Suncor traîne Québec devant les tribunaux et écorche au passage la Caisse de dépôt et placement du Québec et la Société de transport de Montréal (STM), les accusant de vouloir mettre fin aux activités de distribution d’essence dans l’île de Montréal.

Dans une requête contenant certaines affirmations étonnantes, le géant pétrolier albertain dénonce les avis de réserve foncière et d’expropriation qui ont ciblé trois de ses stations-services depuis 2018. Québec a réquisitionné ces commerces de l’enseigne Petro-Canada pour faire place au REM de l’Est et au prolongement de la ligne bleue du métro.

Suncor soutient que les réserves foncières visent en réalité des objectifs « autres » que la réalisation de projets de transport collectif. « Le véritable motif poursuivi par l’intimé est la fermeture de trois postes d’essence », avance l’entreprise évaluée à 60 milliards de dollars en Bourse.

La requête déposée le 31 mars à la Cour supérieure vise surtout le ministère des Transports du Québec (MTQ). En vertu de la loi, c’est le MTQ qui est responsable de procéder aux expropriations pour le compte de CDPQ Infra, la filiale de la Caisse qui pilote le Réseau express métropolitain (REM) de l’Est, et de la STM (ligne bleue).

« Non seulement [le MTQ] exerce-t-il le pouvoir d’imposer une réserve pour des fins autres que celles invoquées, mais au surplus, la véritable fin poursuivie par l’exercice de ce pouvoir exorbitant est une fin impropre et illégale », avance Suncor.

« Ni la Caisse de dépôt et placement du Québec ni la Société de transport de Montréal ne sont habilitées à exercer leurs pouvoirs dans le seul but de mettre fin aux opérations de distribution d’essence dans l’île de Montréal », ajoute le groupe dans sa requête.

Les avocats québécois de Suncor ont refusé de fournir davantage d’explications sur les affirmations-chocs contenues dans leur requête, puisque « cette affaire est devant les tribunaux ». La porte-parole du groupe a refusé de formuler des commentaires pour la même raison.

REM de l’Est

Cette procédure fait suite à un avis de réserve foncière envoyé en février 2022 à Suncor par le Procureur général du Québec, pour le compte du MTQ. Le poste d’essence visé se trouve sur un terrain qui a été désigné pour accueillir une station du REM de l’Est, à l’angle des rues Sherbrooke et Saint-Jean-Baptiste. Le projet de train léger de 32 kilomètres de CDPQ Infra doit relier le centre-ville à la pointe est de l’île de Montréal.

Suncor demande à la Cour de déclarer « invalide, nul et illégal » cet avis. Parmi ses arguments, le groupe avance que Québec « n’a pas le pouvoir » d’imposer une réserve foncière sur cette station-service, puisque celle-ci se trouve à proximité de la raffinerie exploitée par Suncor dans l’est de la métropole.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le poste d’essence de l’enseigne Petro-Canada situé à l’angle des rues Sherbrooke et Saint-Jean-Baptiste

L’entreprise rappelle que c’est la troisième fois qu’une de ses stations-services est visée par une telle manœuvre depuis 2018 à Montréal.

Le MTQ a d’abord visé un poste d’essence situé dans l’arrondissement de Saint-Léonard pour faire place au prolongement de la ligne bleue. L’avis d’expropriation formel a été envoyé en 2018, le transfert de propriété a eu lieu en 2020, mais « aucun travail n’a été entrepris sur ce site et aucun échéancier n’a encore été transmis à la requérante », déplore Suncor.

Québec a délivré en février 2022 deux autres avis de réserves foncières sur des immeubles de Suncor situés à l’angle des rues Jarry et Lacordaire, toujours dans le cadre du projet de la ligne bleue, dénonce l’entreprise.

Le MTQ n’a pas voulu commenter la requête de Suncor en raison du processus judiciaire en cours, tandis que la STM a dirigé nos questions au Ministère.

Expropriations coûteuses

Le coût des expropriations liées au projet de la ligne bleue a presque quadruplé de 2018 à 2021, pour atteindre 1,2 milliard. Québec a ordonné une cure minceur, qui a mené à l’annonce d’une nouvelle mouture le mois dernier. Le budget révisé du prolongement de 5,8 kilomètres s’établira entre 5,8 et 6,4 milliards, et la mise en service est prévue en 2029.

Le sort du REM de l’Est, quant à lui, est en suspens. Le projet de CDPQ Infra fait l’objet d’une importante contestation en raison du mode aérien choisi pour la majeure partie du tracé. L’étude environnementale qui devait se tenir ce printemps a été reportée à la fin de 2022, tandis que la Ville de Montréal a exigé d’avoir voix au chapitre dans les prochaines étapes de développement de ce projet évalué à 10 milliards.

Sans commenter directement la requête de Suncor, Emmanuelle Rouillard-Moreau, porte-parole de CDPQ Infra, souligne que « les terrains requis pour le projet ont été établis sur la base de critères techniques, en fonction de l’alignement et de la géométrie du tracé, la position des stations pour maximiser l’achalandage, l’analyse des contraintes de sols et/ou de la présence d’autres infrastructures ».

Elle ajoute que la planification du REM de l’Est se poursuit et que « l’objectif demeure de limiter au maximum les impacts sur les terrains requis ».