Un atterrissage en douceur de l’économie mondiale après la frénésie post-pandémie est maintenant moins probable, en raison de l’inflation persistante qui pousse toutes les banques centrales à relever de façon énergique les taux d’intérêt, affirme le vice-président et économiste en chef de Desjardins dans ses plus récentes prévisions.

« Tous les ingrédients sont réunis pour provoquer une récession au Royaume-Uni et en Europe, mais aussi au Canada et aux États-Unis, estime Jimmy Jean. La surprise, c’est qu’il y en a encore qui pensent qu’elle peut être évitée. »

Au Canada d’abord

Parce que l’endettement des ménages est parmi les plus élevés au monde, l’économie est plus vulnérable aux hausses de taux d’intérêt, rappelle l’économiste en chef de Desjardins. L’impact du resserrement monétaire se fait déjà sentir dans le secteur immobilier, et le taux de chômage a commencé à remonter.

« Après l’immobilier et la construction, l’impact reste à venir dans les autres secteurs économiques, comme la consommation », prévoit-il, parce qu’il faut plusieurs mois avant que la politique monétaire se répercute sur l’ensemble de l’économie.

Aux États-Unis, le secteur immobilier est moins vulnérable aux hausses de taux en raison, notamment, de la possibilité de contracter des hypothèques de 30 ans. Mais l’économie américaine n’est pas immunisée contre une récession, croit maintenant Jimmy Jean, surtout depuis que la Réserve fédérale a indiqué que les taux devront monter au-delà de 4 % et que l’économie devra souffrir pour vaincre l’inflation plus coriace que ce qu’elle avait prévu.

Une récession sans chômage ?

Étant donné les pénuries de main-d’œuvre, il est possible qu’on assiste à une diminution des postes vacants plutôt qu’à une hausse du taux de chômage. Les entreprises qui ont des difficultés de recrutement pourraient hésiter avant de faire des mises à pied. Le résultat serait une récession qui ne serait pas nécessairement accompagnée d’une augmentation importante du nombre de chômeurs. « Ce serait une première, mais c’est possible en théorie, dit l’économiste. Il faudra le voir pour le croire. »

Si cette hypothèse se vérifie, la récession pourrait être moins longue et moins profonde. « Les entreprises ne voudront pas se départir de leur main-d’œuvre ou voudront la réembaucher plus rapidement, dit-il. Une récession, c’est temporaire, ça dure généralement quelques trimestres et le beau temps finit par revenir. »

Moins difficile au Québec

Le scénario de récession ne se déploiera pas de la même façon d’une province à l’autre, selon Desjardins. À cause du poids très lourd de l’immobilier dans son économie, la Colombie-Britannique souffrira davantage, prévoit son économiste en chef. L’Ontario, à cause de l’importance de l’immobilier et du poids de son secteur financier, sera aussi plus touché. À l’autre bout du spectre, les provinces productrices de pétrole, l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador, s’en tireront mieux.

Le Québec se situera quelque part entre les deux. « Les prochains trimestres seront plus difficiles au Québec, mais ce sera pire ailleurs au Canada », résume Jimmy Jean.

Ce qui aidera l’économie québécoise, c’est l’épargne des ménages qui, même si elle a commencé à baisser, reste élevée. Au deuxième trimestre, le taux d’épargne des ménages québécois était de 10,2 %, comparativement à 6,2 % au Canada.

Au Québec comme ailleurs dans le monde, la pression est forte sur les gouvernements pour qu’ils aident les familles à faire face à la hausse des coûts. Attention, dit l’économiste, certaines mesures, comme des baisses d’impôt, peuvent alimenter l’inflation et rendre la tâche des banques centrales plus difficile.

Le gouvernement du Royaume-Uni, qui vient d’accorder d’importants allègements fiscaux aux contribuables britanniques étranglés par une inflation de près de 10 %, est l’exemple à ne pas suivre, selon lui.

« La modération a bien meilleur goût quand il s’agit d’aller de l’avant avec ces mesures-là », dit-il.

Une pause à 3,75 %

Desjardins croit que les hausses de taux d’intérêt tirent à leur fin au Canada. La Banque du Canada augmentera ses taux d’intérêt jusqu’à 3,75 % et fera ensuite une pause.

La Banque du Canada a été très énergique pour augmenter ses taux, après avoir cru que l’inflation était un phénomène transitoire. « Elle aurait pu commencer le processus plus tôt, mais elle a quand même commencé son resserrement monétaire avant la Réserve fédérale, observe Jimmy Jean. Elle a été agressive jusqu’à date, mais à la fin, la Fed va probablement se rendre plus loin et la Banque d’Angleterre pourrait même se rendre en haut de 6 %. »

Les banques centrales ont réussi à convaincre les marchés financiers qu’elles auront le dessus sur l’inflation, souligne-t-il. « C’est mission accomplie. Il faut maintenant convaincre les ménages et les entreprises. Il y a encore une perception que la hausse des taux d’intérêt cause l’inflation. La Banque du Canada fait des efforts de communication pour démystifier ces questions-là, ce qui est une bonne chose. »

Le mandat de la Banque du Canada est de combattre l’inflation, pas d’éviter une récession, rappelle-t-il. « Elle ne veut pas provoquer une récession, mais si la récession est un passage obligé pour réussir à ramener l’inflation à sa cible de 2 %, elle est prête à vivre avec ça. ».