Alors que l’accès à la propriété est difficile pour les jeunes, nombreux sont les parents qui souhaitent leur donner un coup de main. Comment s’y prendre pour minimiser l’impact fiscal ?

La situation

Serge* et Denise* ont deux enfants qui sont de jeunes adultes et ils souhaitent les aider à acheter leur première maison en leur donnant au moins 100 000 $ chacun. Denise, 64 ans, ne travaille pas et Serge, 66 ans, travaille à temps partiel dans son entreprise qui n’a plus d’activités en tant que telles : c’est seulement de la gestion d’actifs. Il hésite entre prendre sa retraite l’an prochain ou continuer à travailler quelques heures par semaine. Les deux n’ont pas de régime de retraite d’un employeur, mais des régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), des comptes d’épargne libre d’impôt (CELI) et des placements non enregistrés dans des portefeuilles équilibrés. Le couple se demande comment s’y prendre pour donner des sommes importantes à ses enfants et, de façon plus générale, quelle devrait être sa stratégie de décaissement. « Nous nous demandons aussi quel serait le meilleur moment pour demander la rente du Régime de rentes du Québec (RRQ) et la pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) », ajoute Serge.

Les chiffres

Serge

  • Revenus annuels d’emploi : 75 000 $
  • Actifs dans son entreprise : 400 000 $
  • Placements non enregistrés : 750 000 $
  • REER : 230 000 $
  • CELI : 108 000 $
  • RRQ : évaluée à 8000 $ par année à 65 ans

Denise

  • Trois terrains : valeur totale de 300 000 $, sans prêt hypothécaire
  • Placements non enregistrés : 20 000 $
  • REER : 160 000 $
  • CELI : 100 000 $
  • RRQ : évaluée à 1000 $ par année à 65 ans
  • Coût de vie annuel du couple : 60 000 $ net
  • Maison : valeur de 350 000 $, sans prêt hypothécaire

Quels sont les moyens du couple ?

Au premier coup d’œil, ce qui frappe Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services Financiers, c’est que Serge et Denise ont un coût de vie très bas par rapport à leur capacité financière. Pour avoir une idée plus précise de leurs moyens, il a fait une projection à la retraite en suivant les normes de l’Institut québécois de planification financière avec un rendement de 4,5 % par année en considérant que Denise vit jusqu’à 96 ans et Serge, jusqu’à 94 ans.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services Financiers

« S’ils ne donnent pas de sommes à leurs enfants de leur vivant, ils pourraient dépenser 100 000 $ net d’impôt par année et ils auraient assez d’argent dans leurs placements sans avoir à vendre leur maison et leurs terrains, indique-t-il. Si jamais ils vivent plus longtemps, ils pourraient vendre ces actifs qui auront continué à prendre de la valeur au fil des ans. »

Il précise ensuite que si le couple donne maintenant 100 000 $ à chaque enfant, il aura tout de même 92 000 $ pour vivre par année, ce qui est largement au-dessus de son train de vie. « C’est donc 4000 $ net d’impôt que le couple aura de moins par année à vie par tranche de 100 000 $ qu’il donne à ses enfants, explique Simon Préfontaine. Donc s’il donne 400 000 $, il vivra avec 84 000 $. Le couple en a largement les moyens, tant qu’il s’assure qu’il a bien estimé son train de vie annuel. »

Quelle est la meilleure façon de donner à ses enfants ?

Denise et Serge doivent aussi réfléchir au côté humain du don, d’après le planificateur financier. « Il y a des jeunes qui ont la force et la discipline pour bien gérer un don important, mais d’autres pour qui cela risque de finir en catastrophe, prévient-il. Le couple connaît ses enfants et doit prendre des décisions en conséquence. »

Il existe plusieurs options. Denise et Serge peuvent attendre l’achat des maisons avant de faire les dons, ou encore, donner une grosse somme à chacun des enfants dès maintenant et les aider à bien la gérer pour la faire profiter. « Ce serait une bonne idée dans ce cas de les présenter à leur planificateur financier pour qu’il puisse commencer à leur donner des conseils pendant qu’ils sont jeunes », précise Simon Préfontaine.

Le couple pourrait aussi décider de faire les dons, mais de garder le contrôle dessus. « Ils pourraient par exemple commencer à leur donner de l’argent en le plaçant dans des fonds distincts, les seuls qui permettent de nommer un bénéficiaire irrévocable, explique le planificateur financier. Ainsi, l’argent déposé appartiendrait aux enfants, mais tant que les parents seraient vivants, ils devraient signer pour que des sommes puissent être retirées. »

Le couple devra aussi penser à quels outils utiliser pour que ses enfants bénéficient le plus possible des dons. Simon Préfontaine suggère d’ouvrir tout de suite un CELIAPP pour chacun des enfants en y faisant la cotisation maximale de 8000 $ pour la première année. « Ensuite, les parents pourront continuer à maximiser les cotisations au fil des ans jusqu’à l’obtention du montant maximal par CELIAPP, soit 40 000 $, explique-t-il. Ces sommes pourront croître à l’abri de l’impôt jusqu’à ce que chaque enfant achète sa maison. Mais, comme ils sont de jeunes adultes qui ne gagnent probablement pas encore un très gros salaire, il serait peut-être avantageux de reporter la déduction fiscale du CELIAPP. »

Pour le reste des dons, le planificateur financier conseille aux parents de déposer les sommes dans les CELI des enfants en respectant les limites de la loi.

Quelle stratégie de décaissement adopter ?

Quant à savoir où prendre leur argent pour réaliser ces dons, Simon Préfontaine leur suggère de regarder du côté des placements non enregistrés. « Dans ces placements, il faut voir lesquels ont fait le moins de gains dans les dernières années, ou encore, ceux qui ont fait des pertes, parce qu’en sortant de l’argent, le couple sera imposé sur les gains réalisés », précise-t-il.

La vente des terrains pourrait aussi être envisagée s’ils ont fait peu de gains depuis que Denise est propriétaire, parce qu’elle sera aussi imposée sur ces sommes. « Mais il est possible que les terrains aient une valeur sentimentale, alors dans ce cas, je recommanderais de privilégier les placements non enregistrés », indique le planificateur financier.

Pour la suite des choses, il conseille au couple de continuer à retirer graduellement des sommes de ses placements non enregistrés, puis de ceux de l’entreprise avant de commencer à toucher aux REER et aux CELI. « Ainsi, ils garderont le plus longtemps possible leurs placements qui croissent à l’abri de l’impôt », ajoute-t-il.

Qu’en est-il du RRQ et de la SV ?

Pour ce qui est de la rente du RRQ et de la SV, Simon Préfontaine conseille de ne pas les demander avant que Serge ait terminé de travailler pour éviter d’avoir plus d’impôt à payer. « Il peut continuer à travailler un peu s’il en a vraiment envie, mais c’est certain qu’il n’a pas besoin de cet argent, précise-t-il. Ensuite, plus il reporte la demande du RRQ et de la SV, plus cela leur donnera de l’argent. Donc s’ils attendent tous les deux d’avoir 70 ans, cela leur fera 1250 $ de plus par année, libre d’impôt. »

Par contre, s’ils ont un problème de santé, ou qu’il y a un problème de santé dans l’historique familial, le planificateur financier leur conseille de demander ces sommes rapidement. « C’est seulement avantageux d’attendre s’ils vivent encore longtemps, donc c’est pour ça que bien des gens ne veulent pas prendre ce risque et préfèrent les demander tôt afin de moins piger dans leurs économies, indique Simon Préfontaine. Mais, dans leur cas, ils ont beaucoup de moyens, alors cela fait peu de différence. »

Enfin, il conseille au couple de rencontrer son planificateur financier avec tous les détails de sa situation pour faire un plan plus précis. « Mais, visiblement, ils sont en bonne posture pour donner une somme importante à chacun de leurs enfants. »

*Prénoms fictifs, pour préserver leur anonymat