« Nous sommes un couple d’hommes et avons le projet de fonder une famille avec une amie », confie Alexandre*. « Nous souhaitons acheter un plex avec notre amie pour assurer une proximité à l’enfant avec ses parents. Elle sera vraiment la maman et non une mère porteuse. Nous aimerions avoir des conseils afin de savoir si notre idée de vendre nos deux condos actuels est une bonne idée, sachant que nous serions trois à payer l’hypothèque du plex. »

LA SITUATION

Alexandre et Guillaume* sont propriétaires de deux logements en copropriété, un 4 ½ qu’ils occupent au rez-de-chaussée et un 3 ½ mis en location à l’étage.

Ils songent à vendre l’un, l’autre ou les deux condos pour acquérir un duplex ou un triplex avec la future mère. Ils occuperaient un logement, la mère un autre.

« On serait trois investisseurs, donc les deux pères et la mère de notre enfant, décrit Guillaume. C’est l’option qu’on privilégie le plus au niveau émotif, quand on pense à notre avenir familial, pour avoir un seul lieu pour notre enfant. »

Le 3 ½ locatif est grevé d’un prêt hypothècaire à taux fixe de 2,5 % dont le terme viendra à échéance en novembre 2024.

« Le 4 1/2 qu’on habite est à taux variable et on mange toute une claque en ce moment », ajoute Guillaume.

Les mensualités hypothécaires s’élèvent à 3300 $ pour le 4 ½ du rez-de-chaussée et 1407 $ pour le condo locatif. La locataire paie un loyer de 1850 $ par mois.

Le solde hypothécaire du 3 ½ s’établit à environ 345 000 $, pour une valeur marchande qu’Alexandre évalue à 400 000 $.

Le solde hypothécaire du 4 ½ du rez-de-chaussée avoisine 480 000 $. « Je pense qu’on pourrait le vendre 575 000 $, peut-être plus », avance Alexandre.

Ils pourraient plutôt le mettre en location, mais ils reconnaissent que les locataires prêts à verser un loyer mensuel de plus de 3000 $ ne courent pas les rues, fussent-elles celles de Montréal.

Alexandre détient 66 000 $ en REER, mais a déjà utilisé le RAP.

Guillaume a accumulé environ 13 000 $ dans son REER et à peu près autant dans son compte courant. « L’argent dans mon compte, je vais le garder comme fonds de roulement, précise-t-il. Tu sais, on a un projet de bébé qui s’en vient ! »

Ils visent un immeuble de 800 000 à 900 000 $, « dans ces eaux-là », indique Alexandre.

L’achat se ferait à raison des deux tiers pour Guillaume et Alexandre et d’un tiers pour la mère. Mais c’est leur part de l’acquisition qu’Alexandre et Guillaume soumettent à l’analyse, précisent-ils.

Le projet familial est à l’étape de la fécondation in vitro.

« On peut penser qu’il y aura une grossesse qui débuterait peut-être pendant l’hiver ou au printemps, avance Guillaume. Pour nous, c’est sûr que tant qu’il n’y a pas un bébé en route et qu’on ne sera pas rendu au sixième mois, on ne fera pas d’achat. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

LES CHIFFRES

Alexandre, 35 ans

Revenu : 65 000 $

REER : 66 000 $

Aucune dette

Guillaume, 37 ans

Salaire : 100 000 $

REER : 13 000 $

Prêt étudiant : 7000 $

Aucune autre dette

Une voiture entièrement payée

Le condo locatif

Nombre de pièces : 3 ½

Valeur actuelle : au moins 400 000 $

Solde hypothécaire : 345 000 $

Mensualité hypothécaire : 1407 $

Impôts fonciers : 295 $/mois

Charges de copropriété : 278 $/mois

Revenu de location : 1850 $/mois

Le condo personnel

Nombre de pièces : 4 1/2

Valeur actuelle : environ 575 000 $

Solde hypothécaire : environ 480 000 $

Mensualité hypothécaire : 3300 $

Impôts fonciers : 253 $/mois

Charges de copropriété : 325 $/mois

LA RÉPONSE

L’édifice du projet est-il solide ?

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Mélanie Beauvais, planificatrice financière au cabinet Bachand Lafleur Groupe conseil

Pour le vérifier, « je me suis concentrée sur les déboursés », indique la planificatrice financière Mélanie Beauvais, du cabinet Bachand Lafleur Groupe conseil.

Comment se comparent la situation actuelle et les scénarios d’acquisitions ?

La situation actuelle

À l’heure actuelle, les deux condos entraînent des débours annuels de 48 118 $, après la prise en compte des revenus de location de 22 200 $.

Mais lors du prochain renouvellement, en supposant que le taux d’intérêt atteigne 6 %, les versements hypothécaires du condo locatif passeraient de 16 900 à 26 000 $ par année, une hausse de 54 %.

« Le renouvellement de l’hypothèque fera mal ! », constate-t-elle.

En effet : les dépenses du condo locatif excéderont ses revenus de plus de 10 000 $ – l’augmentation de loyer serait vraisemblablement marginale.

Les débours pour les deux condos totaliseraient alors 57 200 $.

« S’ils conservent leur situation actuelle et qu’ils font le renouvellement, le déboursé complet des deux condos va augmenter de près de 20 %, si je considère les mêmes dépenses et le même loyer », souligne notre planificatrice.

Vente des deux condos

La vente du condo personnel du couple produirait des liquidités d’environ 65 000 $, calcule-t-elle. Celle du condo locatif laisserait quelque 25 000 $ à Alexandre et Guillaume. « J’ai tenu compte qu’il y avait une commission de 5 % sur la vente des condos et qu’il y avait un impôt à payer sur le gain en capital réalisé avec le condo locatif », explique la planificatrice.

Elle a retenu la limite supérieure de la fourchette suggérée par Alexandre, soit un immeuble de 900 000 $.

La part des deux hommes s’établirait donc à 600 000 $, sur laquelle ils pourraient appliquer une mise de fonds de 90 000 $.

Leur emprunt de 510 000 $ engendrerait des paiements hypothécaires de 39 150 $ par année.

« J’ai présumé que les impôts fonciers seraient similaires et que les frais de condo devenaient des frais d’entretien », indique Mélanie Beauvais.

Les débours du couple totaliseraient ainsi 46 100 $, environ 2000 $ de moins qu’actuellement.

« Si on vend tout, j’ai des déboursés similaires à leur situation actuelle », résume la planificatrice.

Ils conservent leur condo locatif

Mélanie Beauvais a également simulé un scénario où Alexandre et Guillaume conservent leur condo locatif, plus facile à louer que le condo personnel du rez-de-chaussée.

Avec 25 000 $ de moins en mise de fonds, leurs versements hypothécaires pour le duplex sont haussés d’environ 1825 $ par année.

Après le renouvellement de l’hypothèque du condo locatif, les débours de ce scénario avoisineront 58 000 $ par année, s’ils ne réussissent pas à augmenter substantiellement le loyer.

S’ils veulent conserver des déboursés similaires à ceux d’aujourd’hui, il faudrait vendre les deux condos.

Mélanie Beauvais, planificatrice financière au cabinet Bachand Lafleur Groupe conseil

On n’en connaît pas les détails, mais on suppose que le budget actuel des deux hommes est en mesure de soutenir leurs futures responsabilités parentales.

Mais d’autres enjeux se présentent.

L’achat d’un duplex à trois propriétaires

Guillaume et Alexandre « vont acheter 66 % de l’immeuble, mais dans les faits, ils vont habiter 50 %, selon la superficie des logements, soulève Mélanie Beauvais. La maman va en occuper 50 %. Techniquement, il y a une partie de son appartement qui appartient aux deux hommes. »

S’il leur fallait revendre, les deux hommes pourraient-ils profiter de l’exemption pour résidence principale sur le gain en capital pour l’entièreté de leur part de 66 %, alors qu’il n’occupe que la moitié de l’immeuble ?

« Selon ma compréhension de leur situation, étant donné que l’enfant habitera également dans le logement de la mère, je crois que l’entièreté du 66 % de la copropriété sera admissible à l’exemption pour résidence principale », indique la fiscaliste. Mais il n’est pas impossible que les autorités fiscales aient une autre interprétation, ajoute-t-elle.

En pratique, il sera plus simple de vendre l’immeuble de concert, ou que le vendeur vende sa part aux autres copropriétaires.

Autre option : ils pourraient acheter un triplex, plus facile à partager à trois. S’ils peuvent en dénicher un pour un prix similaire, le loyer du troisième logement assouplira la situation budgétaire.

Dans tous les cas, ils devront signer une convention d’indivision, avise Mélanie Beauvais : comment gère-t-on l’entretien, les rénovations, les assurances, la revente ?

La reprise des logements

Notre planificatrice rappelle qu’un nouveau propriétaire doit donner au locataire du logement qu’il veut occuper un avis de reprise au moins six mois avant la fin de son bail, soit avant le 31 décembre pour un bail se terminant le 30 juin.

Dans le cas de notre trio, cette exigence ne sera peut-être pas facile à synchroniser avec l’incontournable et incompressible calendrier d’une grossesse.

Mais ici se pose une autre difficulté.

Selon le Tribunal administratif du logement, un copropriétaire d’un immeuble en indivision ne peut reprendre un logement qu’« à la condition qu’il n’y ait qu’un seul autre copropriétaire et que cet autre copropriétaire soit son conjoint. Dans les autres cas, la reprise de logement par des copropriétaires indivis est impossible ».

Même si le trio inclut deux conjoints – et même si leur bébé habite le deuxième appartement, ce qui constitue en soi un motif de reprise de logement ! –, les trois amis ne pourraient donc forcer d’éventuels locataires à quitter leurs logements. S’ils ne dénichent pas un duplex dont les logements se libèrent, ils devront s’entendre préalablement avec les locataires, document signé à l’appui.

Mais encore une fois, la situation sort tellement des cadres fiscaux habituels qu’une autre interprétation n’est pas exclue.