Les tarifs élevés imposés par l’ex-président Donald Trump à la Chine et à d’autres pays ont été à la fois un succès politique et un échec économique, montre une nouvelle étude. Ces mesures ont séduit des électeurs même si elles n’ont pas ramené d’emplois au pays.

Cette étude indépendante des données mensuelles sur l’emploi par secteur d’activité conclut que les tarifs imposés par M. Trump sur les métaux, les machines à laver et de nombreux produits chinois dès 2018 n’ont ni augmenté ni diminué le nombre d’emplois dans les secteurs concernés.

Mais les droits de douane ont incité d’autres pays à riposter par leurs propres tarifs sur les exportations américaines, les rendant plus chères et ayant un effet négatif sur l’emploi américain. Cela a été particulièrement vrai pour les agriculteurs : Pékin a augmenté jusqu’à 25 % ses tarifs sur le soya, le coton et le sorgho américains.

PHOTO RORY DOYLE, THE NEW YORK TIMES

Un fermier récolte des fèves de soya près de Stuttgart, en Arkansas, l’automne dernier.

L’administration Trump a cherché à compenser ces pertes en versant aux fermiers 23 milliards de dollars de 2018 à 2019. Mais ces fonds ont été distribués inégalement, selon une évaluation du gouvernement, et des économistes estiment que ce soutien n’a que partiellement compensé le tort causé par les tarifs chinois.

Effet « au mieux nul »

L’étude contredit M. Trump, qui affirme que son action a inversé certains dommages causés par la concurrence chinoise et ramené des emplois qui avaient été délocalisés à l’étranger. Selon les économistes, l’effet cumulatif sur l’emploi américain des trois mesures – tarifs américains, riposte étrangère et subventions aux agriculteurs – a été « au mieux nul, et peut-être légèrement négatif ».

« On peut assurément rejeter l’hypothèse que ces tarifs ont réussi à ramener des emplois dans les secteurs qui ont été fortement exposés à cette guerre tarifaire », affirme un des auteurs, l’économiste David Dorn, de l’Université de Zurich.

S’appuyant sur les résultats locaux aux élections de 2020, l’étude montre que l’appui à Trump a augmenté dans les régions touchées par les tarifs, en particulier le Midwest et le Sud. De plus, les électeurs de ces régions sont devenus moins susceptibles de s’identifier comme démocrates et plus susceptibles d’élire des républicains au Congrès.

L’appui à M. Trump n’a pas été totalement à l’abri des effets économiques : les gains républicains ont été plus grands là où l’effet des tarifs et des subventions a été positif sur l’emploi. Inversement, là où les représailles tarifaires des pays visés par M. Trump ont frappé, le soutien aux républicains a faibli, mais de peu, selon l’étude.

Les auteurs émettent l’hypothèse suivante : dans les régions où la concurrence chinoise frappe fort depuis longtemps, les électeurs ont peut-être récompensé les tarifs de M. Trump par « solidarité politique », et non pour les conséquences réelles qu’ils ont eues sur l’emploi.

Les [électeurs] républicains réagissent très positivement aux tarifs douaniers qui protègent l’industrie locale, mais ils ne punissent pas tellement les [élus] républicains si leur région souffre des représailles tarifaires.

David Dorn, économiste à l’Université de Zurich

Les autres auteurs de l’étude sont David Autor, du Massachusetts Institute of Technology, Anne Beck, de la Banque mondiale, et Gordon H. Hanson, de la Harvard Kennedy School.

Le « choc chinois »

Autor, Dorn et Hanson sont les auteurs d’études remarquées sur le « choc chinois », mesurant la chute de l’emploi manufacturier américain après l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce. Ils ont ensuite étudié l’impact politique de ces pertes d’emplois dans l’Amérique profonde, notamment la polarisation et l’augmentation du soutien aux républicains.

« Durant le conflit tarifaire, l’économie américaine était en forte croissance, ce qui a pu influencer la perception que se fait l’électeur de l’effet des tarifs », note M. Dorn. « C’est très, très difficile pour les gens d’isoler les raisons pour lesquelles l’économie va bien, a-t-il ajouté. Va-t-elle bien grâce à une mesure gouvernementale donnée ou en dépit de cette mesure gouvernementale ? »

La récente étude survient au moment où M. Trump promet des tarifs encore plus durs s’il est élu en novembre. Il présente ses tarifs de 2018-2019 comme des réussites et propose une batterie de mesures tarifaires plus étendue, y compris un tarif douanier « de base » de 10 % sur toutes les importations.

PHOTO DOUG MILLS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Donald Trump promet des barrières tarifaires plus élevées s’il est élu président au mois de novembre. On le voit ci-dessus le 8 mars 2018 signant un décret imposant des droits de douane de 25 % sur les importations d’acier.

Tant les démocrates que les républicains se montrent enclins à protéger l’industrie américaine ces dernières années, après des décennies durant lesquelles le commerce et l’approvisionnement se sont mondialisés, faisant fermer de nombreuses usines américaines.

Le président Joe Biden a réduit les tarifs imposés à l’Europe par M. Trump. Mais pas les tarifs sur les produits chinois. L’administration Biden envisage même d’augmenter encore les droits de douane sur certains produits stratégiques comme les véhicules électriques.

Selon les partisans des tarifs, ils dissuadent la Chine d’inonder les États-Unis de produits bon marché, protégeant le secteur manufacturier américain et générant des recettes pour le gouvernement fédéral.

Mais selon ceux qui en sont critiques, les tarifs augmentent les prix pour les consommateurs américains, particulièrement les gagne-petit, qui consacrent une plus grande proportion de leur revenu à l’essentiel. Les tarifs dopent aussi le coût des intrants étrangers des fabricants américains, ce qui rend leur exportation plus chère et moins compétitive.

Pendant le mandat de M. Trump, les tarifs américains moyens sur les produits chinois sont passés de 3,1 % à 21 % en deux ans, tandis que les droits de douane chinois moyens sur les produits américains sont passés de 8 % à 21,8 %, indique l’étude.

Les auteurs ignorent pourquoi les droits de douane n’ont pas créé plus d’emplois aux États-Unis. Peut-être les entreprises ont-elles simplement importé des produits d’autres pays à bas coût, plutôt que de Chine (ce que suggèrent les données commerciales).

Dans certains cas, dit M. Dorn, les secteurs que M. Trump a protégés ont augmenté leurs revenus ; il se peut que les entreprises américaines aient constaté qu’elles pouvaient augmenter leurs prix après les tarifs sans augmenter leur production.

Il reste encore à déterminer si les tarifs – qui n’ont pas généré de gains d’emplois substantiels pendant la guerre commerciale – pourraient créer plus d’emplois sur des périodes plus longues, ajoute l’étude.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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