Le propriétaire de Produits forestiers Résolu sert de « façade » à un conglomérat asiatique au piètre bilan environnemental, qui s’est servi de ce « tour de passe-passe » pour s’établir comme un incontournable de l’industrie forestière, avance une enquête publiée dans Le Monde. Elle soulève des questions alors que la plus importante société forestière québécoise appartient à Paper Excellence depuis mercredi dernier. Québec et Ottawa ne semblent pas préoccupés.

Fruit d’une collaboration entre le journal français et d’autres membres du Consortium international des journalistes d’investigation, le reportage reprend les témoignages d’ex-cadres et employés et cite des documents internes. Dans une déclaration transmise à La Presse vendredi, Paper Excellence réitère son indépendance et affirme que les allégations à son endroit « reposent sur un nombre restreint de sources anonymes ».

Paper Excellence, qui a vu le jour en 2007, est établie en Colombie-Britannique. Son propriétaire est l’homme d’affaires indonésien Jackson Widjaja, qui est issu de la famille derrière le conglomérat Sinar Mas. Sa filiale Asian Pulp and Paper (APP) est un géant mondial du papier en Indonésie ainsi qu’en Chine.

APP a été mise à l’index par le Forest Stewardship Counsil (FSC) – un organisme à but non lucratif qui certifie les produits du bois provenant de forêts gérées sainement sur les plans écologique, social et économique – en octobre 2007 en raison de son implication dans des pratiques de « destruction des forêts ». Cet évènement coïncide avec la création de Paper Excellence.

L’étranger aux commandes

Paper Excellence clame son indépendance vis-à-vis d’APP, mais en coulisses, cela ne serait pas le cas, révèle l’enquête. Cette proximité permettrait au géant asiatique de contrôler une entité qui détient la certification FSC, essentielle pour s’implanter dans des marchés comme l’Amérique du Nord.

Parmi les témoignages, celui d’un ancien chef analyste ayant travaillé chez APP entre 2010 et 2018 et qui affirme que les « vrais cerveaux » de l’entreprise se trouvaient en Chine, dans les bureaux d’APP.

« Tout était incestueux », a raconté cet ex-cadre, qui a réclamé l’anonymat. « Nous avons assisté aux mêmes réunions. Nous avons échangé des courriels. […]. »

J’ai vu de mauvaises pratiques dès mes premiers mois dans l’entreprise, mais on m’a dit que tout cela devait rester entre nous.

ancien chef analyste d’APP

Le Monde dit avoir documenté le cas de 13 personnes ayant occupé des fonctions simultanées au sein des deux sociétés. Des experts cités dans l’enquête estiment que le modèle d’affaires du conglomérat pourrait intéresser les autorités de la concurrence à travers le monde en raison des liens de proximité apparents entre Paper Excellence et APP.

Ce n’est pas la première fois que des inquiétudes sont soulevées à l’égard du conglomérat asiatique. En octobre dernier, l’organisme écologique Greenpeace – qui a eu maille à partir avec Résolu à maintes reprises dans le passé – avait publié un volumineux rapport pour démontrer que Paper Excellence était structurée de manière si opaque qu’il était difficile de savoir qui étaient ses véritables bénéficiaires.

Acquisitions en série

En moins de 15 ans, Paper Excellence s’est imposée dans l’industrie forestière canadienne. Sa plus récente prise a été Résolu – une transaction ayant obtenu toutes les approbations réglementaires au Canada.

Le gouvernement Legault n’a pas commenté le contenu de l’enquête journalistique visant Paper Excellence et APP. La ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, affirme, dans une déclaration, que Québec suit « de près les éléments en lien avec l’acquisition » de Résolu.

De son côté, Ottawa se limite à souligner que les « principaux organismes de sécurité » du pays avaient été « consultés au sujet de la transaction ».

« Tous les investissements étrangers, quelle que soit leur valeur, sont soumis à un examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada, écrit Laurie Bouchard, porte-parole du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, dans un courriel. L’acquisition de Résolu par Paper Excellence a été soumise aux dispositions relatives à l’examen de la sécurité nationale en vertu de la loi. »

Au Bloc québécois, on estime que la question du contrôle de Paper Excellence illustre, une fois de plus, qu’il aurait fallu exiger davantage de conditions auprès de l’entreprise, affirme son porte-parole en matière de ressources naturelles, Mario Simard.

Le régime forestier québécois est fort, alors ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, dit-il. Mais dans ce grand conglomérat, est-ce qu’on voudra investir dans Résolu sur le long terme ? J’aurais aimé qu’il y ait des conditions à ce chapitre.

Mario Simard, porte-parole du Bloc québécois en matière de ressources naturelles

Pour sa part, Paper Excellence persiste et signe : son autonomie est complète et son propriétaire, Jackson Widjaja, exploite « son entreprise de manière complètement indépendante ».

« Paper Excellence se conforme strictement à la loi, partout où nous sommes implantés, et nous travaillons chaque jour à améliorer notre performance environnementale », écrit la société, dans une déclaration.

Le Conseil de l’industrie forestière n’a pas voulu commenter l’enquête publiée dans Le Monde.

Lisez l’enquête du Monde « Le tour de passe-passe de deux groupes pour dévorer le marché mondial du papier » (accès payant) Lisez l’article « Paper Excellence : peu connu, l’acquéreur de Résolu suscite des inquiétudes »
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  • 2,7 milliards
    Valeur de l’offre de Paper Excellence pour Résolu
    Source : Produits forestiers Résolu