Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des chiffres écrits en rouge s’accumulent au sujet de ses exportations de gaz naturel : ce secteur vital pour la Russie se désintègre.

Les médias russes estiment que les exportations par gazoduc pourraient chuter de 50 % en volume en 2023 par rapport à 2022. Et l’année 2022 était déjà particulièrement mauvaise.

Il n’y a pas que le gaz livré par gazoduc qui va mal. L’Union européenne (UE) menace de réduire ses importations de gaz liquéfié russe, l’unique point positif de l’industrie russe l’année dernière.

Supplantée par la Norvège

La Russie s’est en grande partie coupée de l’Europe, principal acheteur de son gaz naturel, celui qui payait à temps et au prix fort. En ouvrant les hostilités, puis en réduisant et en manipulant l’offre, la Russie a sabordé les décennies d’efforts qui lui avaient permis de devenir le plus grand fournisseur de gaz d’une Europe assoiffée d’énergie, cédant cette position à la Norvège.

PHOTO KRISTIAN HELGESEN, ARCHIVES BLOOMBERG

Plateforme d’extraction de gaz naturel Oseberg A, exploitée par la société pétrolière norvégienne Equinor, en mer du Nord

Jeudi dernier, Izvestia, média lié au Kremlin, a rapporté que les exportations par gazoduc pourraient chuter de 50 % en 2023, citant une prévision gouvernementale. Ce chiffre avoisine certaines estimations occidentales.

La Russie a surpris en conservant sa part du marché pétrolier malgré les embargos occidentaux. Mais elle a dû consentir des rabais qui ont amputé ses revenus.

En revanche, il est très difficile de trouver de nouveaux clients pour le gaz, car l’essentiel est livré par des gazoducs. La Russie a moins de capacités que les États-Unis, le Qatar et l’Australie pour exporter du gaz naturel liquéfié (GNL), qui peut être transporté par bateau comme le pétrole.

Les pertes russes sont un cadeau pour l’industrie pétrolière américaine, qui a beaucoup augmenté ses livraisons de GNL aux terminaux européens.

Les exportations de gaz russe vers l’Union européenne par gazoduc devraient chuter des deux tiers en 2023, estime Viktor Katona, analyste au cabinet d’études Kpler. Et ce, après la chute de 50 % en 2022, première année de l’invasion.

Les ventes à la Chine et peut-être à la Turquie – devenues les principaux acheteurs de gaz russe – devraient augmenter. La Russie exporte du gaz vers la Chine par l’entremise d’un gazoduc appelé Force de Sibérie et cherche à construire une autre liaison. Mais à ce stade-ci, la Chine ne vaut qu’une fraction des ventes qui étaient faites à l’Europe avant la guerre.

L’Europe se sèvre

La stratégie européenne pour se sevrer du gaz russe a étonnamment bien marché. Le continent importe plus de GNL, surtout des États-Unis, et sabre la demande. L’UE vient d’annoncer que la consommation de gaz d’août 2022 à mars 2023 avait baissé de près de 18 % par rapport à la moyenne de ces mois de 2017 à 2022.

L’Europe a survécu sans trop de mal à ce qui menaçait d’être un hiver difficile, ce qui a apaisé les marchés. Le prix du gaz en Europe, qui avait bondi au début de la guerre, a chuté de près de 90 % par rapport au pic d’août 2022. Ces baisses de prix réduiront également les revenus du gaz que Moscou parvient à vendre.

Les recettes du pétrole baissent aussi

Les recettes pétrolières russes fondent elles aussi, rognées par le plafonnement des prix imposé par l’Occident : elles ont chuté de 29 % (à 39 milliards de dollars) au premier trimestre 2023 par rapport aux trois derniers mois de 2022, selon une étude publiée mercredi dernier par l’École d’économie de Kyiv.

Forts de ce succès, les dirigeants européens envisagent d’élargir les sanctions aux importations de GNL en provenance de Russie.

Car tout en perdant ses exportations par gazoduc, Moscou a beaucoup augmenté ses livraisons de GNL à l’Europe en 2022 (principalement à partir de Sabetta, port arctique de la péninsule de Yamal, en Sibérie). Ces exportations vers l’Europe ont établi un record en février, selon la société de conseil Rystad Energy.

Mais le mois dernier, la commissaire à l’énergie de l’UE, Kadri Simson, a exhorté les pays membres et leurs entreprises énergétiques à cesser d’acheter du GNL russe et à « ne pas signer de nouveaux contrats avec la Russie ».

PHOTO TIRÉE DU SITE DE TOTALÉNERGIES

Méthanier Christophe de Margerie, du géant pétrolifère français TotalÉnergies, chargeant du GNL au port sibérien de Sabetta

Certains analystes doutent que l’UE bloque le GNL russe : les principaux acheteurs de gaz provenant de l’installation sibérienne, Yamal LNG, sont le géant pétrolier français TotalÉnergies et la grande entreprise énergétique espagnole Naturgy.

« À notre avis, [bloquer le GNL russe] serait un vrai casse-tête pour l’Union européenne », estime James Waddell, chef de la division, Gaz européen et GNL mondial, au cabinet d’études Energy Aspects.

Par contre, après s’être grandement sevrée du gaz russe livré par gazoduc, l’Europe pourrait estimer que « se passer du GNL russe ferait moins mal », observe Massimo Di Odoardo, vice-président pour le gaz chez la société-conseil Wood Mackenzie.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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