(Ottawa) Le Canada est engagé dans une véritable course contre la montre pour mater l’inflation, ramener les taux d’intérêt à des niveaux plus bas et éviter une crise immobilière des plus graves, prévient le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre.

Après avoir vu juste sur la montée de l’inflation il y a deux ans, et fait de la crise du logement son cheval de bataille au cours des 18 derniers mois, Pierre Poilievre voit une autre crise poindre à l’horizon. Cette crise touchera les nouveaux propriétaires qui ont acheté une maison durant la pandémie de COVID-19, en 2020 et 2021, à un prix exorbitant alors que les taux d’intérêt étaient très bas.

Deux ans. Voilà le temps qui nous sépare, selon lui, de cette crise immobilière, a-t-il affirmé dans une entrevue exclusive accordée à La Presse.

Pour faciliter la lutte contre l’inflation, le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer : il doit contrôler ses dépenses, éliminer le déficit et s’abstenir d’augmenter le fardeau fiscal des contribuables, a fait valoir le chef conservateur.

J’espère bien avoir tort au sujet de cette crise qui nous attend. Mais toutes les données sont très inquiétantes.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada

« Ce qui m’inquiète, c’est le nombre important d’hypothèques qui ont été prises en 2020 et 2021 pour acheter des maisons à des prix exorbitants à des taux d’intérêt très bas fixés pendant cinq ans. Donc, en 2025 et en 2026, si les taux d’intérêt sont encore très élevés, je prévois une catastrophe pire que celle que les Américains ont vécue en 2008 », a-t-il aussi soutenu.

Pour étoffer ses dires, M. Poilievre s’appuie sur des statistiques qu’il cite l’une après l’autre sans s’essouffler. Le taux d’endettement des ménages canadiens, exprimé en proportion du revenu disponible, s’élève aujourd’hui à environ 185 %. Aux États-Unis, il était aux environs de 170 % en 2008.

Les taux d’intérêt étaient moins élevés durant la crise de 2008 qu’ils ne le sont aujourd’hui, a-t-il aussi souligné. Au Canada, ces taux d’intérêt ont d’ailleurs augmenté rapidement d’une manière sans précédent au cours des 18 derniers mois.

« Les gens qui ont pris une hypothèque à 1,7 % en 2020, c’est maintenant rendu à 5,7 %. Cela ne représente pas une augmentation de 3 % ou 4 %. C’est une augmentation de 300 %. Si les taux d’intérêt ne baissent pas et que les gens ne sont plus capables de payer une hypothèque de 5,7 % pour une maison qui coûte 1,3 million de dollars à Toronto dans deux ans, ils vont devoir vendre. Mais il risque de n’y avoir personne pour acheter », a analysé le chef conservateur.

« La seule façon d’éviter cette crise »

M. Poilievre a aussi rappelé que la majorité des prêts hypothécaires sont assurés par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), société d’État qui est responsable de l’habitation au pays. Et les contribuables pourraient devoir payer la facture s’il y a une série de faillites.

« C’est le risque que je vois. La seule façon d’éviter cette crise, c’est de vraiment battre l’inflation dans les deux prochaines années pour que la Banque du Canada puisse réduire à nouveau les taux d’intérêt », a-t-il ajouté.

La crise immobilière aux États-Unis a été provoquée par l’octroi de nombreux prêts hypothécaires à risque élevé à des acheteurs insolvables, également. Des banques transformaient ces prêts à risque en titres financiers qui étaient vendus sur des marchés non réglementés. Cette pratique était connue comme le marché des subprimes. Mais de nombreux acheteurs ont déclaré faillite à la suite d’une série de hausses du taux directeur par la Réserve fédérale, entreprise à partir de 2005.

Résultat : la multiplication des faillites a entraîné la chute des prix de l’immobilier, ce qui a plombé la valeur de ces titres financiers. Les banques étaient alors incapables de se débarrasser de titres qui avaient perdu presque toute valeur. La crise financière a emporté sur son passage la banque Lehman Brothers, quatrième en importance aux États-Unis.

Le contexte est certes différent au Canada. Mais M. Poilievre redoute les conséquences dévastatrices de la hausse marquée des taux d’intérêt sur le marché immobilier.

« L’autre aspect qu’il ne faut pas oublier, c’est l’endettement corporatif, qui est extrêmement élevé encore. Les dettes de toutes les entreprises au Canada ont atteint un niveau presque équivalent à 100 % de la taille de notre économie. Donc, le secteur privé et les ménages sont à risque. On est extrêmement endetté ici au Canada », a-t-il fait valoir.

M. Poilievre, qui a vu le Parti conservateur prendre une avance de 7 à 10 points sur les libéraux de Justin Trudeau dans les sondages nationaux, juge primordial qu’Ottawa reprenne le contrôle des finances publiques.

« Éliminer le déficit, c’est une question d’urgence. Ça va permettre de réduire les pressions inflationnistes. Chaque fois que le gouvernement fait un déficit, cela augmente la demande et cela contribue à augmenter l’inflation. Et cela force le Banque du Canada à augmenter les taux d’intérêt. Comme l’a dit l’ancien ministre libéral des Finances John Manley, les déficits, c’est comme mettre le pied sur l’accélérateur de l’inflation en même temps que la Banque du Canada doit mettre le pied sur le frein. »