La fenêtre de l’État québécois pour récupérer ses billes dans l’A220 d’Airbus risque de se rétrécir. L’un des principaux fournisseurs de l’avion, Spirit Aerosystems, estime qu’il lui faudra plus de temps – soit au-delà de 2025 – pour commencer à faire de l’argent avec ce programme parce que sa cadence de production tarde à prendre son envol.

Peu médiatisé, ce constat a été dressé par le président et chef de la direction de la multinationale américaine, Thomas Gentile, lors d’une conférence destinée aux investisseurs plus tôt en septembre. Ce dernier est même allé jusqu’à demander à Airbus et Boeing d’absorber une partie des coûts pour des programmes qui ne sont plus « viables » pour Spirit. L’A220 en fait partie.

« À l’origine, nous avions dit en 2025, lorsqu’ils [Airbus] produiraient 14 avions par mois, a expliqué M. Gentile, lorsqu’interrogé sur l’atteinte de la rentabilité avec l’A220. Ces 14 avions par mois d’ici 2025 risquent d’être un défi si l’on se base sur notre situation actuelle. »

Spirit joue un rôle important dans la chaîne d’approvisionnement de l’ex-C Series de Bombardier. L’entreprise fabrique une partie du fuselage, les ailes de l’avion ainsi que les pylônes de l’appareil, le composant qui relie le moteur à l’aile ou au fuselage.

L’A220, l’A350 et le Boeing 787 Dreamliner minent les finances de l’entreprise établie au Kansas. Ces trois programmes sont à l’origine d’une charge de 215 millions US comptabilisée au premier semestre à cause, notamment, des difficultés à obtenir des pièces et l’augmentation des salaires.

Spirit affirme discuter de ces problématiques avec Airbus et Boeing – une façon de dire qu’elle voudrait renégocier ces ententes avec les deux avionneurs.

Airbus affirme que l’A220 sortira du rouge une fois que 14 avions sortiront mensuellement des usines de Mirabel et de Mobile, en Alabama. L’accélération de la cadence de production s’observe, mais elle ne semble pas répondre aux attentes, selon les dires de M. Gentile.

« C’est décevant de constater que la production est bien inférieure par rapport à ce qui était prévu. Par exemple, cette année, la projection initiale était de 100 unités, puis elle est passée à 82, puis à 78. Nous sommes probablement donc dans une fourchette de 65 à 70 [appareils] aujourd’hui. Les cibles ont beaucoup baissé. »

Par courriel, Spirit a refusé de commenter davantage les défis de l’A220.

Compte à rebours

Propriétaire de l’A220 à hauteur de 25 %, Québec a tout intérêt à ce que les profits arrivent plus tôt que tard. L’an dernier, le gouvernement Legault a ajouté 380 millions dans le programme pour demeurer actionnaire plus longtemps. Cela fait grimper à 1,7 milliard l’argent injecté dans l’appareil développé par Bombardier. Airbus pourra racheter la part de l’État vers la fin de la décennie. Plus les profits tardent, plus le montant obtenu par le gouvernement québécois risque d’être amputé.

Dans une déclaration, la cheffe des communications d’Airbus Canada, Annabelle Duchesne, affirme que l’objectif de l’avionneur européen demeurait « inchangé ». La cadence de production doit atteindre 14 avions par mois « au milieu de la décennie », affirme-t-elle, sans toutefois préciser l’année.

« Certains ajustements de planification à court terme ont été apportés à notre accélération de cadence afin de protéger notre chaîne d’approvisionnement et de garantir les livraisons à nos clients déjà engagés », écrit Mme Duchesne.

Même si les perturbations de la chaîne d’approvisionnement donnent des maux de tête aux constructeurs d’avions, Airbus a néanmoins été en mesure d’accroître ses livraisons d’A220 depuis le début de l’année. À la fin d’août – les plus récentes données disponibles –, 37 exemplaires avaient été remis à des clients. C’est sept appareils de plus par rapport à la même période l’an dernier.

« Cela démontre à quel point les programmes d’avions dépendent de la chaîne d’approvisionnement, affirme l’analyste Richard Aboulafia, directeur général de la firme AeroDynamic Advisory. Je n’ai jamais vu rien de tel en 35 ans dans l’industrie. »

À son avis, il y a peu de moyens à la disposition d’Airbus pour rattraper le retard accumulé. M. Aboulafia affirme qu’un « triste constat » s’impose : il faudra beaucoup plus de temps que prévu avant que les choses ne rentrent dans l’ordre chez les fournisseurs.

Spirit Aerosystems en bref

Effectif
Plus de 12 000 personnes

Empreinte
États-Unis, Royaume-Uni, France, Malaisie, Maroc

Principaux produits
Fuselages, ailes, composants d’ailes, pylônes, nacelles

Revenus* 2,8 milliards US

Perte* 488 millions US

(* au premier semestre 2023)

En savoir plus
  • 2015
    Année où l’investissement initial dans la C Series a été annoncé.
    source : gouvernement du québec
    33
    Nombre d’A220 commandés depuis le début de l’année
    source : AIRBUS