La vigueur étonnante de l’économie américaine donne un coup de pouce inattendu à l’économie canadienne, qui flirte avec la récession, estime l’économiste en chef de Desjardins, Jimmy Jean, qui, avec Emna Braham, directrice générale de l’Institut du Québec, faisait le point lundi sur les perspectives économiques de 2024.

Un coup de pouce des exportations

La récession tant télégraphiée ne s’est pas matérialisée aux États-Unis, dont l’économie fait preuve d’une résilience surprenante. « Si on regarde les derniers chiffres, c’est mieux que ce que les plus optimistes des prévisionnistes attendaient », a souligné Jimmy Jean. Desjardins s’attend maintenant à une croissance de 2 % de l’économie américaine cette année. Son économiste est d’avis que cette vigueur a joué un rôle dans le rebond de l’activité économique au Canada au quatrième trimestre, en soutenant les exportations de biens. Le produit intérieur brut du Canada aurait augmenté de 1,2 % au dernier trimestre de 2023, selon les estimations préliminaires de Statistique Canada.

Du protectionnisme des deux côtés

Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle américaine de novembre prochain, le Canada n’échappera pas au protectionnisme américain, selon Desjardins. Républicains comme démocrates devraient continuer de garder la ligne dure contre la Chine, prévoit Jimmy Jean. Envers le Canada, « l’approche des républicains serait plus confrontante », selon lui. Il faut s’attendre, par exemple, à ce qu’une administration républicaine veuille renégocier l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis–Mexique, qui doit faire l’objet d’une révision en 2025. Une administration Biden, avec l’Inflation Reduction Act, serait probablement plus conciliante avec le Canada, qui possède des minéraux critiques indispensables à la réalisation de ce programme.

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Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins

Six baisses de taux d’intérêt

La Banque du Canada a fait les trois quarts du chemin vers le retour à la cible de 2 % de l’inflation, mais ce qui reste à parcourir pourrait prendre plus de temps. Malgré tout, l’économiste en chef de Desjardins estime que l’économie canadienne a assez ralenti pour permettre à la banque centrale de commencer à réduire son taux directeur dès ce printemps. Desjardins prévoit six baisses de taux cette année et cinq autres en 2025, ce qui ramènerait le taux directeur à 2,5 % à la fin de l’année prochaine. « En commençant bientôt et en y allant graduellement, la Banque du Canada éviterait d’aggraver les retards dans l’investissement », dit-il. Toutes les banques centrales, comme la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne, sont rendues au même point, mais la Banque du Canada devrait enclencher la baisse des taux avant les autres, selon lui.

Emploi : des pénuries moins aiguës

L’économie québécoise a créé 67 000 emplois en 2023, un rythme insuffisant pour absorber l’augmentation de la population en âge de travailler. Malgré cette augmentation, 32 % des entreprises québécoises estiment que le manque de main-d’œuvre est leur principale préoccupation, contre 26 % dans le reste du Canada, selon l’Institut du Québec. La rareté de la main-d’œuvre a évolué pour se concentrer dans le secteur de la santé et le secteur manufacturier, note sa directrice générale Emna Braham, alors qu’elle était plus généralisée dans l’hébergement, la restauration et le commerce de détail il y a un an.

L’investissement reste à plat

Malgré la rareté de la main-d’œuvre, les entreprises québécoises ne prévoient pas investir davantage, constate Emna Braham, directrice de l’Institut du Québec. Les intentions d’investissement des entreprises sont même en baisse, ce qui peut s’expliquer actuellement par les coûts d’emprunt élevés. Mais le faible niveau des investissements est un problème depuis longtemps, et les entreprises hésitent encore à prendre des mesures pour s’affranchir de leurs problèmes de main-d’œuvre. « Le défi démographique est là pour durer, et la productivité est plus faible au Québec qu’au Canada », souligne-t-elle.

L’OCDE est plus optimiste

Plus optimiste, l’Organisation de coopération et de développement économiques relève ses prévisions de croissance de l’économie mondiale de 2,7 % à 2,9 % pour 2024. Dans son rapport trimestriel, l’OCDE souligne la performance meilleure que prévu de l’économie américaine, dont la croissance attendue est de 2,1 % plutôt que 1,5 % dans ses prévisions précédentes. En Europe, la croissance sera ralentie par les difficultés des deux principales économies de la zone euro, la France et l’Allemagne, dont la croissance respective de 0,6 % et 0,3 %, bien que rehaussée, reste faible. Quant à l’inflation, elle devrait ralentir dans la plupart des pays du G20 pour afficher une moyenne de 2,6 %, sous réserve d’une aggravation des conflits en mer Rouge et au Moyen-Orient qui pourrait relancer l’inflation et nuire à la croissance.

La Presse et l’Agence France-Presse