(San Francisco) La NASA a choisi cette technologie pour l’aider à faire atterrir ses futurs engins spatiaux sur des planètes non cartographiées. Meta utilise cette technologie pour l’intelligence artificielle. Des ingénieurs chinois l’ont utilisée pour crypter des données.

Et elle pourrait représenter le prochain front dans la guerre commerciale des semi-conducteurs entre les États-Unis et la Chine.

Il s’agit de la technologie RISC-V, qui se prononce « risk five » (risque cinq). Issue d’un laboratoire informatique d’une université californienne, elle est devenue la base d’une myriade de puces qui gèrent des tâches informatiques. RISC-V fournit essentiellement une sorte de langage commun pour la conception de processeurs que l’on trouve dans des appareils tels que les téléphones intelligents, les lecteurs de disques, les routeurs WiFi et les tablettes.

Ces derniers mois, RISC-V a suscité un nouveau débat à Washington sur la question de savoir jusqu’où les États-Unis peuvent ou doivent aller alors qu’ils renforcent constamment les restrictions à l’exportation vers la Chine de technologies susceptibles de contribuer au développement de ses forces armées.

En effet, RISC-V, qui peut être téléchargée gratuitement sur l’internet, est devenue un outil essentiel pour les entreprises et les institutions gouvernementales chinoises qui espèrent égaler les prouesses américaines en matière de conception de semi-conducteurs.

Le mois dernier, la commission d’enquête de la Chambre des représentants sur le Parti communiste chinois, sous l’égide du représentant républicain Mike Gallagher, a recommandé qu’un comité gouvernemental interagences étudie les risques potentiels de RISC-V. Des collaborateurs du Congrès ont rencontré des membres de l’administration Biden au sujet de cette technologie, et les législateurs et leurs collaborateurs ont discuté de l’extension des restrictions afin d’empêcher les citoyens américains d’aider la Chine dans le domaine de RISC-V, selon des membres du personnel du Congrès.

Le Parti communiste chinois « tente déjà d’utiliser l’architecture de RISC-V pour saper nos contrôles à l’exportation », a déclaré dans un communiqué Raja Krishnamoorthi, député de l’Illinois et membre démocrate de la commission spéciale de la Chambre des représentants. Il a ajouté que les participants à RISC-V devraient se concentrer sur l’avancement de la technologie, et « non sur les intérêts géopolitiques du Parti communiste chinois ».

Des suggestions du monde entier

Arm Holdings, une société britannique qui vend des puces concurrentes, a également fait pression sur les autorités pour qu’elles envisagent de restreindre RISC-V, ont affirmé trois personnes au fait de la situation. Les fonctionnaires de l’administration Biden sont préoccupés par l’utilisation de RISC-V par la Chine, mais se méfient des complications potentielles liées à la réglementation de cette technologie, selon une personne au fait des discussions. Le département du Commerce et le Conseil national de sécurité se sont refusés à tout commentaire.

Le débat sur RISC-V est compliqué parce que la technologie a été modelée sur des logiciels libres, des programmes gratuits comme Linux qui permettent à n’importe quel développeur de voir et de modifier le code original utilisé pour les créer.

Ces programmes ont incité de nombreux concurrents à innover et à réduire le pouvoir de marché d’un seul fournisseur.

Mais RISC-V n’est pas un code qui peut être directement utilisé pour fabriquer quoi que ce soit. Il s’agit d’un ensemble d’instructions informatiques de base qui déterminent les calculs qu’une puce peut effectuer. Les ingénieurs peuvent télécharger ces instructions et les incorporer dans la tâche beaucoup plus complexe qui consiste à créer des plans de conception pour les parties d’un semi-conducteur. De nombreuses entreprises vendent des conceptions de puces RISC-V, et certaines universités et autres institutions les distribuent gratuitement.

Comme pour Linux – mais pas pour les technologies d’entreprises comme Arm et Intel –, les ingénieurs du monde entier peuvent faire des suggestions pour améliorer les instructions sous-jacentes. Ce processus est supervisé par RISC-V International, une organisation à but non lucratif qui compte plus de 4000 membres dans 70 pays, dont l’Académie chinoise des sciences et des entreprises chinoises telles que Huawei et Alibaba, ainsi que Google et Qualcomm.

Le groupe a changé de statut, passant des États-Unis à la Suisse en 2020, afin d’apaiser les « craintes de perturbations politiques » et de contrôle par un seul pays. Ses dirigeants ont déclaré que leur modèle reflétait celui d’autres groupes internationaux qui régissent des technologies standard comme Ethernet et WiFi.

« Les normes ouvertes existent depuis 100 ans », a déclaré Calista Redmond, PDG de RISC-V International, lors d’une interview. « Ce n’est pas différent. »

Les technologies à code source ouvert ont généralement bénéficié d’exceptions aux contrôles américains à l’exportation. Toute modification de ce traitement « soulèvera certainement des questions juridiques épineuses et d’importantes préoccupations de politique publique », a dit Daniel Pickard, avocat spécialisé dans le commerce et la sécurité nationale chez Buchanan Ingersoll & Rooney.

Réglementations et instructions

Les réglementations américaines limitent les entreprises Arm et RISC-V dans l’exportation de puces vers la Chine sur la base de certaines limites de performance. Mais essayer de restreindre les instructions sous-jacentes revient à essayer de contrôler les mots ou les lettres, ont indiqué des cadres de la Silicon Valley.

« C’est absolument stupide », a déclaré Dave Ditzel, directeur de la technologie d’Esperanto Technologies, une jeune entreprise de puces qui utilise RISC-V. « C’est comme si l’on disait que la Chine n’a pas le droit d’exporter les instructions sous-jacentes. »

C’est comme si l’on disait : “Les Chinois peuvent lire un livre sur les armes nucléaires écrit en anglais, alors résolvons le problème en interdisant l’alphabet anglais.”

Dave Ditzel, directeur d’Esperanto Technologies, qui utilise RISC-V

Alors que RISC-V aide les entreprises chinoises, dont Huawei, à concevoir davantage de semi-conducteurs dans le monde, certains responsables américains craignent que Pékin n’utilise les fonderies chinoises pour insérer des vulnérabilités cybernétiques dans les puces, qui pourraient être utilisées pour paralyser les réseaux électriques américains et d’autres infrastructures essentielles.

Les partisans de RISC-V rétorquent que les technologies dont les détails internes peuvent être étudiés ouvertement sont beaucoup plus sûres. Toute nouvelle restriction, selon les partisans de RISC-V, affaiblirait l’influence des États-Unis sur la technologie tout en ne faisant pas grand-chose pour retenir la Chine, car le jeu d’instructions est déjà largement distribué.

Selon Handel Jones, analyste chez International Business Strategies, plus de 100 entreprises chinoises « importantes » conçoivent aujourd’hui des puces avec RISC-V, ainsi qu’au moins 100 autres entreprises en émergence. La plupart des applications concernent des produits de consommation assez banals, mais les ingénieurs pensent que la technologie finira par prendre en charge certaines des tâches les plus exigeantes.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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