Primordiale pour faire sortir l’A220 du rouge, l’accélération de la production se complexifie à Mirabel et à Mobile, en Alabama. Les livraisons plafonnent depuis le début de l’année et le deuxième client en importance, JetBlue, s’attend déjà à recevoir moins d’appareils en 2023.

Pour l’ancienne C Series de Bombardier – détenue à 25 % par l’État québécois –, tout retard dans la montée en cadence constitue un risque pour l’atteinte de la rentabilité, un objectif déjà repoussé au milieu de la décennie. Même si Airbus garde le cap, certains ont des doutes.

« C’est assez raisonnable de croire que cela [le seuil de rentabilité] pourrait être retardé d’un an, affirme l’analyste américain Richard Aboulafia, directeur général de la firme AeroDynamic Advisory. Ce n’est pas le marché ou le produit. C’est la chaîne d’approvisionnement. »

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE AERODYNAMIC ADVISORY

Richard Aboulafia est directeur général de la firme AeroDynamic Advisory.

Québec a remis 380 millions dans le programme en février dernier à la suite d’un appel de capitaux lancé par Airbus, l’actionnaire majoritaire. Cela avait permis de repousser à 2030 le moment où la multinationale rachètera la participation du gouvernement québécois dans l’A220. La valeur de l’investissement était « nulle » au 31 mars 2021. Plus les profits se font attendre, plus le montant obtenu par l’État risque d’être amputé.

« La valeur du programme est tributaire de la production, affirme M. Aboulafia. Mais sept ans, c’est une éternité dans l’industrie aéronautique. »

Attentes réduites

Un aperçu des problèmes qui touchent les avionneurs comme Airbus et Boeing a été offert par JetBlue, mardi, qui présentait ses résultats du deuxième trimestre. Le transporteur américain attendait 29 avions, dont 18 A220, en 2023. Il table désormais sur 22 livraisons. Quatre A220 ont été retirés des prévisions.

« Je crois que nous sommes tous conscients du fait qu’ils [Airbus] sont confrontés à des difficultés de montée en cadence », a dit Ursula Hurley, cheffe de la direction financière du transporteur new-yorkais, en conférence téléphonique avec les analystes.

L’A220 n’est pas le seul programme où il y a des défis. L’été dernier, Airbus avait repoussé de six mois l’accélération de la production de sa famille A320 en raison des difficultés à obtenir des composants auprès de ses fournisseurs. Airbus ambitionne de produire mensuellement 14 A220 vers 2025. Malgré des livraisons qui stagnent, l’avionneur affirme produire six appareils par mois.

Du surplace

Après les neuf premiers mois de l’année, Airbus a livré 34 exemplaires de l’A220, soit le même nombre d’appareils qu’il y a un an. En 2021, l’avionneur avait remis 16 appareils à des clients pendant les trois derniers mois de l’année. C’est la cible à atteindre pour éviter un déclin en 2022.

« Ça sera costaud, reconnaît la cheffe des communications d’Airbus Canada, Annabelle Duchesne. Nous prévoyons des livraisons rapprochées vers la fin de l’année. Il y a une difficulté supplémentaire qui s’est ajoutée. »

Sans s’avancer sur une cible, Mme Duchesne a affirmé que « ce sont les chiffres de fin d’année qui comptent » pour les livraisons.

D’après nos informations, Airbus modifie ses façons de faire au sein de sa chaîne d’assemblage afin de s’adapter. Par exemple, l’extérieur du fuselage d’un avion peut parfois être peint aux couleurs du client même si son aménagement intérieur n’est pas terminé à 100 % parce que certaines pièces sont manquantes.

« Parfois, les constructeurs ont un excellent quatrième trimestre, mais je dois dire que les choses ne regardent pas très bien », observe M. Aboulafia, qui anticipait entre 65 et 70 livraisons d’A220 cette année.

Il n’a pas été possible d’obtenir une réaction de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA), qui représente les syndiqués d’Airbus à Mirabel.

Un signal préoccupant

Mehran Ebrahimi, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directeur de l’Observatoire de l’aéronautique et de l’aviation civile, convient que les signaux envoyés par JetBlue et les statistiques d’Airbus laissent entendre que l’A220 « n’a pas progressé du côté des livraisons et qu’il devrait livrer fort pour faire ce qui a été fait l’an dernier ».

L’expert croit cependant qu’un élément joue en faveur du programme : la chaîne de préassemblage inaugurée en début d’année à Mirabel. Il s’agit des installations où l’on installe le câblage électrique, les planchers et d’autres modules dans les fuselages, qui se retrouveront ensuite sur les chaînes d’assemblage de Mirabel et de Mobile, en Alabama. L’objectif de la multinationale est de rassembler les activités de préparation des sections de fuselage à un seul endroit.

« Cette chaîne n’est pas encore pleinement opérationnelle, affirme M. Ebrahimi. On ne peut pas encore mesurer sa pleine contribution. »

Interrogé sur la possibilité de voir l’A220 prendre plus de temps que prévu avant de générer des profits, l’expert n’a pas voulu s’avancer comme M. Aboulafia. Selon M. Ebrahimi, Airbus ne pourra pas faire de « miracles » pour régler tout ce qui cloche au chapitre de l’approvisionnement.

En savoir plus
  • 106
    Nombre de commandes décrochées par l’A220 depuis le début de l’année.
    source : airbus
    1,3 milliard
    Investissement initial de Québec dans l’ex-C Series de Bombardier.
    source : gouvernement du québec