En raison du risque accru que représentent les prêts hypothécaires en amortissement négatif, le régulateur bancaire canadien vient d’ajuster ses exigences envers les institutions financières du pays.

De quoi parle-t-on au juste ?

Un prêt hypothécaire à amortissement négatif est un prêt pour lequel les versements mensuels ne couvrent plus les intérêts et le capital. Le taux déclencheur devient le taux à partir duquel le paiement hypothécaire couvre uniquement les intérêts. À ce taux, aucune part du paiement n’est appliquée au remboursement du capital. Lorsque ça survient, les intérêts impayés sont habituellement ajoutés au solde de l’hypothèque, ce qui provoque un amortissement négatif. La Banque du Canada estime qu’environ 75 % des prêts hypothécaires à taux variable au pays sont remboursés par versements fixes. La banque centrale explique qu’avec un tel prêt, lorsque les taux d’intérêt fluctuent, le montant du versement hypothécaire ne varie pas, mais la portion du versement allouée aux intérêts (plutôt qu’au capital) est modifiée.

Pourquoi se retrouve-t-on dans cette situation ?

La popularité des prêts hypothécaires à taux variable a augmenté durant la pandémie alors que ces taux étaient nettement plus bas que les taux fixes.

Les prêts hypothécaires à taux variable représentaient 20 % de l’encours total de la dette hypothécaire au pays à la fin de 2019. Cette proportion a augmenté à 33 % l’automne dernier, selon les données de la Banque du Canada.

Les augmentations successives de taux d’intérêt depuis mars l’an passé frappent durement ceux et celles ayant contracté un prêt hypothécaire à taux variable.

Peut-on parler d’une crise ?

Le phénomène n’est pas nécessairement synonyme de crise, du moins, pas à ce jour. Le phénomène de l’amortissement négatif survient dans un cycle de hausses des taux. La part des paiements consacrée aux intérêts augmente et celle allouée au capital diminue. La situation s’inverse lorsque les taux commencent à baisser.

Il y en a beaucoup, de ce type de prêts ?

L’économiste en chef à la Banque Scotia, Derek Holt, calcule qu’environ 10 % de tous les prêts hypothécaires résidentiels au pays sont des prêts à amortissement négatif. Pour en arriver à cette conclusion, il dit se baser sur les déclarations des cinq grandes banques canadiennes (Royale, TD, Scotia, BMO et CIBC) et tenir compte de la part de chacune dans le marché du prêt hypothécaire résidentiel.

Dois-je craindre pour ma banque ?

En un mot : non. Les grandes banques canadiennes sont bien capitalisées.

Les portefeuilles hypothécaires des six plus grandes banques au pays devraient, selon l’agence de notation de crédit Fitch, résister à la pression exercée par la hausse des taux et à l’augmentation des défauts de paiement sur les prêts hypothécaires compte tenu notamment du faible taux de chômage, des niveaux élevés d’immigration et des déséquilibres entre l’offre et la demande qui soutiennent les prix de l’immobilier.

Fitch prévoit que les défauts de paiement sur les prêts hypothécaires passeront d’un plancher record de 0,14 % en 2022 à entre 0,2 % et 0,25 % cette année et qu’ils resteront probablement à ces niveaux en 2024.

Pourtant, les autorités agissent pour une raison, non ?

Devant l’augmentation des soldes hypothécaires à la suite de la hausse des taux d’intérêt, le Bureau du surintendant des institutions financières a ajusté en octobre les exigences afin que les banques et les assureurs hypothécaires détiennent des réserves de fonds propres suffisantes pour absorber les risques que font peser les prêts hypothécaires qui se retrouvent en amortissement négatif. Le régulateur espère que les nouvelles exigences encourageront les banques à réduire le nombre de prêts hypothécaires qui se retrouveraient autrement en amortissement négatif.

Quelles sont les solutions pour les emprunteurs ?

Les banques travaillent généralement de façon proactive avec leurs clients emprunteurs pour tenter de minimiser les défauts de paiement sur les prêts hypothécaires résidentiels et ainsi éviter les saisies de résidence. Les aménagements possibles vont de la bonification des paiements mensuels au passage à un prêt à taux fixe en passant par le refinancement et même le prolongement des périodes d’amortissement lorsque la situation le permet.

Alors quel impact les nouvelles exigences ont-elles sur les banques ?

Minime et facilement absorbable, selon l’analyste Mike Rizvanovic, de la firme Keefe, Bruyette & Woods. « Une dérogation permet aux banques d’éviter la nouvelle surcharge de capital si elles peuvent démontrer que leurs modèles existants sont suffisamment prudents pour tenir compte des risques plus élevés liés aux prêts hypothécaires à amortissement négatif. »