Le fondateur et grand patron de Fiera Capital se dit frustré par ce qu’il qualifie de « bruit » nuisible aux efforts de développement du gestionnaire d’actifs montréalais.

Jean-Guy Desjardins se plaint du placotage entourant sa succession, le roulement de personnel et la fuite d’actifs liée au départ du gestionnaire vedette Nadim Rizk, qui a quitté Fiera durant la pandémie pour se lancer à son compte.

Ces éléments sont mal compris, selon Jean-Guy Desjardins. Cette « incompréhension » se reflète, selon lui, dans le prix de l’action de Fiera en Bourse, en plus de créer un obstacle « emmerdant » pour les dirigeants lors de présentations à des clients pour décrocher des mandats de gestion.

« Ça suscite des questions. Ce n’est pas agréable. Ça nuit à notre capacité à gagner de la business », dit-il calmement en entrevue. « Ça fait ombrage à notre plateforme de gestion [stratégies de marchés publics et privés] unique au Canada chez les gestionnaires indépendants et exceptionnelle en termes de performance avec 97 % de nos stratégies de placement qui surperforment par rapport à leurs indices de référence. »

L’organisation mérite d’avoir une image qui reflète sa réalité, ajoute-t-il. Ceux qui « mémèrent » – comme il dit – ne font pas leurs devoirs, selon lui.

L’entrepreneur financier qui aura 80 ans l’automne prochain est de retour à la tête de Fiera depuis janvier, succédant à Jean-Philippe Lemay.

Son retour a braqué les projecteurs sur les départs successifs à la haute direction ces dernières années, de Jean-Philippe Lemay à Sylvain Brosseau, en passant par Vincent Duhamel et Anik Lanthier. « Pris un à un, ces départs s’expliquent tous par une raison logique et raisonnable », dit Jean-Guy Desjardins.

Pour expliquer le changement de leadership en début d’année, il avait notamment été mentionné que le conseil d’administration anticipait des turbulences sur le plan macroéconomique, et que dans ce contexte il était préférable d’avoir aux commandes une personne ayant beaucoup d’expérience, et qui comprend en profondeur l’environnement économique, les politiques monétaires ainsi que l’ensemble des stratégies de placement et des opérations de Fiera Capital.

À propos du plan de succession chez Fiera, Jean-Guy Desjardins souligne que quatre candidats ont été identifiés à l’interne. Il s’agit de quatre des cinq dirigeants qui siègent à ses côtés au comité exécutif : Gabriel Castiglio, Lucas Pontillo, Jean Michel, John Valentini et Peter Stock.

Jean-Guy Desjardins précise que les candidats identifiés ont tous exprimé un intérêt personnel pour le poste de PDG. L’un d’eux est identifié comme étant le plus à même d’assumer cette responsabilité advenant un incident à très court terme.

Action sous pression

La baisse du titre de Fiera Capital en Bourse se situe à un peu plus de 30 % cette année, ce qui pousse le rendement du dividende à 15 %.

Fiera Capital a toujours couvert son dividende avec les flux de trésorerie disponibles à hauteur de 75 % en moyenne, souligne Jean-Guy Desjardins. En ce moment, 100 % des flux de trésorerie disponibles sont nécessaires pour couvrir le dividende. « C’est la deuxième fois en 20 ans qu’on est aussi serré sur la couverture de notre dividende », dit le patron de Fiera.

« On ne peut pas arriver cette année et dire "on le coupe" et l’an prochain on le remonte. Il ne peut pas y avoir la même volatilité que le marché peut avoir. On prévoit que dans les 12 prochains mois, on va confortablement couvrir notre dividende avec nos flux de trésorerie disponibles dans une hypothèse où le marché boursier demeure stable. »

Dans un marché en baisse poussant la valeur des actifs de Fiera à la baisse, il n’est pas anormal d’observer une pression sur le titre de Fiera. « Mais on n’a pas un titre efficient dans un marché efficient », lance Jean-Guy Desjardins.

Inquiet des FNB

Fiera étant un titre de petite capitalisation, Jean-Guy Desjardins dit s’inquiéter de la montée en popularité des fonds négociés en Bourse (FNB).

« Une partie de l’épargne chaque année va dans le marché boursier, dont un pourcentage important dans les FNB et dans les titres de grande capitalisation, ce qui laisse moins de nouvelles liquidités pour les moyennes, petites, et micro-capitalisations par rapport à ce qu’on a connu historiquement », explique-t-il.

« Moins il y a de liquidités dans ces segments du marché, plus ces segments deviennent inefficients et mal évalués. Les grandes capitalisations deviennent surévaluées, car il y a trop de liquidités qui y sont dirigées au détriment des autres. Ça crée des inefficiences de marché qui n’existaient pas il y a 15 ans », dit-il.

« Ce n’est pas normal que le rendement du dividende de Fiera soit de 15 %. Quelque chose ne fonctionne pas », dit Jean-Guy Desjardins. « Ça ne reflète pas bien la valeur intrinsèque de l’entreprise. »

De l’aveu même de Jean-Guy Desjardins, la situation avec PineStone est l’enjeu le plus important à comprendre.

La croissance organique chez Fiera est affectée par une fuite d’actifs depuis le départ du gestionnaire de portefeuille vedette, Nadim Rizk. Il était chef de l’équipe des actions mondiales et supervisait 60 milliards de dollars d’actifs, l’équivalent de 30 % des actifs chez Fiera. Avant de partir pour fonder PineStone, Nadim Rizk s’est entendu avec Jean-Guy Desjardins pour devenir sous-gestionnaire d’actifs de clients de Fiera.

L’accord prévoit des balises advenant que des clients décident de quitter Fiera.

« Il est impossible que les 60 milliards d’actifs disparaissent d’ici deux ou trois ans. L’entente n’a pas été bâtie ainsi », dit Jean-Guy Desjardins.

« L’entente répond aux ambitions et intérêts de Nadim Rizk et protège la valeur économique pour les actionnaires de Fiera. »

Puisque PineStone n’est véritablement opérationnelle que depuis le début de cette année, le grand patron de Fiera Capital soulève la théorie que le marché escompte que 30 % des actifs de Fiera seront transférés chez PineStone en pointant le recul de 30 % de l’action de Fiera depuis le 1er janvier.

« Le modèle mis en place fait en sorte qu’en moyenne dans le temps, l’augmentation des valeurs marchandes devrait plus que compenser les fuites d’actifs possibles liées à des clients qui décideraient de quitter Fiera pour rejoindre PineStone », dit Jean-Guy Desjardins.

Le titre de Fiera va remonter, selon lui, lorsque le marché réalisera que la fuite anticipée d’actifs vers PineStone ne se matérialise pas.

Fiera Capital en bref

Siège social : Montréal

Activités : gestion d’actifs

Année de fondation : 2003

Fondateur, président du conseil et chef de la direction : Jean-Guy Desjardins

Actifs sous gestion : 164 milliards

Nombre d’employés : 850