La faillite du Weight Watchers québécois, Ideal Protein, pourrait faire perdre quelques kilos à la Caisse de dépôt et placement, à Investissement Québec et aux six autres prêteurs d’un syndicat bancaire comprenant la Banque de Montréal, la Nationale, la Laurentienne, Desjardins, la Bank of America et même un prêteur exotique, la Banque de Chine.

Ideal Protein, qui vend une méthode et des produits pour perdre du poids, fait partie de la même société de portefeuille insolvable que Laboratoires C. O. P et l’usine Pharmalab, de Lévis, qui ont aussi fermé à la mi-août, entraînant la mise à pied « pour au moins six mois » de la plupart des 235 employés (environ 200 au Québec et 35 aux États-Unis).

L’entreprise, qui continue d’acheminer ses stocks, se restructure et cherche un repreneur, sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers.

Ideal Protein était handicapée, entre autres, par son endettement trop grand, de sérieux problèmes internes et des changements profonds qui bouleversent son modèle d’affaires et toute l’industrie de la perte de poids, explique le syndic Martin Rosenthal, d’EY, nommé par la cour à la demande du syndicat bancaire.

Les ennuis d’Ideal Protein avaient commencé avant qu’arrivent sur le marché les médicaments qui coupent l’appétit, comme Ozempic, a dit M. Rosenthal.

PHOTO JOËL SAGET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Ozempic, un médicament antidiabétique qui atténue l’appétit, bouleverse l’industrie de la perte de poids. En février, le mot-clic #Ozempic avait été vu plus de 500 millions de fois sur TikTok.

Malgré des améliorations observées depuis l’arrivée d’une nouvelle direction il y a un an, Ideal Protein était tout simplement trop endettée, dit-il. « Cela étant, les opérations se poursuivent et le processus de vente suscite un niveau d’intérêt très élevé de la part d’acheteurs ou investisseurs potentiels qui ont signé des ententes de confidentialité », ajoute M. Rosenthal, qui dit s’attendre à ce que la société soit rachetée et relancée, y compris dans ses activités de fabrication à Lévis, d’ici la fin de l’année.

La société avait été acquise en 2015 par le fonds d’investissement APAX Partners, de New York.

Les actionnaires originels et plusieurs dirigeants importants ont quitté les entreprises du holding durant les trois années suivantes, une perte d’expertise qui a beaucoup nui, estime un ancien cadre s’exprimant à la condition de ne pas être nommé pour ne pas nuire à sa carrière.

La Caisse et IQ exposés

La société doit environ 200 millions de dollars américains, dont environ 195 millions aux prêteurs, a dit M. Rosenthal. La liste des créanciers indique seulement deux prêteurs, la Banque de Montréal et Desjardins, qui sont les membres originaux d’un syndicat bancaire établi en 2015 et qui s’est élargi par la suite, explique le syndic Rosenthal. On retrouve les six autres prêteurs dans les contrats de prêts qu’il a déposés en cour.

M. Rosenthal n’a pas voulu détailler les créances de chacun des huit prêteurs, mais la Banque de Montréal et Desjardins ont les plus importantes sommes en jeu, dit-il.

La Caisse de dépôt a prêté 30 millions US en 2012, a indiqué une porte-parole qui n’a pas souhaité indiquer le solde. Investissement Québec a prêté 21 millions US en 2015 et le solde est de 15 millions US, a indiqué une porte-parole.

Selon un document déposé en cour, la Banque de Chine (Canada) a prêté 15 millions US en 2016. Les documents déposés en cour ne chiffrent pas les créances des autres banques.

Ideal Protein a été cofondée en 2004 par l’entrepreneur Olivier Benloulou, de Gatineau. M. Benloulou, connu dans le milieu automobile pour sa collection de voitures exotiques qu’il montre à ZTélé, a cessé d’être PDG en janvier 2019. Il siégeait encore au conseil d’administration au moment où l’entreprise a déposé son bilan en juillet. Il n’a pas répondu aux messages laissés par La Presse.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’ÉMISSION RAPIDES ET MILLIONNAIRES

Le cofondateur d’Ideal Protein Olivier Benloulou, de Gatineau, siégeait encore au conseil d’administration de la société de portefeuille qui détient l’entreprise quand elle s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers.

Pharmalab a été fondée en 1953 par un entrepreneur pharmaceutique de Lévis, Marcel Vachon, qui s’est éteint en 2022. Elle fabriquait les produits d’Ideal Protein. Les entreprises ont été réunies dans la même société de portefeuille avant la vente à APAX Partners.

Frappée par la COVID-19…

Ideal Protein est peu connue hors des milieux spécialisés, mais elle s’était taillé un créneau appréciable et rentable dans l’industrie de la perte du poids, dominée par les gros joueurs comme Weight Watchers, Medifast et Nutrisystem. En 2015, sous l’impulsion de M. Benloulou, Ideal Protein avait monté un réseau de 3000 cliniques indépendantes aux États-Unis et au Canada, où des coachs encadraient la clientèle et vendaient ses produits, fabriqués à l’usine Pharmalab de Lévis. Ideal Protein avait aussi une filiale de distribution en France.

On ne sait pas combien les actionnaires ont obtenu de la vente à APAX Partners, mais Ideal Protein était évaluée à 436 500 000 $ US en 2015, peut-on lire dans le dossier d’insolvabilité.

On y apprend qu’APAX a mis de l’argent, mais que la transaction a été financée en grande partie par un emprunt aux banques de 175 millions US assumé par Ideal Protein. Cet emprunt a atteint 280 millions US à son apogée. Après la vente à APAX, la société a versé des dividendes totalisant 145 millions US au fil du temps.

En 2016, les ventes ont atteint 201 millions US et le profit brut, 81 millions US, un sommet. La situation s’est dégradée après 2018 et la COVID-19 a mis à mal le modèle d’affaires d’Ideal Protein, basé sur le coaching en personne. Ideal Protein a cessé de rembourser ses emprunts en 2020.

… menacée par l’Ozempic

Le redressement d’Ideal Protein pourrait être compliqué aux États-Unis – son marché principal – par la concurrence accrue des médicaments qui font maigrir comme l’Ozempic et le Mounjaro. « Ces médicaments sont une menace énorme pour le secteur [de la perte de poids] ; ils vont lui enlever une grosse part du marché », a écrit à la fin de juillet dans une note à ses clients l’analyste boursier américain Alex Fuhrman, de la banque d’investissement Craig-Hallum Capital Group, de Minneapolis, au Minnesota.

Aux États-Unis, Weight Watchers et le nouveau venu Noom, ont dû intégrer dans leur offre l’approche pharmaceutique, qui remplace la volonté par une pilule.

Ideal Protein pourrait aussi devoir modifier son modèle de distribution, surtout basé sur le coaching en personne dans les cliniques, note le président d’une petite chaîne de cliniques minceur québécoise, qui a pris le virage virtuel dès le début de la pandémie et qui fait tout son coaching par vidéoconférence. Le modèle en personne d’Ideal Protein était déjà miné par la rémunération et la formation insuffisantes, notamment, indique le rapport du syndic. La chaîne Jenny Craig, qui a fait faillite en mai 2023, a fermé 500 cliniques en Amérique du Nord. Nutrisystem, qui a racheté la marque, la relance en ligne.

La PDG d’Ideal Protein, Dawn Halkuff, n’a pas répondu à une demande d’entrevue de La Presse, tout comme Dave Evans, partenaire chez APAX Partners et principal responsable de l’investissement dans Ideal Protein.

En savoir plus
  • Profession : redresseur d’entreprises
    L’homme chargé en juillet de redresser Ideal Protein est bien connu dans le petit monde des experts canadiens en restructuration d’entreprises. Le Torontois Randy Benson, 64 ans, a géré le redressement de cas lourds comme Hollinger/Chicago Sun-Times, avec Conrad Black dans le portrait. Au Québec, il a redressé Quebecor World Press et Ivaco, deux restructurations suivies par des rachats et la préservation d’une part importante d’activités. M. Benson n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de La Presse.