Le Fonds de solidarité FTQ et Investissement Québec deviennent actionnaires minoritaires de l’entrepreneur général en construction EBC en investissant 20 millions chacun.

« EBC nous a approchés pour les soutenir dans leur croissance », dit Bicha Ngo, première vice-présidente exécutive, placements privés, chez Investissement Québec (IQ). Il s’agit d’un premier investissement dans l’avoir d’une entreprise œuvrant dans la construction pour le bras investisseur du gouvernement du Québec.

Pour le Fonds FTQ, il ne s’agit pas d’une première. Jusqu’en 2008, le Fonds était actionnaire à hauteur de 50 % dans Simard-Beaudry, société appartenant à l’homme d’affaires Tony Accurso, une relation qui a mal tourné.

Les deux investisseurs ont aussi prêté 30 millions à EBC en 2020.

Fondée en 1968, EBC compte 1600 employés et 7 bureaux au Canada. En forte croissance, son chiffre d’affaires annuel dépasse aujourd’hui le milliard de dollars, 70 % au Québec et 30 % hors Québec. Dans sa province d’origine, EBC se classe au deuxième rang de son industrie, derrière le leader Pomerleau.

EBC a notamment travaillé à la construction du pont Samuel-De Champlain, du Réseau express métropolitain, d’une demi-douzaine de maisons des aînés, d’hôpitaux, d’écoles, de mines.

L’investissement de 40 millions servira à financer la croissance d’EBC. « La taille des projets depuis quelques années est immense, de plusieurs milliards, et il y en a plusieurs en même temps », explique sa présidente et cheffe de la direction, Marie-Claude Houle, dont les deux frères travaillent aussi dans l’entreprise, de même que son fils.

« Il faut donner des garanties financières pour avoir droit d’aller chercher un pourcentage du projet, ajoute-t-elle. Il faut donc avoir un bilan financier fort. L’investissement d’IQ et du Fonds FTQ nous permet de soumissionner sur plus d’un projet à la fois. Je vois l’investissement comme un accélérateur de notre croissance. »

« Notre rôle au Québec est de nous assurer que des entreprises québécoises puissent participer à de grands projets et qu’elles aient de solides assises financières », dit pour sa part Dany Pelletier, premier vice-président, placements privés et investissements d’impact, du Fonds FTQ.

« EBC est une entreprise qui a de très bonnes relations avec ses partenaires et une bonne culture d’entreprise », poursuit-il.

« Notre réputation est sans tache », assure Marie-Claude Houle.

Un malheureux précédent

Le retour du Fonds FTQ comme actionnaire d’un entrepreneur général ravive toutefois les mauvais souvenirs de sa relation passée avec Tony Accurso, l’un des témoins vedettes de la commission Charbonneau sur la corruption dans l’industrie de la construction.

Les entreprises de M. Accurso décrochaient les contrats sans appel d’offres pour la construction des immeubles dans lesquels le Fonds était investisseur (dont la Cité du multimédia). Le Fonds investissait dans les immeubles détenus par M. Accurso (Galeries Laval). Il a également été suggéré que M. Accurso avait accès aux meilleurs travailleurs grâce à ses entrées au sein de la FTQ-Construction, qui pratiquait alors le placement syndical.

Si le placement syndical n’existe officiellement plus au Québec depuis 2013, les liens sont toujours étroits entre le Fonds FTQ et la FTQ-Construction. Le directeur général de la FTQ-Construction, Éric Boisjoly, siège au conseil du Fonds de solidarité.

Questionné sur les garde-fous mis en place au Fonds FTQ pour éviter que les problèmes de l’époque ne se reproduisent à nouveau, M. Pelletier s’est fait rassurant.

Concernant l’octroi de contrats sans appel d’offres, on a des politiques en vigueur au niveau de tout ce qui se fait en construction. Il n’y a aucun doute dans ma tête que ce n’est pas quelque chose qui peut se produire.

Dany Pelletier, premier vice-président, placements privés et investissements d’impact, du Fonds FTQ

Expert en gouvernance, Michel Séguin, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, insiste sur l’importance de gérer le risque réputationnel. « Si j’étais le Fonds FTQ, je m’assurerais que les mesures d’atténuation sont bien en place et je serais transparent par rapport à celles-ci. »

La filière batterie en mire

Actionnaire d’EBC, IQ travaille fort à attirer au Québec les différents maillons de la filière batterie.

« Construire les usines dans la région de Bécancour, c’est quelque chose que l’on vise, reconnaît Mme Houle. Dernièrement, on a renforcé nos équipes des grands projets industriels. »

Sur la façon de traiter l’apparence de conflit d’intérêts, Mme Ngo, d’IQ, a donné l’exemple de Nemaska Lithium qui projette de transformer le lithium dans sa future usine de Bécancour. « Nous sommes un actionnaire dans Nemaska et dans EBC, mais c’est la société Nemaska, par le truchement de la gouvernance du conseil d’administration, qui décidera qui construira la future usine. De plus, notre représentant au conseil a le devoir de se récuser si la décision a le potentiel de soulever une apparence de conflit d’intérêts. »

Un prêt à Roxboro Beauval

Le 27 octobre dernier, le Fonds de solidarité FTQ a accordé un prêt à l’entreprise Roxboro Beauval, coentreprise formée de Roxboro et Beauval. Appartenant à la famille Théorêt, Roxboro Excavation avait été reconnue coupable de collusion au début des années 2000 dans des contrats de déneigement. La même entreprise était responsable du déneigement bâclé de l’A13 lors de la tempête de mars 2017 où 300 automobilistes sont restés coincés pendant des heures.