Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

Dans les années 1960, l’économiste américain Milton Friedman a fait un voyage en Chine. Pendant son séjour, des responsables du Parti communiste lui ont fait visiter le chantier d’un canal en construction.

Friedman a été surpris de voir qu’au lieu des pelles mécaniques et d’autres machineries modernes, les ouvriers travaillaient avec de simples pelles. Il a demandé pourquoi c’était le cas.

« Vous ne comprenez pas, lui a répondu le fonctionnaire. C’est un programme d’emploi. » Ce à quoi Friedman a rétorqué : « Oh, je pensais que vous essayiez de construire un canal. Si ce sont des emplois que vous voulez, alors vous devriez leur donner des cuillères, pas des pelles. »

Cette anecdote m’est venue en tête au cours des dernières semaines alors que, comme bien des gens, j’ai pu me familiariser avec ChatGPT, le nouveau moteur d’intelligence artificielle capable de répondre à des questions pointues, d’écrire du code, de créer des articles, de résumer des textes, etc.

Menaces sur le plan de l’emploi

En parlant du phénomène autour de moi, je constate que, si ChatGPT fascine, il provoque aussi de la peur. Pas tant sur le plan d’une domination mondiale dictatoriale de l’intelligence artificielle. Plutôt sur le plan de l’emploi.

Comme les responsables du Parti communiste chinois dans les années 1960, nous sommes inquiets des effets que pourrait avoir une technologie un peu trop puissante sur l’emploi, et notre instinct nous pousse à vouloir préserver le statu quo.

Surtout que des exemples concrets commencent à émerger. Récemment, un avocat spécialisé en droit successoral en Nouvelle-Zélande a demandé à ChatGPT de lui rédiger un testament. Le résultat était si impressionnant qu’il en a conclu que sa carrière était probablement foutue.

Si j’avais à parier, je dirais que cette crainte ne se réalisera pas. Et que, au contraire, des outils comme ChatGPT seront positifs pour l’emploi et l’économie.

J’ai deux chiffres pour appuyer ce que j’avance : 3,9 % et 3,4 %.

Il s’agit respectivement du taux de chômage au Québec et du taux de chômage aux États-Unis. Dans les deux cas, il s’agit de niveaux tellement bas qu’il faut remonter plusieurs générations en arrière pour trouver des comparatifs.

Pensez-y : malgré des décennies d’améliorations technologiques phénoménales dans littéralement tous les domaines de la société, toute personne qui veut un emploi peut aujourd’hui en décrocher un. C’est qu’au lieu de nous appauvrir, la technologie permet aux gens de diriger leurs efforts vers des tâches plus productives, ce qui fait augmenter notre niveau de vie.

L’exemple le plus clair est celui du guichet automatique. Quand les premiers guichets automatiques bancaires ont fait leur apparition aux États-Unis dans les années 1970, tout le monde s’est vite mis à craindre pour les emplois des caissiers de banque. Pourquoi embaucher un caissier alors qu’une machine peut effectuer le travail plus vite, pour moins cher, sans erreur, sans jamais tomber malade ni prendre de journée de congé ?

Les emplois de caissier ont effectivement diminué dans les succursales : James Bessen, économiste à Harvard, a calculé que la succursale moyenne d’une banque en milieu urbain aux États-Unis employait 21 caissiers avant l’arrivée massive des guichets automatiques, un nombre qui est tombé à 13 après leur implantation.

L’automatisation a réduit les frais de fonctionnement d’une succursale. Comme les succursales coûtaient moins cher à exploiter, il devenait plus facile d’en ouvrir beaucoup afin de servir un nombre grandissant de clients actuels et potentiels. Et c’est ce qui s’est passé.

Résultat : le nombre d’emplois de caissier de banque est en hausse aux États-Unis depuis cette époque, et a même connu une croissance plus grande que celle de l’emploi en général.

Selon les travaux de M. Bessen, des 270 emplois inscrits dans le recensement fédéral américain de 1950, un seul a été éliminé à cause de l’automatisation : opérateur d’ascenseur.

Pour revenir à l’exemple de l’avocat qui a fait rédiger son testament par ChatGPT : à peine 48 % des adultes québécois ont un testament aujourd’hui. Peut-être que l’intelligence artificielle va faire grimper ce nombre au cours des prochaines années, et que ce sont les avocats et les notaires qui vont en profiter ?

Un FNB artificiellement intelligent

L’intelligence artificielle s’immisce partout, même dans les fonds négociés en Bourse (FNB). Une lectrice me demandait récemment ce que je pensais du premier FNB propulsé grâce à l’intelligence artificielle. Il s’agit de l’AI Powered Equity ETF (AIEQ), lancé en 2017 par la société fintech Equbot, et qui utilise l’intelligence artificielle pour tenter de prédire la direction de certains titres boursiers et en profiter.

Des analystes ont noté que le fonds AIEQ a fait légèrement mieux que le S&P 500 depuis le début de l’année (11 % comparativement à 8 %). Or, l’an dernier, le fonds avait davantage chuté que le S&P 500 (- 32 % comparativement à - 18 %). Bref, il est beaucoup trop tôt pour désigner un vainqueur. Et il faut avoir le cœur bien accroché pour investir avec un tel robot, dont les frais de gestion annuels sont quand même assez élevés pour un FNB (0,75 % comparativement à 0,09 % pour un FNB qui suit le S&P 500). À suivre...

La question de la semaine

Croyez-vous que l’intelligence artificielle menace votre emploi ?

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