Bombardier estime que l’Aviation royale canadienne se laisse séduire par un « produit en fin de vie » en envisageant d’acheter des avions de surveillance militaire de Boeing de gré à gré. L’avionneur québécois, qui convoite ce contrat multimilliardaire, n’entend pas rester les bras croisés s’il n’y a pas d’appel d’offres.

Le Canada, qui doit remplacer ses CP-140 Aurora mis en service en 1980, vient d’envoyer une lettre au gouvernement américain afin d’obtenir des informations, dont un prix, pour un maximum de 16 avions P-8 Poseidon – l’appareil proposé par le géant américain.

Ottawa affirme que cela ne constitue pas une commande ferme, mais des experts consultés par La Presse pensent le contraire. Ce scénario mettrait des bâtons dans les roues de Bombardier, à la chasse aux contrats militaires et qui demande une chance de promouvoir ses jets privés Global, qui peuvent être convertis pour des missions de surveillance. L’appareil est assemblé dans la région de Toronto pour ensuite être modifié aux États-Unis.

« C’est un produit en fin de vie », a lancé le président et chef de la direction de l’avionneur, Éric Martel, mercredi, en marge d’une allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, en parlant du P-8 Poseidon.

Boeing dit de l’acheter maintenant parce qu’on va arrêter de le produire bientôt.

Éric Martel, président et chef de la direction de Bombardier

Même si le gouvernement Trudeau qualifie l’avion de Boeing de « seul appareil actuellement offert » qui « répond à toutes les exigences opérationnelles », M. Martel affirme que le gouvernement lui a laissé entendre qu’aucune décision n’avait été encore prise.

Le patron de Bombardier répète qu’il ne demande pas de traitement de faveur, mais plutôt une chance de pouvoir rivaliser dans le cadre d’un appel d’offres en bonne et due forme. L’entreprise québécoise étudiera « toutes les options à sa disposition » si une entente de gré à gré est conclue avec Boeing.

« Vous pouvez l’interpréter comme ça, oui », a répondu M. Martel, lorsqu’il lui a été demandé s’il entendait répliquer advenant l’absence d’un appel d’offres.

Des milliards en jeu

Le contrat militaire en question est évalué à plus de 5 milliards et concerne le remplacement des Aurora CP-140 des Forces armées, qui seront progressivement mis au rancart à compter de 2030. Cet aéronef de patrouille peut aussi transporter huit torpilles anti-sous-marines. Le Poseidon – qui s’apparente à la famille d’avions 737 – peut larguer des torpilles. Ce n’est pas le cas des appareils convertis par Bombardier, mais cela est réalisable, affirme l’entreprise.

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Appareil P-8 Poseidon de l’armée américaine

Boeing a livré 158 exemplaires de son avion de surveillance, assemblé aux États-Unis. L’avionneur américain compte actuellement 183 commandes.

« Nous continuerons à construire des P-8 tant qu’il y aura de la demande, souligne la multinationale américaine, dans un courriel. Cela était dit, la poursuite de la production dépend d’un nombre suffisant de commandes pour alimenter la chaîne de production à un niveau rentable. »

Des observateurs spécialisés dans les questions d’approvisionnement militaire estiment qu’à ce stade-ci, les chances de Bombardier sont pratiquement inexistantes avec la demande qui vient d’être envoyée par Ottawa.

IMAGE FOURNIE PAR BOMBARDIER

Maquette de jet privé Global de Bombardier converti pour l’armée

« Le gouvernement a écrit que le Poseidon est le seul appareil en service qui répondait aux besoins », rappelle Thomas Hughes, chercheur postdoctorant au Centre for International and Defence Policy de l’Université Queen’s, à Kingston. « Plusieurs partenaires et alliés du Canada utilisent cet appareil. C’est non négligeable. »

Sur cet aspect, M. Martel voit les choses d’un autre œil. Selon lui, le Canada a deux options devant lui : se procurer les derniers exemplaires d’un programme existant ou opter pour une plateforme – les jets convertis de Bombardier – qui pourrait être adoptée par bon nombre d’alliés au cours des prochaines décennies.

Richard Shimooka, chercheur à l’Institut canadien Macdonald-Laurier qui se spécialise notamment dans les dossiers en matière de défense, estime aussi que les chances de Bombardier sont minces. Selon l’expert, l’une des principales raisons pour lesquelles le Canada semble « avoir accéléré le processus d’acquisition est la possibilité que la production du P-8 cesse dans les années à venir », écrit-il, dans un rapport.

En savoir plus
  • 1 milliard US
    Chiffre d’affaires que devrait générer le secteur de la défense de Bombardier d’ici la fin de la décennie.
    source : bombardier