Nordstrom. Old Navy. Anthropologie. H&M. Crate & Barrel.

Le centre-ville de San Francisco a été le théâtre d’un exode de détaillants au cours des derniers mois et, cette semaine, le propriétaire d’un centre commercial a décidé de se séparer d’un immeuble de premier plan. Plus inquiétant encore, les analystes du marché estiment que la ville a encore du chemin à parcourir avant que l’hémorragie ne s’arrête.

Le taux d’inoccupation des bureaux est le plus élevé de toutes les grandes villes américaines. Les loyers demandés pour les espaces commerciaux ont chuté de 21 % depuis avant la pandémie. Et même si les touristes visitent de nouveau San Francisco, la somme qu’ils dépensent dans la ville est inférieure de 23 % à ce qu’elle était en 2019.

« Je ne pense pas que nous soyons encore dans la phase ascendante pour San Francisco », a prévient Vince Tibone, directeur général de la société immobilière Green Street. « Je dirais même que nous n’avons probablement pas encore atteint le fond. »

Lundi, Westfield, propriétaire du Westfield San Francisco Centre, a annoncé qu’il remettait le centre commercial à son prêteur, qui décidera qui exploitera la propriété à l’avenir.

La décision de Westfield de quitter le site qu’elle possédait depuis 2002 a soulevé une nouvelle série de questions sur le temps qu’il faudra aux centres-villes des États-Unis pour se redresser et sur la capacité des détaillants et des propriétaires de centres commerciaux à poursuivre leurs activités dans l’intervalle.

PHOTO JASON HENRY, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Intérieur du Westfield San Francisco Centre

Les centres commerciaux de centre-ville ont toujours été rares, étant donné le peu d’espace disponible dans les centres-villes pour de vastes zones commerciales. Mais ceux qui ont été construits ont longtemps compté sur un flux régulier de circulation piétonnière de la part des résidants, des employés de bureau, des congressistes et des touristes. Ce calcul a été bouleversé par la pandémie.

Le marché des bureaux de San Francisco a été le plus durement touché de toutes les grandes villes des États-Unis, avec des taux d’inoccupation qui sont passés de 4 % avant la pandémie à environ 30 %. Cette situation a eu de graves répercussions sur les sandwicheries, les magasins de vêtements et de nombreux autres commerçants.

Colin Yasukochi, analyste chez CBRE, la société de services immobiliers, a prédit que le marché n’atteindrait pas son niveau le plus bas avant l’année prochaine. Dans une entrevue, il a affirmé que le taux d’inoccupation pourrait atteindre 35 %.

Enjeu multifactoriel

À San Francisco, la situation du centre-ville est radicalement différente des situations précédentes. Pendant la crise financière, il y a une quinzaine d’années, les loyers ont chuté de 30 %. Au début du siècle, lors de l’effondrement du marché des « dot-com », les loyers commerciaux ont baissé de 70 %. Cette fois-ci, la baisse des loyers a été beaucoup plus modeste, de l’ordre de 15 %.

Selon M. Yasukochi, cela s’explique en partie par ce que l’on appelle parfois dans le secteur « extend and pretend » (étendre et faire semblant). Les banques sont réticentes à saisir les biens immobiliers non performants en raison de l’engagement nécessaire pour trouver des locataires et parce qu’elles reprendraient souvent le bien à perte. Au lieu de cela, elles concluent des accords avec leurs emprunteurs et tentent d’attendre la fin de la crise dans l’espoir que le marché se redressera.

Ces tactiques dilatoires fonctionneront-elles ? « Cela dépend de la durée pendant laquelle vous pouvez faire semblant », a souligné M. Yasukochi.

Dans de nombreux cas, les détaillants des centres urbains choisissent volontairement de partir. À San Francisco, Nordstrom a annoncé qu’il fermerait en août le magasin qu’il tenait depuis longtemps au San Francisco Centre, ce qui laissera le centre commercial vide à 45 %. Anthropologie a fermé en mai le magasin du centre-ville qu’il tenait depuis deux décennies.

Les centres commerciaux, en général, sont dans une situation difficile. Depuis 2016, les centres commerciaux aux États-Unis ont perdu 50 % de leur valeur, selon les données du cabinet de conseil Green Street.

En effet, la décision de Westfield à San Francisco fait partie d’une stratégie plus large de sa société mère, Unibail-Rodamco-Westfield, visant à réduire considérablement le nombre de centres commerciaux qu’elle exploite dans le pays.

Mais les analystes estiment que la situation du commerce de détail à San Francisco est exacerbée par d’autres facteurs tels que les vols à l’étalage, le ralentissement des plans de retour au bureau et l’importante économie de la conférence qui n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant la pandémie.

Selon un rapport publié jeudi par le San Francisco Chronicle, la criminalité est également devenue un sujet de préoccupation croissant pour les détaillants opérant dans le centre commercial. Dans des courriels obtenus par le journal, les dirigeants de Westfield ont reçu des mises à jour de la part de détaillants faisant état d’évènements violents à l’encontre de travailleurs dans le centre commercial et indiquant que les détaillants locataires avaient demandé des mesures de sécurité supplémentaires.

Dans sa déclaration concernant sa décision de renoncer à sa propriété, Westfield a avancé que San Francisco Centre était une exception par rapport à ses autres centres commerciaux. À San Francisco Centre, les ventes ont chuté de 35 % entre 2019 et décembre 2022. Dans l’un des centres commerciaux du groupe à San Jose, non loin de là, les ventes ont augmenté de 66 % au cours de la même période. Le chiffre d’affaires de ses 18 centres commerciaux américains a augmenté de 23 %.

Nostalgie

Lorsque Westfield a repris le centre commercial en 2002, San Francisco sortait de l’effondrement de la bulle internet. Le centre commercial urbain avait une superficie de 1,5 million de pieds carrés, et Westfield a investi 460 millions de dollars dans son agrandissement.

À l’époque, des logements résidentiels étaient en cours de construction dans le centre-ville et l’achat en ligne était encore un concept nouveau. L’aire de restauration du centre est devenue une attraction pour les employés de bureau pendant leur pause du dîner et une nouveauté pour les touristes qui avaient l’habitude de faire leurs achats dans des magasins donnant sur la rue, le long de Market Street. À l’intérieur, ils découvraient un établissement doté de grands escaliers roulants en spirale qui les conduisaient à plusieurs étages remplis de boutiques.

« C’était comme une nouvelle attraction, car il n’y avait pas vraiment de centres commerciaux dans le centre-ville », a souvient Gabriella Santaniello, fondatrice de la société de conseil en commerce de détail A Line Partners, qui a vécu à San Francisco de 2001 à 2007. « Le commerce de détail était beaucoup plus dynamique. »

PHOTO JASON HENRY, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le magasin Nordstrom du Westfield San Francisco Centre, autrefois couru par une clientèle aisée, fermera ses portes en août.

Il est devenu partie intégrante du tissu urbain. Le maire de la ville, London Breed, a pu être vu en train d’y acheter des vêtements. Willie Brown, l’ancien maire, est un habitué des salles de cinéma. (Cette semaine, Cinemark a annoncé la fermeture de ses cinémas dans le centre commercial.)

De nombreux Franciscanais se souviennent avec émotion de leurs achats dans le magasin Nordstrom, situé aux derniers étages. Dianne Boate, une habitante de San Francisco qui a tenu pendant des décennies un commerce souterrain de gâteaux, se souvient des achats d’articles ménagers – « tout ce qui pouvait avoir l’air un peu français ». Un ami fortuné qui arrivait de Floride en jet privé ne manquait pas de se rendre chez Nordstrom pour acheter des cadeaux.

Mme Boate ne s’est pas rendue au centre commercial depuis des années, non pas à cause des problèmes du quartier, des sans-abri et de la misère, qu’elle qualifie de « triste commentaire sur l’époque ». Mais à 87 ans, elle est moins intéressée par l’accumulation de choses.

« Peut-être que la disparition de certains magasins est liée au fait que les gens se rendent compte qu’ils n’ont pas besoin de tant de choses », dit-elle à propos de la fermeture de magasins à San Francisco. « Les intérêts des gens ont changé – la façon dont ils veulent dépenser leur argent a changé. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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