La région de Coaticook a des centaines d’emplois à pourvoir. Mais elle manque de logements pour attirer et retenir les travailleurs. La situation est telle qu’une entreprise s’est lancée dans l’achat de maisons et la location d’appartements pour y loger ses nouveaux employés, recrutés jusqu’au Sénégal ou aux Philippines.

(Coaticook) « Nous embauchons ! »

« Il faut être créatif »

Dans le parc industriel comme au centre-ville de Coaticook, d’innombrables enseignes envoient le même message. Rue Child, le McDonald’s annonce une prime à l’embauche de 500 $ et un salaire de 17 $ l’heure.

  • Le McDonald’s de la rue Child, à Coaticook, tente de recruter des travailleurs.

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

    Le McDonald’s de la rue Child, à Coaticook, tente de recruter des travailleurs.

  • Une des nombreuses entreprises en quête de main-d’œuvre dans le parc industriel de Coaticook.

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    Une des nombreuses entreprises en quête de main-d’œuvre dans le parc industriel de Coaticook.

  • Une des nombreuses entreprises en quête de main-d’œuvre dans le parc industriel de Coaticook.

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    Une des nombreuses entreprises en quête de main-d’œuvre dans le parc industriel de Coaticook.

  • Une des nombreuses entreprises en quête de main-d’œuvre dans le parc industriel de Coaticook.

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    Une des nombreuses entreprises en quête de main-d’œuvre dans le parc industriel de Coaticook.

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Sur les ondes de CIGN FM, la radio locale, des commanditaires de l’émission du matin utilisent leur vitrine sonore. « Entreprise à la recherche de nouveaux talents proposant un environnement de travail dynamique et sécuritaire ! », clame Niedner. « Postulez en ligne ! », suggère RM Stator. « Contactez notre équipe de recrutement sans tarder, des postes sont disponibles », invite Cabico.

« On essaie de trouver des gens comme tout le monde, et tout le monde se les arrache », témoigne Annick Boulanger, vice-présidente talent et culture chez Cabico, un fabricant d’armoires haut de gamme sur mesure.

L’usine adjacente au siège social, récemment agrandie et dotée de systèmes informatiques intégrés, a bénéficié d’un investissement de 17 millions de dollars. L’espace lumineux fleure bon la planche fraîchement sciée. « Nos emplois sont accessibles, on a presque 50 % de femmes. On forme tout le monde », souligne Mme Boulanger.

Avec 308 employés à Coaticook et 336 à St. Catharines, en Ontario, Cabico réalise 100 millions de dollars de chiffre d’affaires par an. Ses plus gros clients sont aux États-Unis, où sont réalisées 75 % de ses ventes. Le reste des ventes sont réalisées au Canada, dont moins de 5 % au Québec.

Avec la pandémie, ses délais de livraison normaux de six semaines se sont étirés jusqu’à 28 semaines. Ils ont redescendu depuis, mais restent plus longs à cause du manque de main-d’œuvre — 12 semaines en moyenne « pour nos meilleurs clients », indique l’entreprise.

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Le siège social de Cabico, à Coaticook

« On a perdu des occasions. Heureusement, nos clients nous aiment, donc ils reviennent en majorité, mais si on avait la capacité, on pourrait facilement augmenter notre chiffre d’affaires parce que le marché est là », dit Mme Boulanger.

Cabico n’a pourtant pas lésiné sur les moyens. Les salaires ont été augmentés de 4 à 8 % par an depuis trois ans. Le taux horaire d’entrée, qui ne requiert aucune formation particulière, a fait un bond de plus de 12 % en 2022, passant de 17,80 $ à 20 $. Hélas, ça ne suffit pas.

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Annick Boulanger, vice-présidente talent et culture chez Cabico

J’ai des gens qui aimeraient déménager dans la région, mais ne peuvent pas, ils ne trouvent rien pour se loger, donc ils vont ailleurs. C’est vraiment un frein !

Annick Boulanger, vice-présidente talent et culture chez Cabico

À la MRC de Coaticook, on estime que le taux d’inoccupation sur le territoire est « pratiquement de zéro ». La demande de maisons et de terrains « dépasse l’offre de façon très importante », il manque de logements locatifs « pour toutes les clientèles » et le territoire fortement agricole compte peu de terrains disponibles pour la construction résidentielle, souligne une étude sur le logement publiée l’an dernier.

« Il faut être créatif », note Mme Boulanger.

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La ville de Coaticook, en Estrie

Trouver ailleurs

Il y a quelques années, Cabico a lancé une navette pour transporter des travailleurs de Sherbrooke prêts à faire le quart du soir. Un système « extrêmement coûteux », qui a perdu en popularité avec le temps puisque les cinq arrêts du trajet allongeaient considérablement la durée du transport, qui prend environ une demi-heure en voiture. Cabico vient de remplacer sa navette par une application de covoiturage, une solution visant à aider l’ensemble du personnel à réduire ses coûts de transport.

Et comme beaucoup d’entreprises québécoises, elle a commencé à chercher des renforts à l’étranger. Encore faut-il loger ces travailleurs, une responsabilité de l’employeur.

« Ç’a été vraiment compliqué », raconte Mme Boulanger.

Ne trouvant pas d’appartements à Coaticook, Cabico a fait des offres sur des maisons à rénover, qui lui ont échappé en surenchère.

Elle a finalement trouvé une occasion à Dixville, le village voisin, deux bungalows tout neufs bordés d’arbres matures. Une végétation qui a frappé la manœuvre Meugueu Diarra Sarr à son arrivée du Sénégal, en juin dernier.

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Meugueu Diarra Sarr

« À Dakar, les pins et les sapins, on ne les voit qu’aux fêtes de Noël, et ils sont artificiels », nous a expliqué Meugueu, rencontré sur les lieux avec deux de ses compatriotes à leur retour de l’usine.

Son collègue Djiby Dia, qui a grandi dans la campagne sénégalaise, à Guédé-Chantier, se sent dans son élément à Dixville, où habitent à peine plus de 700 personnes.

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Djiby Dia et Mamour Diouf, à l’arrière-plan

Un monsieur à l’entrée du village nous a montré son jardin. Nous, c’était comme ça : tout le monde se connaît.

Djiby Dia

Leur colocataire Mamour Diouf, qui a passé toute sa vie à Dakar, est plus dépaysé.

« Je suis plus habitué à faire des sorties. Ici, c’est grand, c’est beau, mais il n’y a pas tout ça », glisse Mamour en évoquant « l’ambiance de la ville », le « shopping », les « potes » et « les transports en commun faciles à avoir ».

Ne pas pouvoir loger ces travailleurs à Coaticook pose « un autre enjeu », confirme Mme Boulanger. L’usine est située à sept kilomètres de Dixville, où il n’y a pas de transports en commun, ni d’épicerie ou de restaurant. Pour l’instant, des employés de Cabico assurent le transport au travail et à l’épicerie des quatre Sénégalais arrivés à ce jour, mais lorsque les neuf autres attendus s’ajouteront, ce ne sera pas réaliste. Mme Boulanger tente de convaincre les jeunes hommes dans la vingtaine de suivre des cours de conduite.

Rajeunir une RPA

À Coaticook, l’enseigne du 161, rue Saint-Jean-Baptiste a disparu, mais un déambulateur rouge amarré près de l’entrée témoigne du passé récent de la résidence privée pour aînés (RPA) du Bel Âge.

« Quand on a su que ça fermait, on a tout de suite contacté le propriétaire », raconte Mme Boulanger. Cabico a réservé la majorité des unités disponibles, dans lesquelles elle logera ses 24 autres travailleurs étrangers embauchés aux Philippines, qu’elle espère voir arriver en novembre prochain.

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L’ancienne résidence pour aînés du Bel Âge, à Coaticook, où Cabico a loué des appartements pour des travailleurs philippins attendus en novembre.

Si ceux-là habiteront plus près, accueillir des travailleurs étrangers n’en reste pas moins exigeant.

Il a fallu faire faire des travaux pour avoir assez de chambres, acheter de la vaisselle et du linge de maison pour les bungalows de Dixville, y assembler les meubles. Les travailleurs arrivent « au compte-gouttes », ce qui multiplie les trajets pour aller les chercher à l’aéroport de Québec ou de Montréal, les accompagner pour leurs papiers, leurs achats de chaussures de sécurité et leur première épicerie. Et c’est sans compter toute la lourdeur administrative en amont pour les faire venir.

« C’est une job à temps plein et honnêtement, ça sort de notre cœur de métier. Pendant ce temps-là, je ne me concentre pas sur mes employés, sur le développement de la formation et des compétences. C’est de l’énergie que je ne mets pas ailleurs », déplore Mme Boulanger.

L’urgence de densifier

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Les maisons unifamiliales sont reines à Coaticook. La Ville souhaite qu’on y construise plus d’immeubles multilogements, destinés aux travailleurs d’usines. Ci-dessus, le site du développement des Érables, qui doit accueillir 254 logements.

Un peu avant le début de la pandémie, le maire de Coaticook, qui préside le comité de développement économique de la MRC, a fait la tournée des employeurs industriels du territoire pour connaître leurs besoins.

« Dans 100 % des cas, c’était la main-d’œuvre. “Les carnets de commandes sont pleins, trouve-moi du monde”, c’est ce qu’on entendait partout », relate Simon Madore.

La MRC compte encore près de 400 emplois industriels à pourvoir, estime-t-il. Mais comment attirer des travailleurs dans la région quand ils ne peuvent pas s’y installer ? Déjà, en 2015, le taux d’inoccupation n’était que de 1,1 % dans la MRC. Ça ne s’est évidemment pas amélioré.

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Valérie Bibeau, chargée de projet en habitation à la MRC de Coaticook

C’est difficile à quantifier parce qu’on n’a juste pas de logements ou de maisons à vendre. À partir du moment où le chiffre est pratiquement de zéro, c’est dur de dire combien il en manque.

Valérie Bibeau, chargée de projet en habitation à la MRC

La MRC a créé le poste de Mme Bibeau il y a un peu moins d’un an pour trouver des solutions. Mais le travail avait commencé, non sans ressac.

Pendant longtemps, la Ville de Coaticook a développé ses terrains vacants elle-même, en y faisant passer les rues et les services publics avant de vendre les lots à bâtir — majoritairement pour des unifamiliales. C’est ce qu’elle avait d’abord prévu pour le futur quartier des Érables, sur une ancienne carrière dont elle était propriétaire. Mais devant la flambée des coûts des infrastructures, les exigences de densification provinciales et son déficit de logements locatifs, la Ville a vendu le terrain au Groupe Custeau, de Sherbrooke, pour qu’il le développe en multilogements.

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Simon Madore, maire de Coaticook

« Je m’attendais à faire une soirée d’information et que tout le monde dise : “Wow ! Quel beau projet !” », raconte le maire, Simon Madore. La réaction a été tout autre.

Avant même cette soirée, tenue le 20 juillet dernier, des résidants inquiets de voir plus de 250 unités pousser derrière leurs maisons, dont des immeubles de 24 logements, ont commencé à protester.

« La revendication citoyenne est légitime. On a écouté, mais on ne peut pas dire oui à tout », a commenté le fondateur du Groupe Custeau, Denis Custeau, en entrevue téléphonique au début d’août. Les plans finaux n’étaient alors pas encore déposés, mais pour l’essentiel, la hauteur des bâtiments ira décroissant vers les rues résidentielles existantes, avec les immeubles de 24 logements sur quatre étages au centre, et une zone tampon boisée au pourtour.

Près de certaines maisons unifamiliales existantes, des immeubles d’abord prévus à trois étages seront réduits à deux, sans balcon arrière. L’ensemble du développement pourrait ainsi passer de 264 à 254 portes.

On ne fait pas d’autres compromis sur le nombre de logements. Ça répond à un besoin, qui n’est pas le besoin d’un citoyen, mais d’une ville. Le tissu économique de Coaticook dépend de son tissu industriel.

Denis Custeau, fondateur du Groupe Custeau

Le développeur ne construira pas les immeubles. La Ville ayant demandé que les terrains prêts à bâtir soient offerts en priorité aux entrepreneurs locaux, une soirée sera organisée à leur intention en septembre, indique le maire.

« Faut bâtir et ça urge. On est peut-être même un an ou deux trop tard », constate M. Madore.

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Site du développement immobilier des Érables, au bout de l’avenue des Érables, à Coaticook

« Densification douce »

Plus de 70 % du parc immobilier de la MRC est constitué de maisons unifamiliales isolées. Mais avec la hausse des coûts, ce type de propriété neuve se vendrait maintenant environ 470 000 $, signale Mme Bibeau.

Un employé d’usine qui gagne 18 $ l’heure ne va pas s’acheter une maison à 500 000 $. Si on veut répondre aux besoins nommés par nos citoyens et à nos besoins de main-d’œuvre, il faut répondre avec des logements adéquats.

Valérie Bibeau, chargée de projet en habitation à la MRC de Coaticook

Si la MRC offre « peu d’options, que ce soit pour l’achat ou la location », la rareté des logements à louer « a été soulevée comme le plus grand enjeu », montre une étude de l’Observatoire estrien du développement des communautés publiée l’an dernier. « Les nouvelles personnes qui arrivent dans la MRC cherchent souvent à louer, avant d’investir dans l’achat d’une propriété », indique le rapport.

Cette MRC très agricole compte toutefois peu de terrains disponibles. À Coaticook, par exemple, le site développé par le Groupe Custeau est le dernier terrain en zone blanche que possédait la Ville.

« On est dans la créativité, on développe plein d’astuces pour faire de la densification douce », dit Mme Bibeau.

Elle travaille avec les municipalités pour adapter leur réglementation, afin que les développements prévoient de la densité et du logement abordable, et que les zonages autorisent les maisons bigénérationnelles et le logement accessoire (une deuxième unité d’habitation sur le terrain d’une maison existante). Elle les aide aussi à développer des programmes pour subventionner leurs citoyens intéressés par ces formules, et approche des promoteurs ayant réalisé des projets à but non lucratif ailleurs.

« Idéalement », dit Mme Bibeau, il faudrait créer 415 portes, ou logements, par an pour les cinq prochaines années dans la MRC. « On veut des portes, mais qui vont répondre aux besoins des gens, aider à vitaliser nos centres-villes et aider nos entreprises », insiste-t-elle.

En savoir plus
  • 19 171
    Population de la MRC de Coaticook, qui inclut les 9070 habitants de la Ville de Coaticook
    Source : ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), 2021