La faisabilité d’un projet de satellites qui doit générer des centaines d’emplois au Québec est de plus en plus incertaine. Incapable de financer son projet multimilliardaire malgré l’appui des gouvernements, Télésat s’apprête à perdre des privilèges névralgiques au Canada ainsi qu’aux États-Unis.

Cette nouvelle tuile s’abat sur l’entreprise ontarienne alors que sa situation financière suscite de plus en plus l’inquiétude. Sa « structure de capital » a récemment été qualifiée d’« insoutenable » par l’agence de notation Standard & Poor’s.

Le plus récent malheur de Télésat : son incapacité à respecter des échéances réglementaires l’obligeant à mettre des satellites en orbite des deux côtés de la frontière dans des délais précis. L’entreprise a levé le voile sur ce nouvel écueil dans son rapport annuel, récemment déposé auprès des autorités réglementaires.

« Télésat ne respectera pas les modalités définies dans les autorisations, peut-on lire dans le document. Par conséquent, elle a l’intention de demander des assouplissements. Rien ne garantit que cette demande de modification sera approuvée. »

Dans un courriel, Lynette Simmons, une porte-parole de la société à Ottawa, a voulu tempérer l’avertissement du rapport annuel. Elle affirme que « d’autres [entreprises] ont réussi à obtenir des aménagements », sans offrir de précisions sur les échéanciers qui ne seront pas respectés.

Le projet Lightspeed souhaite déployer des satellites en orbite basse – à plus de 1000 km au-dessus de la Terre – afin d’offrir l’accès à l’internet haute vitesse dans des régions éloignées, notamment.

Les retards et l’explosion des coûts ont obligé la société à modérer ses ambitions. La constellation de 298 satellites a été réduite à 188 unités.

Malgré tout, la facture du projet s’approche des 7 milliards, et l’échéancier fixé à 2024 pour les premiers lancements de satellites ne tient plus.

Des rivaux en avance

Cela fait maintenant deux ans que le gouvernement Legault s’est engagé à offrir 400 millions à Télésat – un prêt de 200 millions et un investissement de 200 millions en actions privilégiées. En échange, l’entreprise promettait de construire une demi-douzaine d’installations à Gatineau, notamment pour la gestion et la surveillance des opérations, ce qui devait créer 300 emplois. Mme Simmons a réitéré que ces engagements étaient toujours en vigueur.

Le gouvernement Trudeau a pour sa part consenti 1,5 milliard. Québec et Ottawa n’ont toutefois pas versé les fonds promis puisque le montage financier de la constellation n’est pas complété. Télésat espère trouver l’argent manquant auprès d’agences comme Exportation et développement Canada (EDC) et Bpifrance.

À la lecture du rapport annuel, Télésat a du pain sur la planche. Quelque 45 de ses 256 pages brossent un portrait des risques qui guettent l’entreprise. Elle évoque son niveau d’endettement, ses importantes dépenses d’investissement et l’incertitude sur sa capacité à obtenir le financement nécessaire pour réaliser ses ambitions.

À cela s’ajoutent les progrès réalisés par d’autres constellations, comme Starlink (SpaceX) et OneWeb (Europe). Le géant américain Amazon prévoit également déployer des satellites l’an prochain.

Tous ces acteurs ont les reins solides, remarque Dimitri Buchs, expert en télécommunications satellites chez Euroconsult – firme de services-conseils spécialisée dans le secteur spatial. Il sera donc difficile pour Télésat de se tailler une place dans ce secteur, croit l’expert.

« Les autres sont déjà en avance, affirme M. Buchs, en entrevue téléphonique avec La Presse. Ces rivaux vont accaparer des clients qui ne voudront pas attendre pour obtenir le service. Télésat arrive sur le tard. La demande n’est pas infinie. Cela commence à devenir de plus en plus compliqué de voir [Lightspeed] aller de l’avant s’il y a d’autres délais. »

Standard & Poor’s est du même avis. En abaissant à CCC+ la cote de crédit de Télésat en décembre dernier, l’agence new-yorkaise soulignait que l’entreprise était en train de se faire doubler par ses rivaux.

« Nous croyons que les retards devraient permettre à Starlink et OneWeb de réaliser des gains importants et de s’emparer des parts de marché de Télésat dans les services de télécommunications par satellite offerts aux entreprises », indiquait Standard & Poor’s dans son rapport.

Une cote de crédit de CCC+ signifie qu’une société est « vulnérable » et que sa capacité à respecter ses engagements financiers repose sur des éléments qu’elle ne contrôle pas, comme des conditions de marché favorables et un contexte économique vigoureux.

En savoir plus
  • 3,9 milliards
    Dette à long terme de Télésat au 31 décembre dernier
    Source : télésat
    1,7 milliard
    Liquidités disponibles de l’entreprise
    Source : télésat