Aéroports de Montréal veut convaincre le fédéral de revoir le financement des aéroports.

Le statu quo financier risque d’avoir des conséquences chez Aéroports de Montréal (ADM) : faute de nouvelles façons de trouver de l’argent, Montréal-Trudeau ne pourra financer son expansion « au moment opportun » sans déplaire aux agences de notation. Dans l’espoir de convaincre Ottawa, l’organisme à but non lucratif (OBNL) vient d’embaucher des lobbyistes — chose rarissime.

Sans tambour ni trompette, ADM s’est récemment inscrite au registre fédéral des lobbyistes – où son nom n’apparaissait pas auparavant – en retenant les services de quatre spécialistes. Leur mandat concerne essentiellement ce qui tourne autour des redevances aéroportuaires et de la « relation fiscale » entre le gouvernement fédéral et Montréal-Trudeau.

Le plus récent rapport de l’exploitant des aéroports Montréal-Trudeau et Mirabel donne un aperçu des défis qui se dressent devant l’organisation. Selon le document, on devrait pouvoir financer des projets à « court, moyen et long termes » tout en maintenant une cote de crédit de A – le seuil minimal d’une obligation « de qualité » – auprès des agences de notation. C’est lorsque vient le temps de penser à une expansion afin de répondre à une demande de plus en plus vigoureuse, particulièrement depuis la levée des restrictions sanitaires, qu’il risque d’y avoir des problèmes.

« Nous devons les planifier et débuter les travaux le plus tôt possible pour suivre la cadence, et c’est en ce sens qu’un changement à la structure pour permettre l’injection de capitaux devient nécessaire », souligne la directrice des communications chez ADM, Anne-Sophie Hamel, dans un courriel.

Dans les années 1980, Ottawa a décidé de transformer les aéroports en OBNL qui doivent payer l’occupation et l’utilisation des terrains fédéraux. Dans la grande majorité des cas, les baux sont échelonnés sur des décennies (jusqu’en 2072 pour Montréal).

La loi leur interdit de lever du capital-actions tandis que les profits réalisés doivent être investis dans les installations.

ADM a déjà plusieurs projets sur la table à dessin. Il faut achever le nouveau stationnement (P4) et compléter la station qui accueillera le Réseau express métropolitain (REM). L’organisme a aussi déjà affiché ses couleurs à propos de la réfection du débarcadère « côté ville ». Selon son rapport annuel, après 2028, on prévoit une « série de projets » du « côté piste » pour accroître la capacité des barrières et du traitement de bagages.

Demande récurrente

À maintes reprises, le président-directeur général sortant de l’organisme, Philippe Rainville, a répété que les aéroports devraient avoir le droit d’accueillir des investisseurs privés, comme des gestionnaires de régimes de retraite, prêts à être patients.

« Tôt ou tard, il faudra adapter le modèle de financement à la réalité des besoins, plaidait-il, en mai dernier, lors de l’assemblée publique. Entre-temps, nous faisons du mieux que l’on peut avec rigueur et bon cœur. »

Après les secousses de la pandémie, la situation financière d’ADM s’améliore lentement. Au 31 décembre dernier, sa dette nette s’élevait à 2,3 milliards, comparativement à 2,5 milliards au même moment en 2021.

Selon Mme Hamel, l’OBNL a retenu les services de lobbyistes parce que « le contexte actuel s’y prête bien ». Elle rappelle la tenue d’un sommet sur la reprise du transport aérien en novembre et le lancement, par le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, de consultations sur l’industrie aérienne.

« [Le ministre Omar Alghabra] a fait plusieurs déclarations indiquant qu’il voulait apporter des ajustements au système, sans en préciser la nature », écrit Mme Hamel.

À changer

Professeur à l’UQAM et directeur de l’Observatoire de l’aéronautique et de l’aviation civile, Mehran Ebrahimi estime que les exploitants canadiens se trouvent dans une sorte « d’entre-deux ». Ils ne relèvent pas de la responsabilité d’États ou de comtés comme c’est le cas au sud de la frontière et ne peuvent être privatisés comme en Europe.

On est entre les deux, mais dans le mauvais sens du terme.

Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire de l’aéronautique et de l’aviation civile

« Soyons pragmatiques et demandons un système fiscal qui ne se traduit pas par une financiarisation de l’aéroport, dit l’expert. On ne va pas sur les marchés pour récolter des capitaux américains qui exigent des rendements élevés. Avec du capital patient, on peut investir et avoir le temps nécessaire pour le faire. »

M. Ebrahimi n’est pas le seul observateur à plaider pour des changements. Dans un rapport du Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités déposé à la Chambre des communes en février dernier, l’expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill John Gradek plaidait pour des « investissements privés. »

À son avis, le temps est venu d’offrir un « autre véhicule » de financement aux aéroports, dont le modèle qui mise sur l’« endettement » et l’« utilisateur-payeur ».

En savoir plus
  • 96,7 %
    Pour les mois de janvier, février et mars, le volume de passagers à Montréal-Trudeau correspondait à 96,7 % du niveau prépandémique.
    aéroports de Montréal