La relation entre transformateurs et détaillants est tendue, ces derniers refusant parfois d’absorber une partie de l’augmentation des prix à la ferme

L’augmentation de 8,4 % du prix du lait à la ferme provoque une véritable partie de bras de fer entre des transformateurs et des détaillants. Les entreprises productrices de yogourt, de fromage et même de lait de consommation peinent à refiler une partie de cette hausse aux supermarchés, qui, dans certains cas, ne consentent qu’à des augmentations de coûts pouvant aller de 2 % à 6 %, rapporte le Conseil des industriels laitiers du Québec (CILQ).

« Je comprends que le détaillant veuille minimiser son augmentation. Mais il faut qu’il accepte que ses partenaires ont des coûts eux aussi à assumer », affirme Charles Langlois, président-directeur général du CILQ.

Certains transformateurs doivent même parfois brandir la menace de ne plus approvisionner les chaînes qui refuseront de payer plus cher les produits, ont affirmé à La Presse deux entreprises du secteur laitier qui préféraient ne pas être nommées pour ne pas nuire à leurs relations d’affaires. Elles ont récemment mené de rudes batailles pour faire accepter leurs augmentations. On nous a également confié que les négociations avec certaines enseignes étaient plus difficiles qu’avec d’autres.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Certains transformateurs doivent brandir la menace de ne plus approvisionner les chaînes qui refuseront de payer plus cher les produits.

Cette situation a maintes fois été rapportée à Charles Langlois. Ce dernier explique que plusieurs entreprises se retrouvent devant un dilemme : cesser de livrer dans les magasins où l’on refuse les augmentations de coûts ou vendre à perte. « Ce ne sont pas des solutions intéressantes. »

« Le coût du lait, c’est un coût réglementé avec lequel on vit. On n’est pas là pour dire que cette augmentation-là n’est pas justifiée, on sait que l’inflation a touché tout le monde », tient-il à souligner.

Cela dit, on a des coûts en plus : des coûts de transport, d’emballage et toutes les mesures qu’on a dû mettre en place pour protéger nos employés. Il faut à un moment donné que le transformateur soit capable de transférer ces coûts-là à son client [le détaillant].

Charles Langlois, président-directeur général du Conseil des industriels laitiers du Québec

Selon lui, la tension entre ces deux acteurs de l’industrie agroalimentaire a « empiré » récemment. « Ça fait plusieurs années que les transformateurs se plaignent de cette situation-là à propos de leurs relations avec les détaillants et, jusqu’à maintenant, les transformateurs absorbaient les coûts. Mais là, les gens disent : “On n’est plus capables, ça nous prend un niveau de rentabilité.” »

Hausse à l’emballage

« Les hausses de prix sont nécessaires pour tout le monde de tout bord, tout côté, affirme Nathan Kaiser, copropriétaire de la Laiterie Chagnon, qui refuse toutefois d’émettre des commentaires sur les relations entre les chaînes et les transformateurs. Tout le monde a la tâche difficile de garder son entreprise rentable et de garder le consommateur heureux. »

En plus du prix du lait, les coûts liés à l’emballage (pots de verre, carton, bouchon) sont aussi à la hausse, rappelle-t-il. Le yogourt, le beurre et la crème glacée de cette entreprise située à Waterloo sont vendus en exclusivité chez Sobeys (IGA). La laiterie Chagnon ne négocie donc qu’avec une seule enseigne. Malgré tout, M. Kaiser estime que les supermarchés bataillent surtout pour avoir un meilleur prix que leur concurrent.

« Les chaînes sont dans une situation où elles ne sont pas au courant des négociations qu’a une entreprise avec une autre chaîne. C’est là que ça devient très compétitif. Elles ne veulent pas que leurs produits soient plus chers que dans l’autre chaîne. Elles ne négocient pas nécessairement contre les manufacturiers. C’est plus qu’elles veulent être certaines d’avoir le meilleur prix. »

Du côté du Conseil canadien du commerce de détail, qui représente toutes les grandes enseignes (IGA, Metro, Loblaw, Costco, Walmart), le directeur des relations gouvernementales, Francis Mailly reconnaît que « la pression est sur tout le monde » en ce moment.

La priorité, c’est de respecter la capacité de payer du consommateur. Il faut aussi faire en sorte de protéger la catégorie, parce que s’il y a des augmentations trop drastiques, il y a des produits de remplacement qui prennent la place.

Francis Mailly, directeur des relations gouvernementales du Conseil canadien du commerce de détail

Lait de consommation

Par ailleurs, bien que le prix du lait à la ferme soit réglementé par la Commission canadienne du lait et que son coût affiché dans les frigos des supermarchés au Québec est déterminé par la Régie des marchés agricoles, il n’y a pas d’encadrement entre les deux, soit le prix payé par le détaillant au transformateur de lait de consommation, tient à rappeler le CILQ. Résultat : ces transformateurs ont également du mal à négocier des hausses de prix, confirme Charles Langlois.

Dans la plupart des régions du Québec, depuis le 31 janvier, la Régie a fixé un prix minimum au détail pour un contenant de deux litres de 2 % de matières grasses à 3,78 $ et un coût maximum de 4,10 $. L’an dernier, ce même format était vendu entre 3,58 $ et 3,90 $.

« L’entrée et la sortie sont réglementées avec des plafonds et des minimums. Mais entre les deux, il ne l’est pas, résume Francis Mailly. Ces négociations-là entre les compagnies ne sont pas réglementées. Il faut essayer de trouver un équilibre à travers tout ça. »

En l’absence d’encadrement, les transformateurs réclament la mise en place d’un code de bonne pratique pour assainir leurs relations avec les supermarchés. En ce moment, les ministres de l’Agriculture du pays planchent sur l’élaboration d’un document qui sera vraisemblablement prêt en avril.

En savoir plus
  • 3,78 $
    Prix minimum de détail pour un contenant de deux litres de lait 2 % de matières grasses
    RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES DU QUÉBEC
    4,10 $
    Prix maximum de détail pour un contenant de deux litres de lait 2 % de matières grasses
    RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES DU QUÉBEC