Le projet de loi 22 sera adopté prochainement. Malgré quelques améliorations, des inconvénients majeurs persistent, soutiennent les opposants. Avocats et évaluateurs sont par ailleurs sur le qui-vive parce que le gouvernement du Québec a décidé de mettre en vigueur d’ici la fin de l’année la plus grande réforme touchant les règles d’expropriation en 40 ans.

« On va demander la création d’un comité de suivi pour voir quels sont les impacts de la loi sur les expropriés, propose Pierre Goudreau, président de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ), toujours très critique de la réforme. On veut s’assurer qu’à moyen terme, si on voit qu’il y a des articles qui n’ont vraiment pas d’allure, le gouvernement pourra modifier la loi en conséquence. »

Une initiative qu’appuie l’avocat Sylvain Bélair. Il défend des expropriés. Il a également présenté le mémoire du Barreau lors des consultations particulières sur le projet de loi.

« De mon côté, je donne une formation au Barreau canadien cette semaine », confie-t-il. Le besoin est pressant puisque la date de mise en vigueur de la nouvelle loi a été devancée.

De six mois après son adoption, la mise en vigueur de la réforme a en effet été devancée par la ministre Geneviève Guilbault à 30 jours, c’est-à-dire d’ici la fin de l’année.

« En consultation, 21 groupes nous ont demandé de devancer l’entrée en vigueur, écrit Léonie Bernard-Abel, attachée de presse de la ministre des Transports responsable du projet de loi. D’ailleurs, leur demande était que ce soit effectif dès la sanction. On a décidé de laisser un temps au Tribunal administratif du Québec et à tous les partenaires impliqués dans ce dossier pour ajuster leurs outils. »

Les évaluateurs agréés se sentent bousculés. « Avec la loi actuelle, si elle est passée telle quelle, on doit absolument amender nos normes de pratique parce que, sinon, nos experts évaluateurs vont devoir travailler contre leurs normes de pratique, ça vous donne une idée », fait remarquer le président de l’OEAQ.

Le projet de loi 22 a pour objectif de donner plus de prévisibilité au sujet des indemnités à verser en cas d’expropriation et de réduire les délais.

En vertu de la réforme, l’indemnité immobilière à verser à l’exproprié devra être composée de la valeur marchande de la propriété à laquelle s’ajoutent une série d’indemnités, certaines plafonnées, pour compenser les préjudices.

En comparaison, les règles en vigueur depuis 40 ans en matière d’expropriation déterminent d’abord l’usage le meilleur et le plus profitable de la propriété et fixent ensuite l’indemnité sur la base de l’utilisation optimale de la valeur au propriétaire. De plus, le préjudice directement subi est pleinement compensé.

L’étude détaillée du projet de loi en commission parlementaire s’est terminée le 9 novembre. Voici les motifs d’insatisfaction qui demeurent, selon les opposants, et les principales bonifications au projet de loi.

Valeur marchande à l’avis d’expropriation

Dans le cas du propriétaire d’une résidence unifamiliale, le projet de loi fixe l’indemnité non plus à la date de dépossession, comme le prévoit la loi actuelle, mais à la date de l’avis d’expropriation, à l’article 86, un inconvénient majeur selon Pierre Goudreau.

« Imaginons un instant un avis d’expropriation transmis au début d’un projet d’infrastructure de transport public en 2019 et une prise de possession de la résidence en 2023, explique MNikolas Blanchette, de Fasken. Il représente des expropriés. Le propriétaire sera forcé de vendre sa résidence au prix de 2019 pour s’en racheter une autre au prix de 2023. Le manque à gagner paraît évident. »

Les articles 102 et 103 viennent exclure une série de dommages causant un préjudice découlant de l’expropriation comme la perte de bénéfice à la suite de celle-ci.

Pour MBlanchette, les articles 75 et 76 n’excluent pas qu’un corps expropriant associe le concept de valeur marchande au coût d’acquisition historique. « Certaines représentations faites par des avocats de corps publics suggèrent que c’est le coût d’acquisition historique qu’on doit payer et non pas la valeur marchande », dit-il.

Principales modifications

L’article 94 a été retiré. Il plafonnait arbitrairement à 135 % de la valeur marchande l’indemnité à verser dans un cas de réaménagement ou de déménagement à la suite d’une expropriation. « On avait de très grandes inquiétudes à l’endroit du projet de loi [dans sa forme initiale], il était extrêmement préjudiciable pour les producteurs agricoles, répond Charles-Félix Ross, DG l’Union des producteurs agricoles. Dans sa forme actuelle, le projet de loi est beaucoup moins préjudiciable. »

Les articles 170 et 171 portant sur le recours en matière d’expropriation déguisée ont été retirés du projet de loi, mais la ministre Geneviève Guilbault a indiqué que ceux-ci vont refaire surface dans un prochain projet de la loi de la ministre des Affaires municipales.

Ces articles permettaient à une Ville ayant fait de l’expropriation déguisée (en changeant le zonage pour empêcher tout développement) de simplement modifier a posteriori le règlement de zonage visé par la décision de la Cour au lieu de payer au propriétaire l’indemnité décidée par le Tribunal.

Le plafond prévu à certaines indemnités a été revu à la hausse. Ainsi, la valeur de convenance (résidentielle seulement) est passée à un maximum de 30 000 $ et l’indemnité pour troubles et ennuis à 10 000 $.