Quelques jours après la panne de réseau chez Rogers ayant affecté plus de 10 millions de Canadiens et des centaines de milliers d’entreprises, des experts y voient des éléments positifs et tiennent à relativiser l’évènement.

Alors que Rogers explique que la panne a été provoquée par une mise à jour de maintenance, l’analyste Adam Shine, de la Financière Banque Nationale, dit préférer une erreur humaine ou une erreur liée à un logiciel plutôt qu’un problème causé par un sous-investissement dans le réseau, une défaillance d’équipement ou de plus sérieux ennuis récurrents.

S’il y a un aspect positif, dit-il dans un rapport publié mardi, c’est que la panne est survenue avant une utilisation beaucoup plus complexe du réseau 5G qui doit par exemple appuyer des interventions chirurgicales à distance et la conduite autonome de véhicules sur nos routes.

On convient tous des inconvénients, mais il n’y a pas eu mort d’homme même s’il y a mille histoires d’horreurs qui découlent de cette panne.

Pierre C. Bélanger, professeur de l’Université d’Ottawa

Ce spécialiste en réglementation des télécommunications tient à relativiser l’incident qui a débuté vendredi et qui s’est prolongé durant le week-end.

« C’est le beau risque de ces méga-infrastructures véhiculant un volume incalculable de données. Ce sont ces mêmes infrastructures qui ont permis à la terre de continuer à tourner depuis deux ans. Gardons ça en tête », explique M. Bélanger.

L’évènement lui rappelle la crise du verglas. « Ça prend des commotions comme celle-là pour changer des choses », dit-il.

« Les ingénieurs des entreprises de télécommunications canadiennes vont avoir un lac-à-l’épaule au retour des vacances à la mi-octobre pour s’assurer de mettre en place un filet de sécurité. On apprend de la mésaventure d’un grand joueur, mais la concurrence peut s’estimer heureuse de ne pas avoir vécu une telle situation parce que des mises à jour, il s’en fait chaque semaine. »

Le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a demandé lundi aux dirigeants des entreprises de télécommunications du pays d’arriver à un accord formel d’ici 60 jours entourant l’itinérance d’urgence et l’assistance mutuelle.

« C’est la bonne nouvelle de cette catastrophe. Attendez-vous à de la collaboration à l’avenir. C’est bénéfique et indispensable dans ce secteur compte tenu de l’importance que ça occupe dans nos vies », commente Pierre C. Bélanger.

Le CRTC enquêtera

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a indiqué mardi qu’il ordonne à Rogers de fournir une explication exhaustive d’ici le 22 juillet. L’organisme demande à Rogers de préciser pourquoi et comment la panne s’est produite, ainsi que les mesures prises pour prévenir les pannes futures.

Alors que le CRTC lance son enquête et que Rogers a annoncé mardi qu’un crédit équivalant à cinq jours de service sera accordé à ses clients, Pierre C. Bélanger croit que les fournisseurs d’équipement et de technologie pourraient faire partie de l’explication.

« Fais-tu affaire avec Cisco, un fournisseur allemand ou d’un autre pays ? Parfois, une concoction d’un fournisseur japonais avec un allemand et un australien peut causer un pépin. »

Il est même étonnant, selon Pierre C. Bélanger, que des pépins techniques ne surviennent pas plus souvent compte tenu du volume, de la vitesse et de la qualité des systèmes (image, son, synchronisation).

Pour ce spécialiste, si la réaction du public et des autorités est si forte, c’est notamment parce qu’en télécommunications, on s’est convaincu qu’une panne est inadmissible surtout parce que ça fait 25 ans qu’on dit aux Canadiens qu’ils sont parmi ceux qui paient le plus cher au monde.

Il n’y a pas beaucoup de marge d’erreur parce qu’en France, par exemple, les entreprises de télécommunications facturent la moitié des tarifs d’ici. Et n’oublions pas que les télécoms sont les entreprises qu’on aime haïr. Justin Trudeau est arrivé au pouvoir avec l’intention de faire baisser les tarifs.

Pierre C. Bélanger

Les entreprises de télécommunications font valoir le coût élevé pour bâtir et gérer leurs infrastructures.

« Le Canada n’est pas le Liechtenstein. Les entreprises diront qu’elles doivent installer une antenne au Nunavut, trois autres sur une île où il y a 22 000 personnes, etc. et que lorsqu’elles doivent envoyer des gens effectuer une réparation sur une ligne, ils doivent faire quatre heures de route pour se rendre et prendre deux jours pour réaliser le travail. Elle est là, l’explication pour les tarifs. Elle est géographique. »

Pierre C. Bélanger souligne que des pannes surviennent aussi dans d’autres industries en pensant notamment aux réseaux électriques et au transport par métro.

« C’est extraordinaire qu’il y ait si peu de pannes en télécoms ! Il y a peut-être un ingénieur qui en a échappé une. Ça reste un freak accident. C’est peut-être aussi une période de l’année où l’ingénieur en chef est en vacances. L’histoire nous le dira. Ce n’est pas arrivé un 21 octobre. Aujourd’hui, nous sommes entre deux saisons et il y a beaucoup de gens en voyage avec leurs enfants. Est-ce un hasard que ça arrive à ce moment-là ? Vous pouvez être certain que Rogers pourrait nous dire qu’après enquête, la direction s’est aperçue que son quart-arrière était absent cette semaine-là. »