Indépendants qui ferment ou qui sont rachetés, tarifs trop élevés, grandes entreprises qui contrôlent 84 % du marché et empêchent l’accès à leurs réseaux : la concurrence dans le marché de l’accès à l’internet « a diminué » au Canada au cours des dernières années, forçant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) à faire son mea culpa.

C’est ce qu’a déclaré en substance lundi Vicky Eatrides, présidente du CRTC, alors que s’ouvrait une semaine d’audiences publiques sur la concurrence dans les services internet. Au cœur de ce débat : une décision du CRTC datant de 2015 qui a changé la donne pour les fournisseurs indépendants, les forçant à investir pour avoir accès aux domiciles des abonnés. De plus, en 2021, le CRTC avait pris la décision controversée d’annuler une grande partie des baisses de tarifs de gros, ceux que paient les fournisseurs indépendants pour accéder aux réseaux de grandes entreprises comme Bell et Rogers.

Résultat : le nombre de fournisseurs indépendants a fondu au Canada au cours des dernières années. Les plus importants comme EBOX, Distributel, VMedia et Oxio ont été rachetés par de plus grosses entreprises. L’association Opérateurs des réseaux concurrentiels canadiens (ORCC), qui regroupait 33 fournisseurs indépendants en 2021, n’en compte plus que 17 aujourd’hui.

PHOTO TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN

Les audiences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui se poursuivront toute la semaine, ont commencé lundi avec le témoignage de six experts du Bureau de la concurrence.

« Déclin » des indépendants

Quant à l’effet sur les tarifs, le CRTC note dans ses documents de présentation qu’« il y a certains signes préoccupants concernant les prix des services internet de détail ». « Bien qu’il existe généralement une variété de forfaits et de prix pour les services internet disponibles au Canada, les prix des forfaits de milieu et de haut de gamme restent élevés par rapport aux pairs internationaux », indique-t-on, reprenant les conclusions d’un rapport publié par Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) en 2022.

Depuis son entrée en poste, en janvier 2023, Vicky Eatrides a reconnu sans ambages que la politique du CRTC « n’a pas eu l’effet [recherché] sur les prix ». Les audiences se sont ouvertes avec la présentation du Bureau de la concurrence, où Mme Eatrides a d’ailleurs travaillé de 2005 à 2019.

Pour Krista McWhinnie, commissaire adjointe au Bureau de la concurrence, les difficultés d’accès des fournisseurs indépendants aux domiciles des abonnés, ce qu’on appelle « l’accès de gros dégroupé » dans le jargon, « a contribué au déclin » de ces petits acteurs.

Le mémoire déposé par l’organisme est encore plus précis quant aux causes de ce déclin. Essentiellement, on a noté dans une analyse en octobre dernier que les parts de marché des indépendants avaient baissé « sur le plan national, dans chaque région, et dans presque chaque région métropolitaine de recensement analysée ».

Parallèlement, on a noté que ces fournisseurs indépendants avaient vu une hausse de leurs abonnés dans les secteurs où ils ont eu accès au câble, plutôt qu’à la fibre optique.

« Le Bureau estime que ce déclin est principalement dû à l’absence d’un accès de gros efficace aux réseaux [de fibre optique jusqu’au domicile des abonnés] FTTP », conclut-on.

Baisses de tarifs demandées

Le CRTC confirme en outre dans ses documents de présentation que les fournisseurs indépendants se sont largement tournés, depuis 2015, vers les entreprises de câblodistribution comme Vidéotron, « qui détiennent maintenant 75 % du marché total des services de gros ».

Matt Hatfield, directeur de l’organisme de défense des consommateurs OpenMedia, a quant à lui évoqué dans son témoignage « un marché décimé dans les 18 derniers mois ». Il a lu plusieurs lettres de consommateurs canadiens illustrant selon lui « le ras-le-bol de ces problèmes de concurrence ». « Parler à un fournisseur de services est souvent la pire des expériences pour un consommateur. Les gens n’ont pas l’expertise, mais ils savent quand un fournisseur a trop de pouvoir. »

John Lawford, directeur du Centre pour la défense de l’intérêt public, a renchéri. « Nous avons un marché internet sous-développé. Les Canadiens voient que les parts de marché des titulaires sont énormes, et qu’il n’y a plus grand-chose pour les indépendants […] Tout ce qu’ils veulent, c’est qu’il y ait des baisses de prix. On a observé beaucoup de frustration chez les consommateurs, et elle va s’accroître. »

Les audiences du CRTC se poursuivront toute la semaine. Les entreprises propriétaires de réseaux, Telus, Bell, Vidéotron et Rogers, sont notamment attendues mercredi et jeudi.