Un stratagème pour effectuer des « paiements irréguliers » avait été élaboré par d’ex-cadres d’un producteur indien d’énergie solaire contrôlé par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Les problèmes sont si nombreux chez Azure Power Global que ses jours pourraient être comptés si rien ne change, prévient son vérificateur interne.

Ces révélations préoccupantes figurent dans un volumineux rapport d’environ 595 pages déposé par l’entreprise indienne auprès du gendarme boursier américain, la Securities and Exchange Commission. En plus des états financiers audités pour l’exercice 2022 – attendus depuis l’an dernier –, on y énumère les nombreux problèmes identifiés depuis la débâcle boursière qui s’est amorcée il y a un peu plus d’un an et qui a fait plonger de quelque 550 millions la valeur du placement de la Caisse.

La liste des problèmes est longue. Azure est dans le rouge en date du 31 mars 2022 (voir tableau), sa survie est menacée selon son nouvel auditeur, elle a besoin d’argent, ne parvient pas à s’entendre avec ses prêteurs, peine à respecter des échéances de livraison, risque d’être mise à l’index par l’agence gouvernementale indienne responsable des énergies renouvelables et n’est toujours pas en mesure de brosser un portrait à jour de sa santé financière.

« Certains engagements n’ont pas été respectés envers certains prêteurs […], peut-on lire. Ces évènements soulèvent un doute substantiel quant à la capacité de la société à poursuivre ses activités. »

La CDPQ a investi dans l’entreprise indienne pour la première fois en 2016 et s’est progressivement imposée, au point d’en devenir l’actionnaire majoritaire en 2020. Elle a misé plus de 600 millions, ce qui lui confère une participation de 53,4 %. Cet investissement ne vaut presque plus rien.

Incapable de déposer ses états financiers à temps, Azure a été radiée de la Bourse de New York en juillet dernier.

Sur le marché secondaire OTC, lundi, le titre cotait à 1,12 $ US. Cela conférait une valeur de 51 millions au bloc d’actions de l’institution québécoise. Cela détonne avec le sommet atteint au début de 2021, quand le placement de la Caisse valait environ 1 milliard US.

« Tout indique qu’Azure s’approche d’une situation où elle demandera du financement additionnel de la CDPQ », explique Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale, après avoir parcouru le document. « La Caisse est vraiment dans une mauvaise situation. »

Pratiques douteuses

Ce sont des allégations soulevées par un lanceur d’alerte à propos d’irrégularités et de pratiques douteuses chez Azure qui sont à l’origine de la chute du producteur d’énergie solaire. Quatre projets – sur les 23 actuellement en service – ont été passés au peigne fin par le comité spécial formé par l’entreprise.

« L’enquête a permis d’identifier des preuves que d’anciens cadres étaient impliqués dans un système apparent avec des personnes extérieures à la société pour effectuer des paiements irréguliers en lien avec un projet », révèle-t-on.

Il n’y aurait toutefois pas eu de « paiement ou transfert » irrégulier d’argent identifié par le comité spécial, explique-t-on. On ne fournit pas plus de détails, notamment sur la nature des paiements qualifiés d’« irréguliers ».

Le projet au cœur des irrégularités n’est pas identifié, tout comme les employés fautifs. Il n’avait pas été possible d’obtenir plus de détails auprès d’Azure, lundi.

Les résultats de l’enquête sont « étranges » et « nébuleux », estime M. Duguay.

Autre élément qui donne du fil à retordre chez Azure : l’intransigeance de ses banquiers. Le producteur d’énergie solaire tente de s’entendre avec ces derniers pour repousser à la fin de l’année l’échéance pour déposer ses résultats financiers audités. Des créanciers à qui l’entreprise doit 186 millions US refusent d’acquiescer. Ils pourraient, en principe, demander le remboursement de cette somme, ce qui ferait grimper la pression d’un cran pour Azure.

Dans l’état actuel des choses, il est difficile de voir comment l’entreprise sera en mesure de trouver les fonds nécessaires pour livrer des projets dont les échéances sont prévues dans des contrats. Cela générera des « dépenses importantes » chez Azure, prévient-elle.

À terme, la Caisse devra trancher, affirme l’expert de Yale.

« Elle va devoir décider [entre] encaisser les pertes sur l’investissement et s’en départir ou continuer à investir, souligne M. Duguay. On parle de sommes très élevées. Ça serait un investissement majeur. Je suis d’avis qu’un investisseur comme la CDPQ n’a pas nécessairement l’expertise et l’expérience pour redresser une entreprise en détresse comme Azure. »

Des conséquences potentielles

Les déboires de l’entreprise risquent aussi d’avoir des conséquences sur ses relations avec la Solar Energy Corporation of India (SECI), une société gouvernementale. Azure accuse des retards et est incapable de respecter d’autres modalités prévues dans le cadre d’un projet de 300 mégawatts.

Des pourparlers sont en cours entre les deux parties, mais il existe un risque que le partenaire de la CDPQ soit « exclu des futurs contrats » attribués par l’agence indienne. Celle-ci pourrait également réclamer un dédommagement à Azure, ce qui viendrait accroître la pression financière sur cette dernière.

Ça serait quand même dévastateur si ce scénario [la mise à l’index par la SECI] se produisait. Ce n’est rien pour aider à stabiliser les choses.

Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale

Même si elle contrôle plus de la moitié de l’entreprise, la CDPQ s’est abstenue de commenter le contenu du rapport, lundi. Azure est une « société publique », répète-t-elle. Puisque le titre d’Azure a été relégué sur le marché secondaire, les transactions sont réservées aux investisseurs qui disposent d’une accréditation ou à des courtiers.

« Le récent dépôt [du rapport] est une étape importante pour l’entreprise, qui poursuit son travail à résoudre les enjeux identifiés », a écrit une porte-parole de la Caisse, Kate Monfette, dans un courriel.

Parallèlement au sombre portrait qui guette Azure, le président du conseil d’administration, Alan Rosling, choisi par la Caisse pour prendre la tête du conseil d’administration en octobre 2021, a démissionné. Les raisons de son départ n’ont pas été expliquées. Il a été remplacé par M. S. Unnikrishnan, qui était déjà administrateur.

L’histoire jusqu’ici 

Août 2022

Azure annonce le départ inattendu de son patron et de potentielles irrégularités internes. Son action s’effondre de 44 % à la Bourse de New York.

Janvier 2023

On découvre de nouveaux squelettes dans le placard chez Azure. L’entreprise prévient qu’elle pourrait manquer d’argent pour financer ses ambitions. L’enquête interne se poursuit.

Mai 2023

On ignore toujours l’ampleur des irrégularités internes, mais un nouveau patron et un responsable des finances sont nommés.

Juillet 2023

Azure voit son auditeur démissionner. Elle est toujours incapable de faire le point sur ses finances, et la Bourse de New York lui montre la porte.

Octobre 2023

Des doutes sur la capacité d’Azure à poursuivre ses activités sont soulevés par son vérificateur interne.

En savoir plus
  • 34,25 millions
    Nombre d’actions d’Azure détenues par la CDPQ
    Source : azure power global
    21,4 %
    Participation du Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario dans Azure. Il s’agit du deuxième actionnaire en importance.
    Source : azure power global