« C’est rare d’aller aussi creux et bas en déterrant des histoires personnelles datant d’il y a une vingtaine d’années. Ça fait malheureusement partie des formes les plus acrimonieuses de ces batailles. »

Le président de l’Institut sur la gouvernance, François Dauphin, réagissait ainsi à la publication mardi par le New York Post d’un reportage dévoilant une idylle que le nouveau PDG de Gildan, Vince Tyra, a eue au début des années 2000 avec une employée relevant directement de lui dans une autre entreprise et qui occupe aujourd’hui un poste de direction chez Gildan.

Le reportage s’appuie sur des extraits d’un rapport actuellement en préparation par Paragon Intel, une firme new-yorkaise d’analyse de compétences et d’évaluation de gestionnaires.

Gildan soutient qu’il ne s’agit pas d’une liaison extraconjugale. Vince Tyra, 58 ans, a fréquenté une collègue pendant moins de trois mois il y a 22 ans. « À cette époque, il était séparé et elle était divorcée », indique une déclaration transmise par écrit au nom de l’entreprise.

Cette manchette du New York Post survient alors qu’un conflit entre un groupe d’investisseurs et le conseil d’administration du fabricant montréalais de vêtements perdure depuis le congédiement, en décembre, de Glenn Chamandy, qui était PDG de Gildan depuis 20 ans.

Ce licenciement a déclenché une lutte de pouvoir entre le conseil et des actionnaires institutionnels en prévision de l’assemblée prévue le 28 mai. La firme d’investissement de Los Angeles Browning West mène une cabale pour reconstituer le conseil et ramener Glenn Chamandy à la tête de Gildan. Cette saga très publique a notamment donné lieu à des commentaires virulents et parfois contradictoires.

« Cette fausse histoire, digne d’un journal à sensation, constitue une attaque répréhensible, colportée par Browning West dans le cadre d’une campagne d’activisme soutenue par Glenn Chamandy et d’autres collaborateurs dans le but de nuire à deux personnes sans reproche, afin de remporter une course aux procurations », poursuit la déclaration écrite de Gildan.

« Les activistes qui font mousser cette histoire sont tombés bien bas. Les actionnaires et les candidats aux postes d’administrateur qui suivent la tentative de Browning West de prendre le contrôle de Gildan et du conseil devraient se demander comment ils peuvent s’associer à des activistes qui commettent ce type de diffamation révoltante. Les personnes, les investisseurs institutionnels, les fonds de retraite et les universités qui investissent dans les fonds de Browning West devraient avoir honte », ajoute-t-on.

Huile sur le feu

François Dauphin dit trouver presque triste de voir un combat en arriver là alors que l’assemblée des actionnaires approche.

« On allait réfléchir au vote et là, on tente de jeter de l’huile sur le feu et de remettre les projecteurs favorables sur Glenn Chamandy en discréditant le conseil et le nouveau PDG. Ça n’aide pas la compagnie, peu importe ce qu’en pensent les activistes », dit François Dauphin.

Dans une déclaration écrite transmise en son nom elle aussi, Browning West indique à La Presse qu’elle n’a joué aucun rôle dans le rapport mentionné dans le reportage du New York Post et soutient qu’une action en justice sera intentée contre toute partie prétendant le contraire.

Le conseil a présidé à un « manque de diligence et de jugement », poursuit par écrit la firme, en négligeant la relation « apparemment inappropriée » de Vince Tyra avec une employée subalterne pendant qu’il dirigeait Broder Bros.

Browning West se demande si le conseil a découvert cette information « troublante » au cours de son processus de recherche du PDG et « comment les administrateurs en place ont pu se sentir à l’aise de retenir un PDG qui estimait acceptable d’entretenir une telle relation avec quelqu’un travaillant sous ses ordres ».

De son côté, Glenn Chamandy dit ne pas avoir un intérêt particulier à commenter les questions d’ordre personnel ou en lien avec le passé de Vince Tyra. « Il appartient au conseil de procéder à ses vérifications en temps opportun et aux actionnaires de Gildan de se faire une opinion. Mon attention est vraiment centrée sur les efforts nécessaires pour remettre Gildan sur les rails après la prochaine assemblée des actionnaires », écrit-il.

« Toutefois, par souci de clarté, je tiens à confirmer que je n’ai jamais parlé à une firme d’enquête et que je n’ai jamais été impliqué dans le rapport publié, et j’ai l’intention de demander des comptes à quiconque prétendra le contraire. »

Requins dans le lac

François Dauphin apporte une perspective différente. « On parle d’une relation de très courte durée qui semblait consensuelle il y a une vingtaine d’années dans une autre organisation. Chaque organisation a son code pour encadrer les relations. S’il y avait des allégations de harcèlement, d’abus de pouvoir ou autre chose, la réflexion serait différente. »

L’expert en gouvernance ajoute que des firmes comme Paragon peuvent bénéficier de batailles de procurations. « Ils utilisent ces batailles pour produire des rapports et essayer de les vendre à un côté ou l’autre. Les vendeurs à découvert procèdent un peu de la même façon et auraient pu entrevoir une histoire comme celle-là pour la couler en espérant générer un gain à court terme. »

Sans être mandatée formellement pas un activiste, François Dauphin souligne que Paragon a compris qu’elle aurait un acheteur pour son rapport qui doit être publié dans quelques semaines et dans lequel une opinion sera offerte. « Qui a demandé cette opinion et qui la souhaite vraiment ? C’est une autre question. On sent qu’il y a un paquet de requins dans ce lac présentement », dit-il.

« Nous sommes dans un cas où toutes les attaques sont permises. J’ose espérer que ça n’ira pas plus loin, car ce n’est pas qu’une question d’actionnariat et de vengeance, il y a des êtres humains. L’humeur des troupes peut être affectée autant chez Gildan que chez les individus concernés par les allégations. C’est presque de la politique américaine. »