La France et le Canada demandent que la Russie soit exclue du système bancaire international Swift, l’Allemagne hésite et les États-Unis considèrent que c’est « une option ». Quel est cet outil très peu connu du commun des mortels qu’on présente comme « le réseau de messagerie bancaire le plus utilisé au monde » ? Quatre questions pour comprendre.

Qu’est-ce que Swift ?

Il s’agit d’une coopérative de banques, donc d’une société privée, fondée en 1973 pour permettre les transactions électroniques sécurisées entre ses membres. Swift (« prompt » en anglais) est l’acronyme pour Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication. Elle est établie à Bruxelles et relève donc des lois européennes.

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Siège social de Swift, à Bruxelles

« Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des banques dans le monde utilisent Swift », souligne Oliver Dorgans, avocat spécialisé dans les sanctions économiques dans une entrevue accordée au magazine français L’Obs.

Certes, les échanges bancaires existaient avant Swift, mais aujourd’hui, il y a toute une génération de personnel bancaire qui n’est formée que sur Swift.

Oliver Dorgans, avocat spécialisé dans les sanctions économiques

Comme facilitateur de transactions et intermédiaire bancaire, on peut comparer son fonctionnement à Interac ou à Paiements Canada. C’est par Swift que les quelque 11 000 institutions financières membres de 200 pays vont échanger des ordres de paiement et transférer des fonds de leur clientèle. En 2021, Swift a servi d’intermédiaire pour 10,6 milliards d’ordres dans le monde.

C’est elle qui est notamment à l’origine des Bank Identification Codes (BIC), code de 8 à 11 chiffres ou lettres qui est un identifiant propre à chaque banque. Le BIC de la Banque Nationale, par exemple, est BNDCCAMMINT et celui de Desjardins est CCDQCAMM. Ce sont ces BIC qui assurent que les fonds qui sont échangés entre pays aboutissent dans la bonne institution financière.

Quelle serait l’efficacité d’une exclusion de la Russie ?

Selon l’association russe regroupant les institutions membres de ce pays, appelée ROSSWIFT, quelque 300 banques et organisations dans 68 villes utilisent Swift. La Russie serait le deuxième pays en nombre d’utilisateurs après les États-Unis.

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Quelque 300 banques et organisations russes réparties dans 68 villes utilisent le système bancaire international Swift.

L’exclusion de Swift serait manifestement dommageable pour l’économie russe. Mais elle serait tempérée par le fait que la Russie a préparé son plan de rechange depuis 2014. Elle a notamment mis en place un système de cartes de crédit, Mir, et l’agence Akras pour les notations de crédit. Surtout, depuis 2017, le pays dispose de son propre système transactionnel interbancaire, SPFS, développé par la Banque centrale de Russie, auquel 400 banques russes ont adhéré. Le réseau SPFS a été intégré à son équivalent chinois, CBIBPS, et comptait, fin 2020, 23 banques étrangères provenant notamment d’Arménie, d’Allemagne, du Kazakhstan et de Suisse. L’exclusion de la Russie de Swift risque donc d’encourager le développement d’un système concurrent.

Pourquoi n’y a-t-il pas consensus à ce sujet au sein de l’OTAN ?

Tactiquement, « les avantages et les inconvénients peuvent se discuter », estime Guntram Wolff, directeur du centre de réflexion Bruegel interrogé par l’Agence France-Presse. « Opérationnellement, ce serait un vrai casse-tête. »

Les Allemands, notamment, sont très dépendants du gaz naturel russe. L’incapacité de la Russie d’exécuter des transactions via Swift les empêcherait techniquement d’en acquérir. Les Français, par contre, ont clairement manifesté leur volonté d’aller de l’avant avec l’exclusion. Les ministres des Finances européens ont demandé à la Commission européenne et à la Banque centrale d’évaluer les conséquences de ce geste.

Aux États-Unis, le président Joe Biden n’a pas encore tranché, se contentant de préciser que l’exclusion de Swift restait « une option ».

Au Canada, le premier ministre Trudeau a confirmé vendredi qu’il réclamait le retrait de la Russie de Swift, estimant que Vladimir Poutine ne pouvait menacer la paix et « s’attendre à bénéficier de la prospérité et des opportunités économiques » d’un tel réseau bancaire, a-t-il déclaré.

Swift est-elle obligée d’obéir aux décisions politiques ?

Non. En tant que société privée se décrivant comme neutre, Swift n’est pas théoriquement obligée d’obtempérer aux ordres des autorités politiques. Elle n’est cependant pas à l’abri des menaces de représailles : c’est ainsi qu’en 2012 et en 2019, elle s’est pliée à la demande des États-Unis d’interdire les transactions impliquant les banques iraniennes. Washington avait menacé d’étendre les sanctions à Swift si elle permettait les transactions iraniennes.

En 2014, le Royaume-Uni a demandé sans succès l’exclusion de la Russie.

Avec l’Agence France-Presse