Après une année 2022 très dure, les marchés boursiers ont montré quelques signes d’euphorie depuis le début de l’année. Se dirige-t-on vers une autre année folle comme 2021 ?

L’excitation et la fébrilité des investisseurs sont palpables depuis le début de l’année alors que la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine viennent encore une fois de hausser les taux dans un effort visant à calmer la poussée inflationniste.

Le NASDAQ a gagné 11 % en janvier, alors que le principal indice de la Bourse de Toronto et l’indice S&P 500 ont respectivement enregistré des hausses de 7 % et 6 %.

Les marchés se concentrent sur l’avenir, c’est pourquoi les taux d’intérêt à long terme ont déjà commencé à baisser et les cours des actions se sont stabilisés, affirme le gestionnaire de portefeuille Stephen Takacsy, de la firme montréalaise Gestion Lester.

« Les investisseurs qui ont paniqué ont jusqu’à présent manqué un fort rebond depuis les creux de la mi-octobre 2022 », ajoute-t-il.

L’agitation de début d’année rappelle à Jean-Philippe Bouchard, gestionnaire de portefeuille chez Giverny Capital, l’importance d’être présent en tout temps dans le marché. « Si vous ratez les 10 meilleures journées de l’année, vous ratez un gros pourcentage des rendements. » Inutile d’essayer de synchroniser le marché, selon lui. Il faut avoir l’humilité d’admettre qu’on ne peut prévoir les hausses, précise-t-il.

Le goût du risque

Le stratège Sébastien Mc Mahon, d’IA Gestion de Placements, fait remarquer une surperformance des titres de croissance et des actions-mèmes (meme stocks) – qui ont été populaires auprès des investisseurs au détail en 2021 –, ainsi qu’un rebond des titres les plus vendus à découvert. Cela lui permet de croire que la qualité du rebond n’est peut-être pas suffisante pour soutenir une progression durable.

En janvier 2021, les cryptomonnaies et les meme stocks (des titres comme GameStop, BlackBerry, etc.) avaient été poussés en forte hausse par les petits investisseurs.

Le gestionnaire de portefeuille Marc L’Écuyer, de la firme Cote 100, note lui aussi que les titres « les plus risqués » ont monté de façon très abrupte en janvier, en pensant notamment aux actions du secteur technologique et aux cryptomonnaies.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille de la firme Cote 100

« On a vu l’euphorie revenir. Les anglophones parlent de FOMO [fear of missing out] », dit-il, ce qui se traduit par la peur de rater une occasion.

« Je ne m’avancerais pas à dire que ça va durer très longtemps. Ce sera de courte durée. »

Historiquement, l’année suivant une année négative est positive la plupart du temps, évoque pour sa part le gestionnaire de portefeuille Ian McLean, de la firme McLean Capital.

Il estime que la probabilité que le marché boursier enregistre deux années négatives consécutives est inférieure à 20 %.

Ce n’est donc pas parce que tout le monde est morose et anticipe une récession que ça ne sera pas une bonne année. Le marché dit clairement : “l’inflation, c’est fini, et on s’en retourne vers des politiques fiscales et monétaires plus accommodantes”.

Ian McLean, gestionnaire de portefeuille de la firme McLean Capital

Stephen Takacsy explique que les premiers signes d’une atténuation de la pénurie de main-d’œuvre et d’une baisse des prix sur le marché immobilier « surévalué » devraient entraîner une réduction des frais de logement, qui constituent une composante importante des mesures de l’inflation.

Il ajoute que les anticipations d’inflation ont « fortement » diminué et, au fur et à mesure que l’économie et l’inflation ralentissent, la politique monétaire devrait finalement s’orienter vers une baisse des taux d’intérêt à court terme et donc une injection de liquidités dans le système financier. « Tout cela fait partie du cycle économique normal et créera un environnement beaucoup plus favorable aux prix des actifs financiers. »

« Le marché semble croire qu’on a peut-être vu le pire de l’inflation », renchérit Ian McLean.

« Certaines personnes pensent que les banques centrales se sont trompées et y sont allées trop agressivement. D’autres trouvent que 2022 était une année bizarre. Et oui, ce l’était de plusieurs façons, mais en même temps, les années précédentes étaient bizarres. Les taux à zéro pendant autant d’années, ce n’est pas normal. Cela a des impacts anormaux sur tous les marchés [obligataire, immobilier, actions]. Les gens se sont habitués à un monde très accommodant sur le plan financier. Ça se peut qu’on passe maintenant plusieurs années dans un monde plus normal à cet égard », dit Ian McLean.

La concurrence des obligations

Son collègue Marc L’Écuyer admet que le marché peut continuer à bien faire, mais appelle à la réflexion. « Nous sommes dans une période où il sera beaucoup plus difficile de générer des gains parce qu’aujourd’hui, nous avons des options qu’on n’avait pas il y a un an ou deux. »

Il pense principalement aux obligations.

Des obligations à 5 %, pour bien des gens, c’est là que l’argent se dirige et non pas vers le marché boursier. Il y a possiblement de l’argent sur les lignes de touche qui attend d’être réinvesti, mais il n’ira pas nécessairement sur le marché boursier.

Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille de la firme Cote 100

Une réallocation d’actifs vers les revenus fixes est à considérer en raison de la hausse des taux. « Même nous, en tant que gestionnaires de portefeuille, ça faisait des années qu’on ne s’était pas posé la question. On veut être dans le marché boursier au maximum, mais là, on prend un peu de recul et il y a des discussions à avoir. Un rendement de 5 % ou 5,5 % est intéressant. On continue de privilégier le marché boursier, mais disons qu’on a des discussions plus intéressantes sur l’allocation d’actifs que par le passé », confie Marc L’Écuyer.

À titre d’exemple, il dit avoir acheté des obligations municipales avant les Fêtes. « C’était un des meilleurs taux que j’ai eus depuis le début de ma carrière chez Cote 100, en 2003. Ça remonte à loin. Ça fait 20 ans qu’on n’a pas eu des taux aussi intéressants. Même pendant la crise financière, ça n’avait pas monté autant. »

De son côté, Stephen Takacsy croit néanmoins qu’à mesure que l’année avancera et que les banques centrales commenceront à réduire les taux d’intérêt en raison de la baisse de l’inflation, le leadership devrait se déplacer vers le marché des actions.