(Ottawa) L’organisme canadien de surveillance de la responsabilité des entreprises enquête pour savoir si Walmart, Hugo Boss et Diesel ont recours au travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Sheri Meyerhoffer, l’Ombudsman canadienne pour la responsabilité des entreprises (OCRE), a publié jeudi trois rapports affirmant qu’aucune des entreprises n’a fait suffisamment pour démontrer que les produits qu’ils vendent au Canada sont exempts de travail forcé.

Les filiales canadiennes des trois sociétés sont accusées de s’appuyer sur des fournisseurs qui s’approvisionnent en matériaux auprès des Ouïghours, forcés de travailler dans la région chinoise du Xinjiang.

Walmart, Hugo Boss et Diesel affirment tous respecter des protocoles antiesclavagistes stricts et enquêter sur la source de leurs produits, mais Mme Meyerhoffer a déclaré qu’aucun d’entre eux n’avait fourni suffisamment d’informations sur des allégations spécifiques.

Selon elle, le principal défi réside dans le fait que les produits du Xinjiang sont souvent transformés dans d’autres pays, ce qui signifie que les importations en provenance de pays comme le Vietnam pourraient impliquer du travail chinois forcé si elles ne sont pas correctement suivies.

Mme Meyehoffer a indiqué qu’elle interrogeait Walmart Canada parce que l’entreprise s’est contentée de dire qu’elle évitait le travail forcé et qu’elle avait retiré de ses magasins les produits fabriqués au Xinjiang.

L’entreprise n’a pas répondu aux allégations documentées selon lesquelles Walmart s’appuie sur des entreprises de vêtements et de textiles spécifiques qui opèrent dans cette région en recourant au travail forcé des Ouïghours.

« Toutefois, si Walmart Canada a rejeté de manière générale les allégations contenues dans la plainte, elle n’a pas fourni de réponse précise », a écrit Mme Meyerhoffer, notant que Walmart a refusé de participer au processus de règlement des différends.

Mme Meyerhoffer a indiqué que Hugo Boss ne semble pas utiliser le niveau de technologie de traçage des fibres nécessaire pour garantir une diligence raisonnable dans une région largement exposée au coton du Xinjiang.

Dans sa réponse, l’entreprise a indiqué qu’elle examinait minutieusement ses « fournisseurs directs », ce qui a préoccupé Mme Meyerhoffer puisque ses produits en provenance du Vietnam ou de Singapour pourraient s’appuyer sur divers matériaux chinois.

« La réponse d’Hugo Boss ne semble pas prendre pleinement en compte la nature complexe de la chaîne d’approvisionnement en vêtements », a-t-elle écrit.

Hugo Boss a également noté qu’un groupe européen de défense des droits n’avait pas réussi à rassembler suffisamment de preuves pour convaincre les tribunaux allemands d’entendre les allégations selon lesquelles l’entreprise aurait illégalement bénéficié du travail forcé des Ouïghours.

Parallèlement, Mme Meyerhoffer s’en prend à Diesel pour ce qu’elle considère comme des déclarations vagues sur les examens internes de ses chaînes d’approvisionnement, qui, selon elle, n’indiquent pas le calendrier, l’étendue ou les conclusions d’un tel examen.

Elle a noté que l’insistance de l’entreprise sur le fait qu’elle ne s’approvisionne pas en coton provenant de la région du Xinjiang n’est pas suffisante pour garantir que les fournisseurs d’autres pays n’utilisent pas de telles fibres.

« Diesel Canada a fourni deux brèves réponses à la plainte, n’a pas répondu aux multiples demandes de réunion d’évaluation initiale et n’a pas formulé d’observations sur l’ébauche du rapport d’évaluation initiale », peut-on lire dans le rapport de Mme Meyerhoffer.

« Le fait que Diesel Canada n’a pas répondu […] ni communiqué avec l’OCRE au sujet d’une éventuelle réunion d’évaluation initiale soulève des questions quant à sa transparence », mentionne-t-elle.

Mme Meyerhoffer a déclaré que les trois entreprises n’ont pas répondu à ses enquêtes.

Elle écrit que Walmart Canada a mis en doute sa compétence et a fourni des informations générales qui ne concernaient pas les allégations spécifiques.

Les représentants de l’entreprise « ont aussi expliqué qu’il leur était difficile de voir pourquoi Walmart Canada devrait participer à un processus de l’OCRE », a écrit Mme Meyerhoffer.

Hugo Boss a contesté un article de presse datant d’avril 2022 qui citait l’entreprise parmi les 14 sociétés visées par une plainte alléguant le recours au travail forcé en Chine. L’entreprise a affirmé que l’article de presse violait les règles de confidentialité du médiateur et a demandé aux plaignants et à Mme Meyerhoffer de signer un accord de non-divulgation.

L’entreprise a également contesté les lois canadiennes sur la liberté d’information, qui permettent aux Canadiens de s’informer sur le fonctionnement de leur gouvernement, mais qui excluent généralement les informations confidentielles des entreprises.

Hugo Boss « n’a pas répondu aux multiples demandes de rencontre », a fait part Mme Meyerhoffer.

Le bureau de Mme Meyerhoffer mentionne que Hugo Boss est la seule entreprise sur laquelle elle a enquêté jusqu’à présent et qui a soulevé des questions concernant le rapport publié par les médias en avril 2022.

L’entreprise a refusé les offres de rencontre jusqu’à ce que Mme Meyerhoffer ait rédigé un rapport, ajoute-t-il.

Réactions des entreprises

La Presse Canadienne a contacté les trois entreprises pour obtenir des commentaires.

Une porte-parole de Walmart Canada a évoqué qu’aucune des filiales citées dans la plainte « ne fait partie de notre chaîne d’approvisionnement active déclarée ».

« Nos politiques sont appliquées avec diligence, a répondu Sarah Kennedy. Walmart Canada respecte le mandat de l’OCRE et continuera à s’assurer que nos normes et notre mandat d’entreprise sont respectés. »

Hugo Boss a réitéré l’essentiel de sa réponse à Mme Meyerhoffer, son porte-parole Matthias Jekosch précisant que l’entreprise ne s’approvisionne plus auprès du fournisseur chinois cité dans la plainte.

« Hugo Boss ne s’approvisionne pas en produits provenant de la région du Xinjiang dans le cadre de ses relations d’approvisionnement directes », a-t-il déclaré.

« Par principe, nous ne tolérons pas le travail forcé ou obligatoire ni aucune forme d’esclavage moderne. »

Les sept évaluations initiales annoncées jusqu’à présent par l’ombudsman portent sur des accusations de travail forcé impliquant le peuple ouïghour.

L’ambassade de Chine à Ottawa maintient que Pékin n’autorise pas l’esclavage moderne et que les affirmations contraires sont fondées sur des lignes visant à limiter le développement de la Chine.

En 2022, les Nations unies ont estimé que la Chine avait commis de « graves violations des droits de l’homme » à l’encontre des Ouïghours et d’autres communautés musulmanes, pouvant constituer « des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité ». Pékin a contesté ce rapport.