Victime d’une chute, inapte, une vieille dame vient d’être admise en CHSLD. Sa fille peut-elle, doit-elle, vendre son condo ?

La situation

La mère de Monica* a fait une chute en juillet dernier. Tout s’est alors écroulé. Avec une hanche fracturée, la femme de 88 ans, de surcroît atteinte de démence, a été hospitalisée pendant six semaines.

« De là, ils ont fait la demande pour un hébergement permanent parce qu’elle ne pouvait pas retourner à la maison », raconte Monica. Elle a été admise en CHSLD.

La vieille dame — appelons-la Luisa — habitait jusqu’alors un condo dont elle est propriétaire.

« Nous sommes juste deux enfants, on se demandait maintenant quoi faire, poursuit Monica. Doit-on louer ou vendre son condo ? »

« Si on vend le condo, qui n’est pas à notre nom, il faudrait faire toute la procédure pour faire homologuer un mandat d’inaptitude qu’elle a fait au mois d’octobre 2021. »

Le mandat, signé devant notaire, n’est pas homologué.

« Je pense que si le mandat n’est pas homologué par un juge, on ne peut pas procéder à la vente. Donc il faut le faire homologuer. Pour le faire homologuer, je crois qu’il faut qu’on aille chez une travailleuse sociale et un médecin qui vont établir que ma mère n’est plus apte à prendre ses décisions. Ça peut être long ! »

Si la location s’avère préférable, c’est encore Monica et son frère qui devront trouver un locataire et lui faire signer un bail.

« Est-ce que nous, on a le droit de faire un bail ? Le condo est à son nom. »

En faisant le ménage dans les documents de sa mère, Monica a trouvé une vieille procuration générale à son nom datée de 1999, dont elle avait oublié l’existence.

« Je ne sais pas si c’est encore valide, ajoute-t-elle. Je pourrais peut-être louer avec ça. »

Dans tous les cas, il faudra vendre l’appartement après la mort de sa mère.

Le condo, payé environ 250 000 $ en 2010, est libre d’hypothèque. Monica estime sa valeur actuelle à environ 400 000 $.

« Étant donné que le condo ne serait plus sa résidence principale, est-ce que nous, ou la succession, on serait taxés ? Il y a tout un questionnement sur ce plan-là. »

Mais que le condo soit vendu ou loué, il faudra de nombreux mois pour nettoyer l’appartement, puis trouver un acheteur ou un locataire.

Entre-temps, Luisa doit encore acquitter les dépenses du condo (assurance, électricité, charges de copropriété, impôt foncier), qui s’élèvent à 536 $ par mois. Elle verse en outre une mensualité de 277 $ pour un contrat de préarrangements funéraires qui la lie pour trois ans. Au total : 813 $ par mois.

Luisa ne touche que la rente de la RRQ et la prestation de la Sécurité de la vieillesse (PSV) augmentée du Supplément de revenu garanti (SRG). Avec le remboursement de TPS, ses revenus totalisent 2101 $.

« Le CHSLD lui facture 2019 $ par mois, le maximum, relève Monica. Devrais-je faire une demande d’exonération jusqu’à ce qu’on loue le condo si c’est le cas ? »

Plusieurs questions, plusieurs incertitudes. « Nous ne savons pas à qui nous adresser. »

Les chiffres

Luisa, 88 ans

Revenus

RRQ : 1021 $/mois
PSV et SRG : 994 $/mois
Remboursement TPS : 88 $/mois

Aucune épargne

Condo

Libre d’hypothèque
Acquis en 2010 pour environ 250 000 $
Valeur approximative actuelle : 400 000 $

Dépenses de copropriété

Charges de copropriété : 200 $/mois
Assurances : 27 $/mois
Électricité : 100 $/mois
Impôt foncier : 2515 $/année

Autres dépenses

Préarrangements funéraires : 277 $/mois
Paiement au CHSLD : 2019 $/mois

La réponse

« Que le mandat soit signé devant témoins ou devant notaire, on n’échappe pas à la procédure d’homologation », constate la notaire et fiscaliste Patricia Besner, directrice planification financière, fiscale et successorale chez Desjardins Gestion de patrimoine.

La planificatrice financière confirme les soupçons de Monica : « Les délais, actuellement, peuvent être de 9 à 12 mois. »

Il faut prévoir six mois pour préparer la demande, rassembler tous les documents et obtenir les évaluations médicale et psychosociale qui confirmeront l’inaptitude de Luisa. La décision de la Cour sera rendue trois à six mois après le dépôt de la demande.

La procuration

En attendant cette décision, Monica pourrait-elle mettre à profit la procuration signée en 1999 ? Avec une procuration, une personne apte, donc en possession de ses facultés intellectuelles, autorise une personne de confiance à la représenter pour certains actes administratifs.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Patricia Besner, directrice planification financière, fiscale et successorale chez Desjardins Gestion de patrimoine

En principe, Monica ne pourrait pas s’en servir pour vendre ou louer le condo de sa mère. Mais « ce n’est pas parce qu’elle date de 1999 », précise MBesner. « Comme Luisa est inapte et que Monica le sait, elle ne peut plus agir sur procuration. La validité de la procuration cesse au moment de l’inaptitude puisque le mandant n’est plus en mesure de la révoquer. »

Une mince ouverture existe toutefois. Un article du Code civil indique qu’entre le dépôt de la demande d’homologation du mandat de protection et la décision du tribunal, un représentant autorisé par une procuration pourrait entreprendre des démarches spécifiques au nom du mandant.

C’est probablement le cas de Monica.

Elle a donc avantage à lancer rapidement le processus d’homologation et déposer les documents au tribunal, « parce qu’elle va pouvoir ensuite prendre la décision de louer ou vendre le condo ».

La notaire souligne au passage que la Loi visant à mieux protéger les personnes en situation de vulnérabilité, qui entrera en vigueur le 1er novembre 2022, permettra la représentation temporaire. Un proche de la personne vulnérable pourra devenir son représentant temporaire, le temps que soit exécuté l’acte précis pour lequel il a été désigné.

Louer ou vendre ?

Louer ou vendre le condo de Luisa ? Patricia Besner avance quelques éléments de réflexion.

La location, dans la mesure où le loyer est supérieur aux frais, apporterait des revenus supplémentaires à Luisa. Avec le temps, il y a de bonnes chances que la valeur de la propriété s’accroisse encore.

« Par contre, il ne faut pas oublier que les frais de condo actuels pourraient être appelés à augmenter, fait valoir la notaire-fiscaliste. Il peut y avoir des cotisations spéciales. »

Par ailleurs, il faudra vérifier si la déclaration de copropriété contraint ou interdit la location.

En outre, lorsque viendra le temps de vendre le condo, le futur propriétaire devra respecter les droits du locataire en place, notamment les règles de reprise de logement. « Ça peut être un enjeu pour trouver un acheteur », souligne MBesner.

Location et fiscalité

Autre subtilité : lorsqu’une résidence principale change d’usage pour devenir locative, le fisc considère qu’il y a dès lors disposition réputée à la juste valeur marchande.

« Luisa est réputée vendre son condo l’année qu’on commence à le louer, explique la notaire. Qui dit vente réputée dit théoriquement gain en capital. »

Heureusement, pour chaque année que la propriété a servi de résidence principale, le gain en capital réalisé sur la propriété est exempté d’impôt. Ce serait le cas du condo de Luisa entre l’acquisition en 2010 et son déménagement en CHSLD en 2022.

La plus-value réalisée dans les années subséquentes est susceptible d’imposition.

Toutefois, dans le cas d’un changement d’usage vers la propriété locative, une disposition fiscale — encore une ! — permet de demander la prolongation de l’exemption pour résidence principale pour un maximum de quatre ans.

Cette demande s’effectue dans une lettre jointe à la déclaration de revenus pour l’année où le changement d’usage a eu lieu.

Et comme le fisc accorde dans tous les cas une année supplémentaire dans le calcul de l’exemption de résidence principale, Luisa pourrait ainsi ajouter cinq ans à sa période d’exemption.

En supposant que le condo soit vendu en 2029 avec une plus-value de 200 000 $ depuis l’acquisition en 2010, le gain en capital ne pourrait pas être exempté pour 2 années sur 20, soit pour 10 % de ces 200 000 $.

Vente et décès

Quoi qu’il en soit, la propriété sera vendue, tôt ou tard.

Si Luisa est toujours propriétaire de son condo au moment de sa mort, qu’il soit en location ou non, il y aura disposition réputée aux fins de l’impôt. L’éventuel gain en capital imposable sera pris en compte dans son ultime déclaration de revenus.

« Au décès, on fera les impôts de Luisa, et s’il y a un gain en capital imposable, c’est la succession qui paiera, explique Patricia Besner. Les enfants recevront l’héritage net des impôts. »

La période difficile

À l’heure actuelle, les revenus de Luisa suffisent tout juste à couvrir sa contribution de 2019 $ au CHSLD.

Une réduction semble peu probable, car la valeur de la propriété excède le plafond autorisé.

Pour contourner cet obstacle, Luisa pourrait-elle faire don de sa propriété à ses enfants de son vivant ? « Ça ne serait pas une solution pour Monica et son frère, car leur mère est inapte, constate notre conseillère. Comme mandataires, ils ne peuvent faire un tel don au nom de la personne qu’ils représentent. »

D’ici à ce que la question du condo soit réglée par la vente ou la location, Luisa devra continuer à acquitter les frais de propriété et d’entretien. En ajoutant les préarrangements funéraires, son déficit budgétaire s’élève actuellement à environ 800 $ par mois.

« Si Monica et son frère doivent avancer les sommes pour payer les charges de copropriété et les dépenses supplémentaires que Luisa ne peut pas assumer parce qu’elle n’a pas d’épargne supplémentaire, ils pourront se faire rembourser une fois le mandat homologué, ou du moins après le dépôt de la demande d’homologation. »

Il faudra toutefois que des fonds soient disponibles, soit parce que la location aura commencé à procurer des revenus suffisants, soit parce que la propriété aura été vendue. À cet égard, la vente offre peut-être plus de garanties — et moins de soucis de gestion pour les mandataires.

En attendant cette issue, Patricia Besner entrouvre délicatement une autre porte.

« Si on prend une chambre partagée en CHSLD, la mensualité est moins élevée. Pour une chambre à deux lits, la mensualité est de 1686 $ et pour une chambre à trois lits ou plus, 1256 $. C’est à peu près les 800 $ qui manquent à Luisa. Ça pourrait être une solution temporaire. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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