Les grandes entreprises incitent leurs clients à acheter des versions plus raffinées, et souvent plus chères, de leurs produits, des beignes Krispy Kreme aux canettes de WD-40.

À preuve, une nouvelle expression à la mode dans le monde des affaires : la premiumization.

Les entreprises espèrent continuer à profiter d’une conjoncture favorable après plusieurs années au cours desquelles elles ont tiré avantage des fortes dépenses des consommateurs et de l’inflation rapide pour augmenter les prix et accroître les marges bénéficiaires. De nombreuses entreprises font des offres qui s’adressent à des clients à revenu élevé – des personnes qui sont prêtes à payer plus cher pour des produits et des services.

Signe de cette tendance : la notion de premiumization a été évoquée dans près de 60 conférences téléphoniques sur les résultats et réunions d’investisseurs au cours des trois dernières semaines.

C’est une indication de l’évolution du contexte économique. L’inflation et les dépenses de consommation devraient ralentir cette année, ce qui pourrait rendre plus difficile le maintien des augmentations de prix importantes sans justification par les entreprises.

La tendance à la premiumization reflète également une fracture dans l’économie américaine. Les 40 % de personnes gagnant le plus d’argent sont assis sur plus de 1000 milliards de dollars américains d’économies supplémentaires accumulées pendant la première partie de la pandémie. Les ménages à faible revenu, en revanche, ont épuisé leurs économies, en partie parce qu’ils doivent faire face à la hausse des coûts de l’alimentation, du loyer et d’autres produits de première nécessité qui représentent une part plus importante de leurs dépenses.

« Le bassin de personnes prêtes à dépenser pour des produits haut de gamme reste fort », estime David Mayer, associé principal dans le domaine de la stratégie de marque du cabinet de conseil Lippincott.

À mesure que les produits deviennent plus chers et plus exclusifs, de larges pans de l’économie risquent de s’embourgeoiser​​​, d’où la possibilité que les consommateurs les plus pauvres soient de moins en moins servis.

Les entreprises segmentent depuis longtemps leurs clients, en essayant de pousser les plus riches vers des achats plus coûteux et plus rentables : pensez aux sièges de première classe dans un avion par rapport aux sièges de la classe économique. Mais la tendance s’est accélérée pendant la pandémie, et le mouvement vers le luxe s’étend désormais à un plus large éventail de produits et de services.

Les dirigeants de certaines entreprises se concentrent sur les riches. Chez American Express, qui a enregistré des dépenses record de la part de ses titulaires de cartes au dernier trimestre, « nous resserrons constamment le nombre de titulaires de cartes que nous acquérons », a déclaré le PDG Stephen Squeri aux analystes lors d’une récente conférence téléphonique, décrivant la manière dont l’entreprise s’est constamment concentrée sur les candidats aux revenus les plus élevés. « Cette clientèle haut de gamme, même si elle n’est pas à l’abri d’un ralentissement de l’économie, dépense allègrement en ce moment. »

D’autres entreprises mettent l’accent sur les offres dites « premium » comme solution de rechange aux rabais. Krispy Kreme a passé l’année dernière à attirer les clients par des rabais, notamment une réduction « Beat the Pump » qui faisait correspondre le prix d’une douzaine de beignes glacés au prix national moyen d’un gallon d’essence. Mais l’entreprise prévoit faire moins de rabais cette année, a déclaré un cadre lors d’un appel téléphonique, en cherchant plutôt à susciter « l’enthousiasme autour de [ses] beignes de spécialité haut de gamme », qui sont plus raffinés et plus chers.

La promotion de produits haut de gamme est apparue dans certains secteurs inattendus. WD-40 a constaté que les clients sont prêts à payer plus cher pour des produits dotés d’améliorations, comme une canette munie d’une « paille intelligente » permettant de pulvériser le lubrifiant de deux manières – soit un jet précis, soit une brume. « La premiumization crée des possibilités de croissance du chiffre d’affaires, d’expansion de la marge et, surtout, elle ravit nos utilisateurs cibles », a déclaré le PDG Steve Brass lors d’une conférence téléphonique.

La question est maintenant de savoir ce que cette évolution vers des produits plus haut de gamme signifie pour l’économie en général. Cela pourrait être un signe que les entreprises font des efforts désespérés pour justifier des prix plus élevés et s’accrocher à de gros bénéfices alors que les perspectives économiques s’assombrissent.

Pour lutter contre l’inflation, la Réserve fédérale américaine (Fed) a rapidement augmenté les taux d’intérêt, ce qui est censé ralentir la croissance économique et refroidir la demande des consommateurs. Il pourrait donc être plus difficile pour les entreprises de continuer à facturer davantage, ce qui ralentirait l’inflation et pourrait réduire les bénéfices dans la foulée.

« La plupart des entreprises avaient un pouvoir de fixation des prix l’année dernière », affirme Scott Chronert, stratège chez Citigroup, expliquant que ses prévisions suggèrent que « cela va changer ».

Et les tentatives de maintenir les marges bénéficiaires en donnant aux produits un aspect haut de gamme ne sont pas assurées de porter leurs fruits.

Six Flags, un exploitant de parcs à thème, dont La Ronde à Montréal, a récemment adopté un modèle plus haut de gamme en augmentant les prix et en limitant les promotions, ce que le PDG Selim Bassoul a décrit comme « des changements audacieux de [son] modèle commercial afin d’améliorer l’expérience des visiteurs ». Les résultats sont mitigés jusqu’à présent. Au cours des neuf mois précédant le mois de septembre, la fréquentation de ses parcs a diminué de 25 % par rapport à l’année précédente, les dépenses par client ont augmenté de 22 % et, au final, les bénéfices ont diminué de près de 10 %.

En janvier, Walt Disney a reconnu avoir peut-être trop augmenté les prix dans ses parcs à thème, provoquant la colère de ses clients fidèles. L’entreprise a révisé ses politiques en matière de billetterie, de stationnement dans les hôtels, de photos dans les attractions et de cartes annuelles.

Mais l’évolution vers des produits haut de gamme pourrait marquer le début d’un changement plus durable, les entreprises s’installant dans une routine de vente de volumes plus faibles à des prix plus élevés dans une économie divisée – une stratégie qui pourrait laisser les consommateurs les plus pauvres plus démunis.

Cet article a été initialement publié dans The New York Times.

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