2030, mais Énergir se prépare tout de même.

L’entreprise pourrait appuyer sur l’accélérateur de la lutte contre les changements climatiques s’il y a « une volonté et des moyens financiers » du gouvernement, dit M. Lachance.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Lachance, PDG d'Énergir

Si le gouvernement dit qu’on doit lever la barre dans [les secteurs] du bâtiment et de l’industrie, c’est là qu’on ajustera les leviers.

Éric Lachance, président et chef de la direction d’Énergir

La mesure phare d’Énergir, la biénergie, repose sur une entente avec Hydro-Québec pour électrifier en partie le chauffage de ses clients. Le gaz naturel ne serait utilisé qu’en période de pointe. « Le rythme prévu est de faire 1/15 des clients par année, mais il y a moyen d’accélérer. »

Énergir a également l’intention de « s’inscrire de manière cohérente dans une trajectoire carboneutre à l’horizon 2050 pour l’énergie distribuée à ses clients ».

L’entreprise offre aussi un scénario de gestion des risques climatiques. Par exemple, elle se prépare à un « impact potentiellement significatif » de la hausse du prix du carbone, qui se reflétera inévitablement sur les « tarifs des clients ». « C’est une menace qu’on garde à l’œil : le prix du carbone qui augmente, c’est une taxe sur les produits qu’on distribue », souligne M. Lachance. Le point de bascule est à 150 $ la tonne « pour faire bouger l’aiguille » de la rentabilité. Lors des enchères de novembre dernier, le prix média du marché du carbone Québec-Californie se situait à près de 40 $ la tonne.

En savoir plus
  • Émissions liées au gaz naturel
    Au Québec, les émissions liées à la consommation de gaz naturel s’élèvent à 12 millions de tonnes équivalent CO2, soit environ 15 % du bilan total des émissions de GES au Québec.
    Source : Whitmore, J. et P.-O. Pineau, 2021, État de l’énergie au Québec 2021