Dans la foulée de la controverse des derniers jours, Bombardier a annoncé dimanche soir le report jusqu'en 2020 de plus de la moitié de la rémunération des membres de sa haute direction pour l'année 2016. Jusqu'ici, ces sommes devaient être reportées jusqu'en 2019.

Quelques heures après une manifestation sans précédent devant le siège social de Bombardier, l'entreprise a apporté hier soir une légère modification à la rémunération de ses grands patrons.

Les attributions en actions et en options, qui représentent plus de la moitié de la rémunération de 32,4 millions US consentie aux six plus hauts dirigeants de Bombardier pour 2016, seront reportées jusqu'en 2020, dernière année du plan de redressement de l'entreprise. Jusqu'ici, ces bonis devaient être versés en 2019.

« C'est équitable de ne pas rémunérer les gens tant que le travail n'est pas complété, et le fait que plus de 50 % de la rémunération est différé en 2020 en fonction de critères de performance, je pense que ça aligne les intérêts des Québécois et ceux des actionnaires de Bombardier », a déclaré hier soir à La Presse le PDG de Bombardier, Alain Bellemare.

Ce dernier s'est attribué en partie la responsabilité de la controverse qui sévit depuis le dévoilement de la hausse de la rémunération des hauts dirigeants de Bombardier, mercredi. « Je pense qu'on aurait pu faire une meilleure job de communication, a-t-il admis. J'ai été surpris de la réaction, mais je comprends. Les Québécois ont Bombardier à coeur. »

LES PRIMES RESTENT

Or, même si Bombardier a été renflouée par 2,5 milliards US de fonds publics l'an dernier, la haute direction n'a pas à se priver de ses primes de rendement en argent, qui se chiffrent à près de 7 millions US, a estimé M. Bellemare.

« Je suis allé chercher les meilleurs dans l'industrie aux États-Unis et en Europe, a-t-il justifié. On s'est bâti une équipe de classe mondiale. Ça nécessite un niveau de rémunération qui nous permet d'attirer des gens de partout à travers le monde, mais aussi de les retenir. »

« On a besoin de la meilleure équipe possible pour compléter notre plan de redressement. » - Alain Bellemare, PDG de Bombardier

La rémunération des six plus hauts dirigeants de Bombardier pour 2016 est 48 % plus élevée que celle de 2015. La hausse est toutefois exacerbée par le fait que cinq des six patrons sont entrés en poste au cours de l'année 2015 (les comparaisons sont effectuées sur la base des individus et non des postes).

Sur Twitter, le premier ministre Philippe Couillard s'est dit « satisfait » de l'annonce de Bombardier. Un peu plus tôt, il avait indiqué s'être entretenu avec Alain Bellamare et lui avoir « transmis de vive voix nos préoccupations et celles des Québécois ».

Le chef de l'opposition, Jean-François Lisée, s'est montré beaucoup plus critique, réclamant l'« annulation » plutôt que le report des hausses de rémunération des dirigeants de l'entreprise.

MANIFESTATION

Fait rarissime, quelque 200 personnes ont protesté hier contre la hausse de la rémunération des patrons de Bombardier devant le siège social de la multinationale sur le boulevard René-Lévesque. Les émoluments des patrons de grandes entreprises suscitent régulièrement des commentaires acerbes, mais il est extrêmement rare qu'ils entraînent des manifestations, du moins en Amérique du Nord.

Bombardier est toutefois scrutée à la loupe depuis que l'entreprise a reçu 1 milliard US du gouvernement du Québec et 1,5 milliard US de la Caisse de dépôt et placement du Québec. De plus, l'entreprise connaît des relations tendues avec ses salariés en raison des 14 500 licenciements annoncés l'an dernier.

Alain Bellemare s'est dit sensible aux réactions de la population. « Ça m'a fait quelque chose parce que je suis québécois. Je comprends que les Québécois n'étaient pas contents et j'espère que maintenant, on a rétabli la situation. »

LE FIL DES ÉVÉNEMENTS

MERCREDI 29 MARS

Bombardier publie sa circulaire de la direction en vue de l'assemblée annuelle des actionnaires du 11 mai. On y apprend que la rémunération de la haute direction a augmenté de 48 % en 2016 pour atteindre 32,4 millions US.

JEUDI 30 MARS

Le premier ministre Philippe Couillard affirme que la rémunération des dirigeants de Bombardier est « fondamentalement une question qui regarde l'entreprise et ses actionnaires ». De son côté, le premier ministre Justin Trudeau refuse de condamner la situation, se disant en faveur de la « libre entreprise ».

VENDREDI 31 MARS

Se disant « choqué » par la hausse de 48 %, le ministre des Finances du Québec Carlos Leitão demande au conseil de Bombardier de revoir sa politique de rémunération. En soirée, le président du conseil de l'entreprise, Pierre Beaudoin, annonce qu'il demandera que sa rémunération pour 2016, qui devait atteindre 5,25 millions US, soit ramenée au niveau de celle de 2015, soit 3,85 millions US.

SAMEDI 1ER AVRIL

Dans une lettre ouverte publiée dans La Presse, le président du comité des ressources humaines du conseil d'administration de Bombardier, Jean Monty, assure que les pratiques de rémunération de l'entreprise sont « saines ».

DIMANCHE 2 AVRIL

Environ 200 personnes, y compris des représentants de syndicats, du Parti québécois, de la Coalition avenir Québec et de Québec solidaire, manifestent devant le siège social de Bombardier. En soirée, l'entreprise annonce que plus de la moitié de la rémunération de ses six plus hauts dirigeants pour 2016 sera reportée en 2020 plutôt qu'en 2019.