Une tentative de rébellion prend forme chez Gildan, où deux autres grands actionnaires – dont le plus important de l’entreprise – appuient une offensive visant à éjecter des administrateurs du fabricant montréalais de vêtements et à remettre le cofondateur Glenn Chamandy, limogé le mois dernier, aux commandes.

Après plusieurs semaines tumultueuses, le gestionnaire d’actifs montréalais Jarislowsky Fraser et la firme torontoise Turtle Creek, qui détiennent respectivement 7,2 % et 3,3 % des actions en circulation de la multinationale, estiment également que le temps est venu de trancher une fois pour toutes afin de savoir qui devrait diriger l’entreprise propriétaire de marques comme American Apparel et Peds.

« Nous croyons que les actionnaires de Gildan ont perdu confiance envers le conseil d’administration, a expliqué la firme torontoise, jeudi. Une résolution rapide est essentielle afin d’éviter toute nouvelle perte de valeur. Nous ne nous souvenons pas d’une situation où l’opposition des actionnaires à la décision d’un conseil d’administration ait été aussi importante et rapide. »

Cette « résolution rapide » prendra vraisemblablement la forme d’une assemblée extraordinaire des actionnaires. Établie à Los Angeles, Browning West, qui détient 5 % de Gildan, dit finaliser les « détails techniques » pour exiger la tenue d’un tel rendez-vous. Le fonds militant américain souhaite écarter 5 des 11 membres du conseil de Gildan afin de les remplacer par ses propres candidats, parmi lesquels on retrouve M. Chamandy. Ce dernier redeviendrait également président et chef de la direction, poste qu’il occupait depuis deux décennies.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Glenn Chamandy, cofondateur et ancien patron de Gildan

Jarislowsky Fraser et Turtle Creek comptent appuyer l’équipe du fonds militant américain dévoilée le 29 décembre dernier. Dans une déclaration écrite envoyée à La Presse, le gestionnaire montréalais s’est borné à dire qu’il appuyait Browning West. Il n’a pas décoché de nouvelles flèches à l’endroit du conseil d’administration de la multinationale établie à Montréal.

À eux trois, Jarislowsky Fraser, Browning West et Turtle Creek possèdent quelque 15,5 % des actions en circulation de Gildan.

Une crise de gouvernance

Cette crise de gouvernance a éclaté lorsque M. Chamandy a été limogé par le conseil d’administration, le 10 décembre dernier. Survenue le lendemain, l’annonce avait surpris les investisseurs, qui ne s’y attendaient pas. Le conseil a justifié sa décision en évoquant des divergences avec M. Chamandy au sujet du plan de succession et en soutenant que ce dernier souhaitait aller de l’avant avec une stratégie d’acquisitions jugée trop risquée.

En principe, Vince Tyra, qui a notamment dirigé Fruit of the Loom au cours de sa carrière, doit devenir le nouveau président et chef de la direction à compter du 12 février prochain. Reste à voir si cela se produira. Au cours des dernières semaines, neuf des principaux actionnaires de Gildan, qui détiennent ensemble environ 35 % des actions en circulation, ont publiquement critiqué le conseil d’administration tout en réclamant le retour de M. Chamandy – qui ne digère pas d’avoir été écarté et souhaite revenir en poste.

Les grands actionnaires favorables au retour de Glenn Chamandy

  • Jarislowsky Fraser
  • Pzena Investment
  • Cooke & Bieler
  • Janus Henderson
  • Browning West
  • Turtle Creek
  • Oakcliff Capital
  • Anson Funds
  • Cardinal Capital

« Nous sommes devant une stratégie rarement utilisée par les actionnaires au Canada », souligne Ivan Tchotourian, professeur titulaire de la faculté de droit de l’Université Laval spécialisé en droit des affaires, gouvernance et responsabilité sociale.

C’est une forme de rébellion. C’est certain que cela va casser la routine du conseil d’administration et de l’entreprise.

Ivan Tchotourian, professeur titulaire de la faculté de droit de l’Université Laval spécialisé en droit des affaires, gouvernance et responsabilité sociale

Au moment où nous écrivions ces lignes, le fabricant de vêtements n’avait pas répondu aux questions de La Presse envoyées par courriel. Depuis l’annonce du congédiement de M. Chamandy, le titre de Gildan a dégringolé d’environ 15 % à la Bourse de Toronto.

Turbulences à venir

Jeudi, Browning West n’avait pas encore officiellement demandé à Gildan d’organiser une assemblée extraordinaire des actionnaires. Il pourrait s’écouler plusieurs semaines, voire des mois, avant la tenue d’un rendez-vous, selon les experts consultés par La Presse. Ce genre d’affrontement laissera assurément des traces, croit le directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP), François Dauphin.

« On ouvre la porte à une offensive des deux côtés, souligne l’expert. Nous sommes dans une période de crise importante. Cela m’étonne que l’on veuille forcer la tenue d’une assemblée extraordinaire quand le rendez-vous annuel des actionnaires de Gildan se tient généralement [au début du mois de] mai. Habituellement, on opterait plutôt pour une bataille de procurations. »

Visiblement, les actionnaires mécontents veulent aller le plus vite possible. Dans sa sortie, jeudi, Turtle Creek a exhorté le conseil d’administration de Gildan à ne pas « s’engager dans des tactiques de retardement en ce qui concerne la date de l’assemblée extraordinaire ».

MM. Tchotourian et Dauphin s’étonnent néanmoins de la vigueur avec laquelle le cofondateur de Gildan tente de faire infirmer la décision du conseil d’administration, qui était unanime, soulignent les deux experts.

Je peux comprendre les actionnaires d’être étonnés, mais le plan de succession et la stratégie à long terme sont deux éléments au cœur des priorités d’un conseil d’administration. Si le conseil n’était pas satisfait sur ces aspects, il semble avoir assumé ses responsabilités, qui consistent à veiller aux intérêts de la société.

Ivan Tchotourian, professeur titulaire de la faculté de droit de l’Université Laval spécialisé en droit des affaires, gouvernance et responsabilité sociale

Les frères Glenn et Greg Chamandy ont fondé Gildan en 1984. Le fabricant de vêtements avait renoncé à ses actions à droit de vote multiple au début des années 2000 lorsque Glenn avait succédé à son frère Greg à la tête de l’entreprise.

« [Glenn] Chamandy semble toujours agir comme un actionnaire de contrôle, explique M. Dauphin. Cela arrive fréquemment chez un actionnaire fondateur en place depuis longtemps. »

M. Tchotourian affirme quant à lui qu’il est toujours difficile pour des « dirigeants et fondateurs » d’entendre qu’ils « ne sont peut-être plus la bonne personne » pour diriger l’entreprise.

Sur le parquet de Bay Street, jeudi, le titre de Gildan a reculé de 38 cents, ou 0,9 %, pour clôturer à 42,91 $. Cela lui confère une valeur boursière de 7,4 milliards.

Avec la collaboration de Richard Dufour, La Presse

L’histoire jusqu’ici

10 décembre : En brouille avec le conseil d’administration de Gildan, le grand patron Glenn Chamandy est limogé.

14 décembre : De grands actionnaires commencent à réclamer le retour de M. Chamandy aux commandes. La pression s’intensifie dans les jours suivants.

29 décembre : Une rébellion s’organise : le fonds militant Browning West dit qu’il exigera une assemblée extraordinaire pour faire le ménage au conseil de Gildan.

4 janvier : Turtle Creek, autre grand actionnaire de Gildan, appuie la démarche de Browning West.

En savoir plus
  • 55 000 personnes
    Effectif de Gildan dans les 12 pays où l’entreprise est présente
    Source : Gildan
    20 millions US
    Indemnité de départ de Glenn Chamandy en cas de congédiement
    Source : Gildan