Plaider pour la décarbonation, mais continuer à financer les énergies fossiles. Ce discours peut paraître contradictoire, mais le président des activités québécoises de la Banque de Montréal, Grégoire Baillargeon, croit que c’est en demeurant dans ce secteur que l’on peut faire une différence. Lui tourner le dos serait une erreur, estime le banquier.

« Je vous dirais que le pire move de greenwashing qu’une banque pourrait faire, ça serait d’abandonner les secteurs à forte intensité carbone pour montrer au monde entier qu’elle a réglé le problème, affirme M. Baillargeon en entrevue avec La Presse. Le problème serait toujours là, mais on montrerait de beaux chiffres. »

Ce constat ne déresponsabilise pas les institutions financières pour autant, ajoute-t-il. Leur rôle est d’être un « agent de transition » et d'appuyer des projets – comme des initiatives de captation du carbone dans la production d’hydrocarbures – qui permettent à des secteurs plus polluants de se décarboner, affirme le gestionnaire.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, LA PRESSE CANADIENNE

Grégoire Baillargeon est président de la BMO au Québec.

À la tête des activités québécoises de la BMO depuis le 1er novembre dernier, M. Baillargeon a prononcé son premier discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), mardi. Devant un parterre de gens d’affaires, où il a été interrompu par des militants de Greenpeace, le banquier a choisi d’aborder un thème qu’il a lui-même qualifié de « polarisant » : les changements climatiques et le rôle du secteur financier dans la transition. Il désirait lancer un appel à la communauté d’affaires pour la mobiliser sur la question.

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Grégoire Baillargeon a été interrompu par des militants de Greenpeace lors de son discours.

« On est en train d’en faire un sujet polarisant, mais on n’a pas le temps que cela soit un sujet polarisant, affirme M. Baillargeon. Il faut que tout le monde rame dans la même direction. Peut-être qu’il n’y aura pas un consensus sur tous les aspects, mais il faut s’entraider. »

Classement peu reluisant

Les cinq plus grandes banques canadiennes font piètre figure dans le plus récent rapport Banking on Climate Chaos, diffusé annuellement. L’an dernier, elles ont consenti 136,2 milliards US pour financer des projets de combustibles fossiles. Pour la BMO, on parle de 19 milliards US en financement. Elle se classe derrière la Banque TD, la Banque Scotia ainsi que la Banque Royale.

Ces institutions financières figurent également dans les 15 principaux bailleurs de fonds à l’échelle mondiale, d’après le classement préparé par un consortium de groupes écologistes. Les noms de la Banque Nationale et du Mouvement Desjardins ne figurent pas dans le rapport, même si les deux institutions sont exposées au secteur des hydrocarbures.

« Ces rapports, c’est correct, répond M. Baillargeon, interrogé sur le rapport. Ce n’est pas un bilan des banques, c’est un bilan de l’économie canadienne. On a une économie ancrée là-dedans [l’énergie]. Une partie de l’argent que l’on met auprès de ces compagnies-là, c’est pour aider à trouver des solutions de décarbonation. On est la seule banque canadienne avec une cible absolue des émissions de pétrole et de gaz. »

Selon le rapport Banking on Climate Chaos, depuis 2016, année de la signature de l’Accord de Paris sur le climat, ces cinq banques canadiennes ont financé les énergies fossiles à hauteur d’environ 855 milliards US.

Responsabilité partagée

Le dirigeant chez BMO ajoute que l’on peut montrer du doigt le secteur des énergies fossiles, mais que ce n’est pas lui qui est responsable de la production. Titulaire de la chaire en énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau abonde dans le même sens.

« S’il y a des investisseurs, c’est parce qu’il y a un marché, dit l’expert. L’idéal, ça serait d’avoir un secteur en décroissance et que les investisseurs n’aient plus le goût d’investir. Malheureusement, ce n’est pas cela qui est en train de se produire. »

À titre d’exemple, le plus récent bilan État de l’énergie au Québec n’entrevoit pas de réduction « durable » des ventes de produits pétroliers avant 2030.

M. Pineau s’est également dit en accord avec certains des arguments soulevés par le dirigeant des activités québécoises de la BMO. Selon l’expert, le désinvestissement ne « constitue pas un axe de lutte contre les changements climatiques ».

« Je n’encourage pas les gens à investir [dans les hydrocarbures], précise l’expert. Mais je préfère autant avoir des banques canadiennes [comme investisseurs] sur lesquelles on met de la pression pour qu’elles soient à l’origine de changements dans les entreprises. C’est hypocrite de dire : on laisse cela aller et laisse d’autres investisseurs venir. »

Malgré sa présence dans le secteur des hydrocarbures, la BMO s’est attiré des éloges l’an dernier en matière de transition énergétique. En novembre dernier, la banque avait été reconnue « comme l’institution financière la mieux classée » par l’indice World Benchmarking Alliance. Cet indice évalue la gouvernance et la stratégie, le respect des limites planétaires ainsi que les conventions sociétales.

La Caisse de dépôt et placement du Québec s’était pour sa part classée au premier rang en ce qui a trait aux régimes de retraite.

En savoir plus
  • 2004
    Année où Grégoire Baillargeon s’est joint à la BMO
    bmo
    145
    Nombre de succursales de l’institution financière au Québec
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