Petite, Marie Pier Germain pliait des serviettes dans l’hôtel de sa mère. Ce n’était pas son premier boulot officiel, mais ça lui permettait de passer du temps dans la buanderie, ce qu’elle adorait.

Béatrice Larrivée a commencé à travailler à la boutique Ricardo à 16 ans, après avoir passé son enfance sur les plateaux de tournage.

Elles ont ensuite toutes deux intégré les entreprises familiales.

La notoriété de leurs mères, Brigitte Coutu et Christiane Germain, est solidement établie depuis longtemps. Les deux entrepreneures se connaissent depuis 25 ans. Leurs filles se sont croisées aussi, durant ces années, et encore maintenant qu’elles partagent des affinités personnelles et professionnelles, ainsi que des réseaux communs.

Partir pour mieux revenir

Nous les avons réunies dans le studio de La Presse, pour une discussion autour de la relève au sein de l’entreprise familiale, au moment même où Béatrice Larrivée quitte la maison fondée par ses parents.

Le mois dernier, elle a rejoint l’équipe de mise en marché de Sobeys – actionnaire majoritaire de Ricardo Média depuis l’été 2021.

C’est un exil programmé. L’idée est d’y rester environ deux ans, pour mieux revenir, explique Brigitte Coutu, présidente et cheffe de la direction de Ricardo Média.

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Brigitte Coutu, présidente et cheffe de la direction de Ricardo Média

On voulait qu’elle prenne de l’expérience en dehors de l’entreprise familiale afin de développer d’autres compétences et son leadership. Pour que, lorsqu’elle revient, elle arrive dans un poste de direction.

Brigitte Coutu

« Quelle belle idée », lance spontanément Christiane Germain, qui écoute la conversation.

« Le bagage que tu vas aller chercher, ajoute-t-elle à l’intention de Béatrice, va être remarquable. »

Béatrice Larrivée a une formation en administration des affaires. « Entre mes cours à l’université, je venais étudier au bureau, dit-elle. J’aime ce que je fais. J’aime le monde. J’aime la marque. »

Son arrivée chez Ricardo n’aura donc surpris personne. « C’était naturel », dit-elle.

Un parcours différent

Le parcours de Marie Pier Germain au sein de l’entreprise familiale est différent.

Déjà, sa mère ne s’attendait pas à la voir intégrer le monde de l’hôtellerie après avoir fait des études en génie mécanique.

Christiane Germain trouve, avec le recul, que sa fille a un peu appris le métier à la dure. L’intégration dans ce nouveau monde professionnel s’est faite avec plusieurs « essais et erreurs ». « Je suis allée avec beaucoup d’instinct, au meilleur de ma connaissance », confie Christiane Germain, qui n’hésite pas à dire qu’elle referait les choses différemment. En partie, du moins.

Dans des entreprises tricotées serré, on apprend parfois ensemble, estime aussi Béatrice Larrivée.

« Ma mère me dit souvent : c’est la première fois que l’on fait ça, dit-elle, parce que nous ne sommes pas la deuxième ou la troisième génération à reprendre l’entreprise. »

Inévitablement, ça demande des ajustements.

Qui sont faits, de toute évidence, car les quatre femmes sont unanimes sur ce point : jamais elles ne laissent un différend en suspens ou un malentendu se transformer en conflit, ce qui aurait des conséquences extraprofessionnelles bien plus graves.

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Béatrice Larrivée

Jamais on n’arrive dans un désaccord, parce qu’on s’en parle tout le temps en amont. Pour ne pas se retrouver avec une situation qu’il faut désamorcer.

Béatrice Larrivée

« La beauté d’une entreprise familiale, dit Brigitte Coutu, est que tu es dans un milieu de confiance. Tout se dit. La façon de le dire et la communication sont la base. Et ça se travaille au quotidien. »

Des familles d’entrepreneures

Si les filles sont les premières de la relève – et toute une délégation de la famille Germain, dans le cas du groupe hôtelier –, Ricardo Média et Germain Hôtels sont des entreprises familiales, à la base.

Christiane Germain s’est lancée en affaires avec son frère Jean-Yves ; Brigitte Coutu, avec son mari Ricardo Larrivée.

Au moment d’intégrer la relève, les deux dirigeantes avaient donc déjà acquis de solides compétences dans l’art de marier la vie professionnelle et personnelle.

« Des gens disent que famille et affaires ne vont pas ensemble, dit Christiane Germain. Nous, on a appris à conjuguer ça. »

Ce qu’elles avaient aussi appris de leurs parents.

Christiane Germain et Brigitte Coutu sont toutes deux filles de commerçants. Le père de Brigitte avait le Dépanneur Coutu à Joliette, celui de Christiane Germain, une tabagie à Québec.

Et derrière leurs pères entrepreneurs, il y avait leurs mères, déterminées.

« Ma mère avait du guts, affirme Christiane Germain. Si mon père n’avait pas rencontré ma mère, je ne crois pas qu’il serait devenu l’homme d’affaires qu’il est devenu. »

« Même chose pour moi, relance spontanément Brigitte Coutu. Ma mère était dans l’ombre. Elle était secondaire dans l’histoire, mais c’est elle qui poussait mon père. C’était le dépanneur Coutu, mais c’est ma mère qui gérait tout. »

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Christiane Germain, coprésidente et cofondatrice du Groupe Germain

Ma grand-mère était corsetière. Dans la famille, chez les femmes, il y avait des gènes d’entrepreneuriat. Grand-maman travaillait. À cette époque-là, ça n’était pas évident.

Christiane Germain

La détermination des grands-mères et des mères s’est apparemment transmise à une autre génération.

Marie Pier Germain est aujourd’hui vice-présidente, ventes et marketing, de la société.

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Marie Pier Germain

Je suis privilégiée dans la vie parce qu’elle est passée avant moi et elle a ouvert beaucoup de portes.

Marie Pier Germain, à propos de sa mère qui a fait sa place dans un univers plus masculin

Comme pour les autres entreprises dans le secteur du tourisme, les dernières années ont été occupées, voire épuisantes.

Marie Pier Germain raconte cette peur que la famille a eue de perdre ce qui avait été bâti brique par brique. Elle insiste aussi sur le fait que les défis les ont rapprochés, si une telle chose était possible. Et que, plus que jamais, elle mesure la richesse d’appartenir à une famille d’entrepreneurs et de travailler dans une entreprise familiale, entourée des siens.

Durant ces temps difficiles, les enfants et les parents se sont partagé le leadership, au besoin. Comme une volée d’oiseaux.

« Quand tu regardes les oiseaux voler dans le ciel, dit-elle, il y en a toujours un qui est en avant. Ça n’est jamais le même. Une rotation se passe de manière naturelle, organique. »