(Ottawa) Un sous-gouverneur de la Banque du Canada a prévenu jeudi que la banque centrale devrait peut-être augmenter son taux d’intérêt directeur à 3,0 % ou plus pour s’assurer que l’inflation ne s’incruste pas dans le paysage économique.

« Nous avons peur que cette inflation ne s’enracine », a affirmé Paul Beaudry aux journalistes, jeudi après-midi.

Plus tôt, dans un discours destiné à la Chambre de commerce de Gatineau, Paul Beaudry a indiqué que la probabilité de voir les prix à la consommation grimper encore davantage signifiait que la banque centrale devrait peut-être pousser son taux directeur au moins à l’extrémité supérieure de sa fourchette « neutre », estimé entre 2,0 % et 3,0 %, où il ne stimule ni n’entrave la croissance.

« Les pressions sur les prix sont en train de se généraliser […] et l’inflation est bien plus élevée que prévu, et elle va sans doute monter encore avant de commencer à diminuer », a-t-il affirmé dans le texte de son discours.

« Il est donc plus probable qu’on doive amener le taux directeur près ou au-dessus de la limite supérieure de la fourchette du taux neutre pour rééquilibrer l’offre et la demande, et garder les attentes d’inflation bien ancrées. »

L’inflation annuelle a atteint 6,8 % en avril, enregistrant sa hausse la plus rapide d’une année à l’autre en 31 ans, alors que les prix des biens, de l’essence aux aliments, continuaient de grimper.

Le travail préparatoire pour des hausses plus importantes fait suite à la forte augmentation imposée mercredi par la banque à son taux de référence, pour le porter à 1,5 %. C’était la première fois que la banque centrale réalisait deux hausses consécutives d’un demi-point de pourcentage depuis qu’elle fait ces annonces à des dates fixes, en 2000. En avril, la banque avait augmenté le taux d’un demi-point de pourcentage à 1 %.

Selon M. Beaudry, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement pendant la pandémie ont duré plus longtemps que prévu, exacerbées par des évènements inattendus comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les confinements en Chine pour se protéger de la COVID-19, ce qui a forcé la banque à réagir rapidement pour mettre un frein à la flambée des prix.

M. Beaudry a noté que certains Canadiens estimaient que l’inflation se nourrissait déjà d’elle-même, entraînée par les attentes de biens encore plus coûteux alors que les salaires augmentent pour répondre à la hausse des prix. Mais les problèmes d’approvisionnement liés à la pandémie restent les principaux moteurs des hausses de prix, a-t-il soutenu, et des taux d’intérêt plus élevés équilibreront l’offre et la demande et atténueront les pressions inflationnistes.

La banque apporte des modifications à son taux d’intérêt de référence dans le but de contrôler l’inflation pour la garder le plus près possible du milieu de la fourchette comprise entre 1 % et 3 %. Les hausses de taux visent à refroidir les emprunts et les dépenses en augmentant le coût des prêts liés à l’indice de référence, y compris les prêts hypothécaires à taux variable.

« Plus l’inflation restera longtemps bien supérieure à la cible, plus elle risquera d’influencer les attentes d’inflation et de s’autoalimenter », a-t-il indiqué.

« L’histoire montre qu’une fois que l’inflation élevée s’est enracinée, il est difficile de la faire redescendre sans nuire fortement à l’économie. »

Des signes de ralentissement, mais peu d’optimisme

Les pressions mondiales et la faiblesse des taux de chômage au pays pousseront probablement l’inflation bien au-delà du taux précédemment prévu par la banque de près de 6 % pour le premier semestre de l’année, a estimé mercredi la banque.

M. Beaudry a précisé que les dépenses des ménages et des entreprises surchauffaient l’économie, bien que des signes de retombées des trois hausses de taux d’intérêt depuis mars soient déjà visibles, en particulier sur le marché de l’habitation.

Selon l’Association canadienne de l’immeuble, les ventes de maisons ont chuté de 12,6 % en avril par rapport à mars, et se situaient à plus d’un quart en dessous des chiffres d’avril 2021. L’indice des prix des maisons a baissé de 0,6 % d’un mois à l’autre.

« Nous pensons que nous pouvons en quelque sorte freiner cela sans nécessairement entrer dans une zone de type récession », a indiqué M. Beaudry aux journalistes.

L’optimisme au sujet de l’inflation n’est pas si répandu. Un sondage réalisé en mars par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a révélé que les propriétaires de petites entreprises s’attendaient à ce que leurs prix grimpent en moyenne de 4,7 % en 12 mois.

« C’est vraiment ce qui nous inquiète », a souligné M. Beaudry, faisant référence aux attentes d’inflation d’un à deux ans. « La bonne partie est que, à plus long terme — sur cinq ans — les gens ont bon espoir que nous le ramènerons. »

La banque assouplit également les mesures de relance de l’ère pandémique en poursuivant son soi-disant resserrement quantitatif, commencé en avril, qui fait en sorte que les obligations d’État qu’elle détient ne sont plus remplacées à leur échéance.

Lorsqu’on lui a demandé si Pierre Poilievre, considéré comme le favori dans la course à la direction du Parti conservateur fédéral, avait eu raison d’exiger le congédiement du gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, pour avoir agi comme le « guichet automatique » du gouvernement libéral, M. Beaudry a répondu : « Non […] Nous ne traitons pas dans les affaires de la politique. »

« Nous n’avons pas réussi à maintenir l’inflation à notre objectif, il est donc normal que les gens nous posent des questions », a-t-il ajouté.

La banque s’attend à ce que ses avoirs en obligations du gouvernement canadien, qui s’élevaient à 440 milliards à la fin de l’année dernière, chutent à 280 milliards d’ici la fin de 2023, soit une baisse de 35 % sur deux ans.