Loblaw est la seule parmi les trois grandes enseignes d'épicerie dont les profits bruts de 2022 surpassent son meilleur rendement des cinq dernières années. Cette performance « irrégulièrement solide » du détaillant qui gère Maxi et Provigo survient au moment où bon nombre de consommateurs soupçonnent les épiceries de profiter de l’inflation pour s’en mettre plein les poches.

Le constat provient d’un rapport qui sera publié ce jeudi par le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie intitulé « Les profits en distribution alimentaire : un seuil d’accessibilité moral ? ».

L’équipe du Laboratoire, dirigée par Sylvain Charlebois, a voulu vérifier s’il y avait bel et bien de l’« abus » exercé par les grandes enseignes. « Et s’il y a de l’abus, à quoi ressemble cette cupidité-là en distribution alimentaire ? Est-ce qu’on peut créer un seuil de tolérance moral en distribution alimentaire ? », s’est demandé M. Charlebois avant d’entreprendre son analyse.

Sa conclusion : dans le cas de Loblaw, « on a atteint un point qui pourrait rendre certaines personnes inquiètes en raison des données qui dépassent largement les chiffres qui pourraient représenter une très, très bonne année. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Sylvain Charlebois dirige l'équipe du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse. Il est aussi un collaborateur régulier de la section Affaires de La Presse.

Ainsi, les chercheurs ont examiné les profits bruts moyens et les profits les plus élevés des trois grandes enseignes (IGA, Metro et Loblaw) au cours des cinq dernières années, pour ensuite les comparer aux performances des deux premiers trimestres de 2022.

« Loblaw est le seul grand épicier canadien dont le profit brut en 2022 dépasse son meilleur rendement des cinq dernières années, par 68,1 millions de dollars au (premier trimestre) et de 112,0 millions de dollars au (deuxième trimestre) », peut-on lire dans le rapport.

« Lorsque nous avons fait cet exercice, nous avons constaté que les rendements de Metro et d’Empire/Sobeys étaient tous deux sous-performants par rapport à leurs meilleures années jusqu’à présent en 2022, avec un déficit de 10,8 millions de dollars et 36,9 millions de dollars, respectivement », indique le document.

Rappelons que face à l’augmentation constante de la facture d’épicerie des consommateurs, le Bureau de la concurrence du Canada a décidé récemment de scruter à la loupe la hausse des prix des aliments et de s’intéresser à la concurrence entre les principaux détaillants. Une étude a été lancée. Les résultats seront connus l’été prochain.

D’ailleurs, M. Charlebois s’inquiète également de ce qui se passera dans la prochaine année. Depuis la mi-octobre, Loblaw a gelé les prix de ses 1500 produits de marque Sans nom jusqu’au 31 janvier. « Mais les nouvelles récentes suggèrent que ces promesses pourraient avoir des limites, prévient le rapport. Un tel gel de prix pourrait amener les Canadiens à se demander à quoi ils peuvent s’attendre sur leurs factures d’épicerie en février 2023, une fois le gel des prix terminé. »

Les enseignes réagissent

De leur côté, les enseignes, tout comme le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) qui les représente, continuent de marteler que leurs marges bénéficiaires sont demeurées stables depuis les dernières années.

« Comme plusieurs autres avant elle, cette étude se penche sur les prix des aliments sans même analyser l’ensemble de la chaîne, y compris les augmentations de prix importantes des grands fabricants », a tenu à rappeler Johanne Héroux, directrice principale, affaires corporatives et communication, de Loblaw, dans un courriel envoyé à La Presse.

C’est au sein de l’industrie du commerce de détail que l’inflation est la plus visible, bien que nous n’en soyons pas la cause. L’inflation est un enjeu mondial, et les prix sur nos tablettes sont le résultat de nombreux coûts provenant de nombreuses entreprises en amont de la chaîne d’approvisionnement.

Johanne Héroux, directrice principale, affaires corporatives et communication, de Loblaw

« Les marges bénéficiaires brutes de Metro sont demeurées stables depuis de nombreuses années, comme nous l’avons toujours dit », a pour sa part précisé Marie-Claude Bacon, vice-présidente, affaires publiques, du détaillant québécois. « Malgré les affirmations trompeuses de certains, nous travaillons fort chaque jour pour offrir de la valeur à nos clients et les aider dans le contexte actuel d’inflation mondiale. »

Personne chez IGA n’a rappelé La Presse.

Plus de transparence

Par ailleurs, Sylvain Charlebois a profité de la parution du rapport pour réclamer plus de transparence de la part des détaillants, notamment dans leurs états financiers, passés au peigne fin par les chercheurs.

Par exemple, en plus de la nourriture, Loblaw vend des produits de pharmacie, des cosmétiques et des vêtements. « La frustration qu’on avait est simple : quand on lit les états financiers, on ne sépare pas l’alimentaire du cosmétique et de la pharmaceutique. Tout est pêle-mêle. Il serait temps de démêler tout ça », souligne-t-il.

« Est-ce que changer la façon de présenter les chiffres va calmer le jeu ? », se questionne Michel Rochette, président pour le Québec du CCCD. « Je ne suis pas certain que si on la changeait, les gens seraient plus heureux ou moins inquiets. Je ne sais pas si d’être plus transparent dans les chiffres changerait quelque chose. Il y a d’autres groupes qui présentent leurs chiffres différemment et ils se font quand même pointer du doigt, même si leurs marges bénéficiaires demeurent peu élevées. »