Deux ans plus tard, nous prenons des nouvelles des entrepreneurs qui ont témoigné de leurs difficultés, alors que la pandémie paralysait l’économie. Aujourd’hui : Kata Éditeur.

Kata Éditeur. Kata comme catastrophe. La toute jeune maison fondée en 2019 par Luca Palladino édite des livres jeunesse pour sensibiliser ses jeunes lecteurs aux enjeux de l’environnement et de la société.

Le lancement de ses deux premiers titres, Comment transformer une banane en vélo et La croqueuse de pierre, était prévu le 6 avril 2020. Le troisième, planifié pour l’automne 2020, allait décrire les lendemains d’une pandémie dans un Montréal pas si lointain.

La Banane avait été tiré à 1500 exemplaires. La Croqueuse, à 2000.

« On était ambitieux, optimistes », se rappelle Luca Palladino.

Mais la pandémie, la vraie, a frappé la première. Le lancement n’a jamais eu lieu. Les librairies ont fermé. Les précieux salons et festivals de livres jeunesse ont été annulés.

La cata.

Un appartement d’édition

Le 25 mai 2022, Luca Palladino nous accueille dans ce qu’il appelle le « quartier général » de sa maison d’édition.

Un appartement d’édition, dirait-on plutôt.

Il habite au cœur de son entreprise. Et son entreprise est au cœur de sa vie.

Dans la salle à manger de leur logement montréalais, sa conjointe, Patricia, porte dans ses bras leur petit poupon Orion, âgé de 8 mois. Un autre projet réalisé durant la pandémie.

Manifestement, il y a eu progrès depuis la dernière conversation tenue deux ans plus tôt : il nous présente sa directrice des communications, Cloé Lavoie, sa première employée, engagée à temps partiel l’automne dernier. Elle avait commencé à collaborer avec Kata comme pigiste en février 2020.

Récession et dépression

Que s’est-il passé depuis mai 2020 ?

À l’époque, Luca Palladino avait mis sur pied un site de vente en ligne, en espérant la réouverture prochaine des librairies.

« C’était hyper décourageant », se rappelle-t-il, alors que Cloé approuve. « Je te dirais, bien honnêtement, je suis entré dans une mini-dépression, pendant trois ou quatre mois. »

En août 2020, quand il a reçu les premiers résultats de ventes après la réouverture des librairies, son moral a pris une courbe aussi ascendante que son chiffre d’affaires.

Cette fois, il utilise la formule inverse : « C’était super encourageant. Ça nous a donné un boost. »

Il désigne l’album Comment transformer une banane en vélo, déposé sur la table basse du salon. « On a fait des bonnes ventes, surtout avec ce livre-là, qui est devenu un classique pour nous et pour le public. »

Extrait de l’article du 13 mai 2020

Son distributeur lui avait annoncé en mars la fermeture de son entrepôt, qui détenait l’ensemble de la courte production de l’éditeur.

Heureusement, peu de temps auparavant, Luca Palladino était allé chercher 750 exemplaires de ses livres, qu’il avait déposés dans […] sa résidence montréalaise.

Les 750 livres

Peu de temps avant que le confinement paralyse son distributeur, il avait stocké 750 livres dans son appartement.

Avec la réouverture des librairies, a-t-il retourné les livres au distributeur ?

« Non... », commence-t-il.

En guise de réponse, il tend nerveusement la main vers un des livres déposés sur la table basse et renverse la tasse de café qui y était posée. Le sujet semble sensible. L’explication viendra après l’épongeage du dégât.

Les boîtes toujours entreposées chez lui sont remplies d’exemplaires de La croqueuse de pierres, dont les ventes décevantes ont pris à ses yeux la couleur d’un échec.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Luca Palladino, propriétaire et éditeur de Kata édition

Quand on part une petite entreprise, ce qu’on veut mettre de l’avant, c’est le succès. Une chambre remplie de livres, ce n’est jamais une marque de succès. C’est ça, la partie sensible.

Luca Palladino, propriétaire et éditeur de Kata édition

Cloé Lavoie le corrige aussitôt : « Ce n’est pas un échec, c’est un livre qui vend encore. »

Symbole de l’incertitude du métier d’éditeur, le troisième titre, celui qui portait sur un Montréal décimé par une pandémie, lancé à l’automne 2020 sous forme de roman illustré, a connu un succès inattendu. « Ça a parlé aux ados, relate Luca Palladino. C’était différent et on ne s’attendait pas du tout à ça. Chaque fois qu’on sort un livre maintenant, on le fait avec un peu plus d’humilité, et on se dit : on verra, et on réimprimera. »

Le papier

Après une année 2020 sous le signe de la pandémie, l’année 2021 fut celle de la transition, affirme l’éditeur.

Il a rencontré ses premiers lecteurs en chair et en os au Festival de littérature jeunesse de Montréal, en août 2021.

« Ça m’a donné tellement d’énergie de rencontrer les gens ! lance-t-il. Quand tu vois un enfant choisir un livre, ça te donne tellement d’informations sur quel genre de lecteur il est, quels sont ses goûts, comment ça fonctionne dans sa tête. Et quelquefois, tu ne comprends rien du tout. »

En 2021, six titres se sont ajoutés aux trois premiers parus en 2020.

Mais une autre cata s’est alors présentée : la flambée du papier. Ou de son prix, plus exactement. « Bien avant qu’on parle d’inflation », précise Luca Palladino.

Or, il tient mordicus à ne pas imprimer au rabais en Chine. Hormis ses deux premiers titres, imprimés en Lettonie, tous ses ouvrages sont produits au Québec.

Heureusement, d’autres maisons d’édition l’ont invité à se joindre à un regroupement qui leur permet d’éditer à moindre coût.

« On n’a pas changé le prix de nos livres, assure-t-il, malgré que le prix du papier augmente de 10 % chaque trois mois. »

Planète rebelle

L’année 2022 est plutôt celle du chaos, dit-il.

Le 1er janvier dernier, Luca Palladino est devenu officiellement propriétaire des Éditions Planète rebelle, spécialisées dans le conte et l’oralité, souvent sous forme de livres-CD audio.

« Planète rebelle était en vente depuis septembre et ne trouvait pas d’acheteur. J’ai contacté [la propriétaire] Marie-Fleurette Beaudoin et ça s’est fait assez rapidement. On avait des atomes crochus. Moi, je viens d’un background folklorique québécois, dans une autre vie. Pendant 20 ans, j’ai fait de la danse et de la chorégraphie de danse folklorique. »

Stupéfaction dans le salon du livre, c’est-à-dire celui de l’appartement.

« Je l’apprends en même temps ! », lance Cloé Lavoie en riant.

L’hiver 2022 a été consacré à apprivoiser ce nouvel hybride, doté d’un catalogue de quelque 230 titres.

Les deux employées de Planète rebelle se sont jointes à Cloé Lavoie et Anne-Laure Jean, directrice artistique de Kata depuis novembre 2021.

« Avant, Kata était une équipe de pigistes. Maintenant, on est une équipe qui se consolide avec quatre employés. Je n’y crois même pas quand je le dis », s’exclame Luca Palladino, alors que le petit Orion, en arrière-plan sonore, fait connaître son approbation.

Il va chercher des exemplaires de ses deux prochains livres : Camille la vache et Le jardin d’Églantine.

« La nouveauté, c’est que quand on ouvre les pages de garde, on voit qu’il y a de l’information documentaire », décrit-il en les feuilletant.

Ici, cette information a trait à la culture biologique et responsable.

Car il y a une cata alimentaire à prévenir.