« J’aimerais acheter des actions, mais la période d’interdiction m’en empêche jusqu’à deux jours après le dévoilement des résultats financiers. »

Le 22 juillet, le vice-président aux affaires corporatives chez PyroGenèse, Steve McCormick, a publié sous son pseudonyme ce message sur le babillard CEO.ca.

« C’est précisément le type d’intervention particulièrement risquée qu’il faut éviter. Ça expose beaucoup l’entreprise et ses dirigeants », commente le président de l’Institut sur la gouvernance, François Dauphin.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE L’INTERNET

Le message de Steve McCormick sur le babillard CEO.ca

La Presse a publié mardi un article à propos de la présence fréquente d’un dirigeant de PyroGenèse sur des babillards boursiers, ce qui a poussé un lecteur à porter à notre attention ce message en particulier.

Lire « Les pratiques “inhabituelles” de PyroGenèse »

Le reportage soulevait que la présence sur les forums de discussion d’un membre de la direction d’une entreprise cotée à la Bourse de Toronto et au NASDAQ est jugée « risquée » et « non recommandée ».

« Il y a une trentaine d’années, les gens passaient par des courtiers pour faire du pumping avec de l’information pseudo-privilégiée sur les petites entreprises, rappelle M. Dauphin. On n’est plus là aujourd’hui. Il faut être extrêmement prudent quand on fait des interventions de cette nature-là. C’est à proscrire. »

François Dauphin craint que ce type de messages puisse provoquer une surévaluation injustifiée d’un titre en anticipation de la présentation d’états financiers et donc, une tentative de manipuler le marché.

Interpellée spécifiquement à propos du message publié par Steve McCormick le 22 juillet, la direction de PyroGenèse, par l’entremise de sa vice-présidente aux relations avec les investisseurs, Rodayna Kafal, a cependant indiqué mardi par courriel que l’entreprise n’est pas préoccupée par ses publications, « que les investisseurs ont trouvé à la fois informatives et précieuses ».

« Étant donné qu’il est facilement l’une des personnes les plus mentionnées, suivies et avec lesquelles on interagit le plus sur les forums de PyroGenèse, et l’une des rares personnes dont le profil indique de manière transparente la profession et le titre de son poste, toute suggestion selon laquelle Steve McCormick est remis en question est totalement incorrecte », indique-t-elle.

Le président vendait des actions

PyroGenèse a annoncé tard vendredi soir la perte d’un important contrat potentiel. Or, dans les quatre jours ayant précédé l’annonce, son PDG Peter Pascali a vendu des actions appartenant à une fiducie qu’il contrôle. Un bloc d’actions a notamment été vendu le jour de l’annonce.

Peter Pascali avait révélé aux autorités une dizaine de jours plus tôt son intention de vendre 750 000 actions détenues par cette fiducie. Dans sa déclaration datée du 26 septembre, il certifiait n’avoir connaissance d’aucun fait ou changement important n’ayant pas encore été dévoilé.

Une fiducie contrôlée par Peter Pascali a ainsi vendu la semaine dernière 164 300 actions, dont 50 000 vendredi. Vendredi soir, PyroGenèse a annoncé que les négociations visant à fournir un système terrestre devant permettre la destruction de produits chimiques étaient « suspendues et interrompues ».

Le client pour ce contrat devait être un « grand opérateur » de réseaux d’eau de ville. L’entreprise avait annoncé en octobre l’an dernier avoir remporté un appel d’offres initial pour fournir un système d’une valeur de 9,2 millions de dollars. Les revenus de l’entreprise ont totalisé 31 millions de dollars lors de son dernier exercice financier.

Peter Pascali a décliné nos demandes d’entrevue, mais l’entreprise a fait savoir par courriel que sa fiducie vend des actions depuis quelques années sur une base « relativement » régulière. « Les régulateurs insistent pour que la fiducie divulgue ce qu’elle va vendre dans les 30 prochains jours. Elle ne peut commencer à vendre que 7 jours après avoir annoncé son intention », précise-t-on.

Peter Pascali est le plus important actionnaire de PyroGenèse avec une participation d’environ 47 %.

L’action de l’entreprise est passée d’une valeur inférieure à 1 $ en 2020 à plus de 12 $ à Toronto l’année dernière, avant de revenir à près de 1 $ aujourd’hui. Le titre a perdu 4 % mardi pour clôturer à 1,32 $ à Toronto.

Installée dans Griffintown, PyroGenèse se présente comme une entreprise technologique qui développe et commercialise des procédés industriels au plasma.

PyroGenèse se défend

La montréalaise PyroGenèse défend ses pratiques au lendemain d’un reportage publié dans La Presse qualifiant de « risquée » et « non recommandée » la présence sur des forums de discussion de cette entreprise cotée à la Bourse de Toronto et au NASDAQ.

« Certains des forums les plus utilisés ont été créés en partie afin de permettre aux investisseurs et aux entreprises de dialoguer en ligne et d’échanger des informations tout en apportant des corrections aux messages erronés », indique par courriel la vice-présidente aux relations avec les investisseurs, Rodayna Kafal.

Le reportage de La Presse soulignait notamment que le vice-président aux affaires corporatives de PyroGenèse, Steve McCormick, publie des messages sur des forums comme Stockhouse et CEO.ca sous le même pseudonyme de « MidtownGuy ».

Il ne le fait toutefois pas de façon totalement anonyme, puisqu’il est possible de connaître sa véritable identité en quelques clics.

Le guide des pratiques exemplaires en matière de communication d’information des Autorités canadiennes en valeurs mobilières indique toutefois qu’une de ces pratiques est de ne jamais répondre sur des forums de discussion.

Rodayna Kafal explique qu’avant de travailler chez PyroGenèse, Steve McCormick était un investisseur privé dans l’entreprise et un participant bien connu des forums d’investisseurs.

« Lorsqu’il a été embauché, et pour des raisons de transparence absolue, nous avons estimé qu’il était approprié de conserver son profil et son nom de profil sur les forums existants, mais en ajoutant son statut et en mettant en avant les déclarations de la société et de M. McCormick concernant son emploi », dit-elle.

Nous ne serons pas intimidés pour avoir communiqué avec les investisseurs, donné accès à un éventail de nos cadres et à leur contexte bien reçu, ou combattu les fausses informations.

Rodayna Kafal

Elle soutient que l’entreprise continue de recevoir des éloges et des remerciements de la part de la communauté des investisseurs pour avoir fourni ce niveau d’accès aux cadres supérieurs.

« Seuls ceux qui ont un ordre du jour trouveraient ce contexte très transparent inapproprié – un niveau de transparence inégalé par l’une des affiches négatives du forum qui se cache derrière de multiples pseudonymes pour rabaisser, insulter et publier des informations calomnieuses sur la société et ses dirigeants, y compris M. McCormick », poursuit Rodayna Kafal dans son courriel.

Toute suggestion des régulateurs visant à modifier leur approche dans quelque domaine que ce soit serait bien sûr acceptée, dit-elle. « Mais nous n’avons jamais reçu de communications des régulateurs indiquant qu’il y avait un problème à résoudre. »

Agoracom

La vice-présidente aux relations avec les investisseurs de PyroGenèse a aussi souhaité revenir sur l’association avec la plateforme Agoracom, dont le fondateur a été sanctionné par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario en 2010 après que le gendarme boursier eut notamment soulevé publiquement qu’un grand nombre de messages sur les forums d’Agoracom étaient rédigés par des employés du site utilisant des pseudonymes.

« Nous comprenons que toute sanction contre Agoracom a été résolue depuis longtemps avec l’organisme de réglementation avant toute relation avec PyroGenesis [PyroGenèse] qui remonte à juin 2017. Les problèmes passés n’ont rien à voir avec les entreprises qui utilisent la plateforme maintenant, y compris la nôtre. Agoracom est probablement l’une des plus sûres pour les investisseurs », précise-t-elle.

Rodayna Kafal affirme que PyroGenèse « fait de la réponse aux investisseurs et de la fourniture d’informations sous toutes les formes possibles un élément clé de sa stratégie de communication avec les investisseurs, et [continuera] à le faire, malgré les attaques constantes et les tentatives de créer de fausses histoires à ce sujet », dit-elle.

À propos des changements apportés chez PyroGenèse pour remédier aux déficiences de contrôle interne de l’information pouvant mener à des inexactitudes dans les états financiers, Rodayna Kafal souligne qu’il est important de comprendre que le NASDAQ prévoit une période d’adaptation pour les entreprises, « ce qui est parfaitement normal. C’est une partie du processus ».

PyroGenèse a migré de la Bourse de croissance vers la Bourse de Toronto et le NASDAQ il y a près de deux ans.

PyroGenèse réclame 90 000 $ à un ex-actionnaire

PyroGenèse et son PDG Peter Pascali réclament 90 000 $ à un ex-actionnaire pour des propos tenus sur des forums de discussion.

Comptable de formation et cadre au sein d’une grande institution financière canadienne, le petit investisseur et ex-actionnaire de PyroGenèse publiait des messages sur le babillard électronique Stockhouse sous un pseudonyme.

Son identité a pu être obtenue par PyroGenèse après que l’entreprise eut décroché une ordonnance de la cour en 2019 pour enjoindre à Stockhouse de la lui révéler. La Presse a accepté de ne pas la dévoiler compte tenu des conséquences importantes que la cause a déjà eues et pourrait continuer d’avoir dans la vie personnelle de cet investisseur.

PyroGenèse et son PDG soulignent dans leur poursuite que de février à avril 2018, le défendeur publiait des messages généralement positifs. Il est cependant devenu plus critique au printemps 2018.

Le défendeur a d’abord souligné que le départ d’un membre du conseil d’administration, Angelos Vlasopoulos, constituait un « drapeau rouge ». Comptable de formation, Angelos Vlasopoulos présidait le comité d’audit chez PyroGenèse.

Les requérants soutiennent que le défendeur a ensuite alimenté la spéculation à propos des états financiers de l’exercice 2017.

Par exemple, le 2 mai 2018, il a mis l’accent sur le règlement d’une réclamation dévoilée par PyroGenèse en lien avec l’achat de droits de propriété intellectuelle auprès d’une société contrôlée par le père du PDG de PyroGenèse. Le défendeur indiquait que l’accord impliquait personnellement Peter Pascali.

Les requérants soutiennent qu’il n’y a aucune entente impliquant Peter Pascali et que le défendeur a effectué une mauvaise interprétation des documents d’entreprise concernant une transaction impliquant le père de Peter Pascali.

Dans sa notice annuelle modifiée datée de novembre 2020, PyroGenèse indique toutefois qu’Angelos Vlasopoulos a démissionné du conseil le 27 avril 2018 après s’être montré d’avis que la réclamation liée à la société contrôlée par le père du PDG n’était pas valide et que le conseil n’agissait pas de façon indépendante.

Joint par La Presse, Angelos Vlasopoulos a répondu ne pas être libre de discuter de questions confidentielles entourant son passage au conseil d’administration de PyroGenèse.

Questions d’éthique

D’autres messages du défendeur ont suivi soulevant des questions d’éthique et de gouvernance, est-il indiqué dans la requête. Le défendeur a par exemple parlé dans ses messages d’une tactique du PDG visant à augmenter son emprise sur PyroGenèse et faciliter la fermeture du capital.

Pour cette raison, précise la poursuite, l’auteur des messages laissait entendre que le PDG avait intérêt à ce que la valeur de l’action soit faible afin de favoriser un scénario de fermeture du capital.

En d’autres mots, le défendeur laissait croire que Peter Pascali torpillait l’entreprise de l’intérieur.

Extrait de la poursuite

C’est cependant en mars 2019 que les requérants jugent que la goutte d’eau ayant fait déborder le vase est tombée.

Après avoir précédemment indiqué que PyroGenèse sous-estimait de 3,4 millions le nombre d’actions en circulation – ce que les poursuivants réfutent –, le défendeur a laissé croire à un lien avec le nombre d’actions personnellement détenues par le PDG.

Le défendeur a évoqué un écart dans le nombre d’actions détenues par Peter Pascali dans la circulaire de direction de 2018 et ce qui apparaissait alors sur SEDI (Système électronique de déclaration des initiés).

Le défendeur suggérait qu’il était possible que le PDG puisse avoir omis de dévoiler une ou plusieurs ventes d’actions.

Le défendeur a par la suite ajouté que si l’omission s’avérait véridique, ça voudrait dire qu’une « grave infraction » aurait été commise et que la conséquence sur PyroGenèse serait « sérieuse » et « préjudiciable ».

Lorsque les requérants ont pris connaissance de ce message, ils affirment avoir réalisé qu’ils n’avaient d’autres choix que de réagir. Le dossier est toujours en procédures en ce moment.

PyroGenèse fournit notamment des torches à plasma, des procédés de traitement des déchets, des procédés métallurgiques à haute température et des services d’ingénierie. Le siège social de l’entreprise est situé dans Griffintown, à Montréal.