Une semaine après avoir congédié le fondateur et PDG de Gildan et soulevé l’opposition d’au moins quatre importants actionnaires, le conseil d’administration du fabricant montréalais de vêtements juge nécessaire de dévoiler plus de détails pour expliquer sa décision. Le conseil remet en question les compétences de Glenn Chamandy pour exécuter le plan stratégique et l’accuse de mauvaise foi.

« L’histoire qui nous concerne n’est pas celle d’un conseil d’administration qui congédie son PDG. C’est plutôt celle d’un PDG qui tente de liquider son conseil d’administration », lance Luc Jobin, membre du conseil de Gildan et ex-PDG du CN.

« C’est un peu dommage, car la situation a été orchestrée par Glenn pour maintenir son statut de PDG. Il a habilement structuré les évènements pour amener une conclusion qui le mettrait dans une position de victime », a dit l’administrateur au cours d’une entrevue avec La Presse dimanche.

« Pour Glenn, personne ne peut lui succéder à la tête de Gildan. »

PHOTO FOURNIE PAR LE CN, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Jobin

Luc Jobin soutient que le conseil a « beaucoup de respect pour l’individu et ce qu’il a accompli », mais qu’il a commencé à se questionner sur les intentions de Glenn Chamandy après avoir essayé de s’entendre en vain avec lui.

Ce n’est pas un concours de circonstances, dit-il, s’il n’y a pas eu de candidat à l’interne mis de l’avant dans les dernières années pour succéder à Glenn Chamandy chez Gildan. « Ça reflète un homme, en Glenn, qui est celui qui veut prendre toutes les décisions. Pour différentes raisons, l’équipe autour de lui n’est jamais adéquate pour lui succéder, du moins de son point de vue. »

Luc Jobin soutient que dans le cadre de discussions entourant sa succession, Glenn Chamandy a fait part au conseil il y a deux ans de son intention de prendre sa retraite dans un horizon de trois à cinq ans. Il précise qu’un candidat interne a été identifié, mais qu’une évaluation externe a conclu qu’il n’était pas prêt à assumer le rôle de PDG et que ce candidat avait besoin de « développement » à moyen ou long terme.

Le conseil se devait de regarder à l’externe. Et c’est là que les discussions ont commencé à être difficiles avec Glenn.

Luc Jobin

Au même moment, dit-il, le plan stratégique de l’entreprise allait bon train pour déterminer les vecteurs pouvant permettre de pénétrer de nouveaux segments où Gildan pouvait gagner des parts de marché. « Glenn a alors commencé à être plus impatient et moins confortable avec le défi d’augmenter le rythme de la croissance organique dans le cadre de la stratégie mise en place en 2021. »

Luc Jobin affirme que les grandes forces de Glenn Chamandy deviennent potentiellement ses limites, et le conseil devait s’assurer d’avoir la personne ayant la capacité de mener Gildan pour relever les défis des cinq à dix prochaines années.

C’est là que les dossiers de la stratégie et de la succession se rejoignent en 2023, selon Luc Jobin.

Glenn Chamandy a présenté, dit-il, une stratégie incluant un nouveau vecteur important qui est de poursuivre des acquisitions multiples de plusieurs milliards de dollars à l’extérieur du champ d’expertise et du champ opérationnel de Gildan, donc dans des secteurs adjacents.

« Des acquisitions qui seraient hautement dilutives pour nos actionnaires parce qu’il y aurait beaucoup d’émission de dettes et d’équité pour réaliser ces acquisitions. Le niveau de rigueur utilisé pour examiner le potentiel des acquisitions n’était pas à la hauteur des attentes du conseil. »

Luc Jobin ajoute que la réalisation de cette stratégie comporte un risque parce qu’elle nécessite des compétences qui ne sont pas pleinement maîtrisées par Glenn Chamandy.

« Glenn a servi au conseil un ultimatum calculé. Le conseil devait acquiescer à deux demandes, sinon il allait quitter », dit Luc Jobin.

« Sa première demande était d’aller de l’avant avec la stratégie d’acquisitions avec un sentiment d’urgence qui nous prenait un peu par surprise, parce que le dossier n’était pas étoffé et qu’il y avait beaucoup de travail à faire. La deuxième condition était de revoir dans deux ans le statut de développement du candidat interne sans que Glenn puisse dire au conseil avec certitude si ce candidat aurait atteint le niveau nécessaire pour lui succéder comme PDG. »

Le conseil aurait répondu à Glenn Chamandy qu’il devait terminer son travail d’évaluation de candidats externes avant de prendre position. « La relation avec Glenn s’est alors détériorée rapidement », dit Luc Jobin.

Glenn Chamandy s’est fait montrer la porte au début de la semaine dernière par le conseil, qui a nommé Vince Tyra, un Américain de 58 ans, pour prendre le relais. Le départ de Glenn Chamandy avait alors été simplement expliqué par un désaccord sur le moment de l’implantation du plan de succession.

Tour à tour, les actionnaires institutionnels Turtle Creek, Browning West, Jarislowsky Fraser et Pzena Management ont tous critiqué la décision de Gildan.

Luc Jobin affirme que l’investisseur institutionnel américain Coliseum Capital – actuellement deuxième actionnaire en importance de Gildan avec une participation de 6,6 % – appuie le conseil d’administration et entend bonifier sa participation dans Gildan en achetant des actions sur le marché pour devenir le plus important actionnaire devant Jarislowsky, qui détient une participation de 7 %.

« Coliseum est un des premiers actionnaires à avoir voulu engager des discussions plus approfondies pour mieux comprendre ce qui se passe. Coliseum nous a dit être prêt à poser un geste pour aider la cause. On a donc invité un de leurs dirigeants à se joindre au conseil », dit Luc Jobin.

Chris Shackelton, cofondateur et associé directeur de Coliseum, obtient donc un siège au conseil de Gildan.

Luc Jobin dit que le conseil entend passer du temps cette semaine avec les autres actionnaires institutionnels.

« Le conseil a tenu des discussions "assez préliminaires et pas très étendues" avec les 15 ou 20 plus importants actionnaires la semaine dernière. Nous avions espoir que Glenn n’inciterait pas les actionnaires activistes à prendre position et avions jugé qu’il n’était pas nécessaire d’offrir autant de détails pour ne pas nuire à la perception des gens face à la situation et à Glenn. Malheureusement, un dialogue plus factuel est devenu nécessaire pour aider les actionnaires à comprendre ce qui s’est passé », dit-il.

Luc Jobin affirme par ailleurs que Glenn Chamandy a vendu « pratiquement l’ensemble de ses actions de Gildan » lundi dernier. Le titre de Gildan a perdu 11 % lors de la première séance boursière de la dernière semaine.

Il n’a pas tout de suite été possible d’obtenir une réaction de Glenn Chamandy.