Un jeudi sur deux, La Presse propose un retour sur ce qui retient l’attention dans le domaine de l’immobilier résidentiel et commercial.

Québec est resté impassible quand la société Iffco a mis en vente son immense terrain à Bécancour en 2021 au moment pourtant où la filière batterie prenait forme. Il a corrigé son erreur deux ans plus tard en rachetant les lots de spéculateurs, mais il a dû débourser 50 millions de plus.

En février et en novembre 2023, la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour (SPIPB), laquelle appartient au gouvernement québécois, a payé 54,7 millions pour acquérir trois lots qui avaient été vendus précédemment à un investisseur privé pour seulement 5,9 millions pas plus tard qu’en mai 2021.

Quand la coopérative indienne Iffco a mis les lots de près de 2 millions de mètres carrés sur le marché en 2021, le gouvernement Legault travaillait pourtant à sa stratégie destinée à créer une filière batterie depuis un moment. Qui plus est, Nouveau Monde Graphite avait déjà annoncé son arrivée à Bécancour en octobre 2020 pour produire du graphite purifié de qualité batterie.

« En 2021, la filière batterie était en réflexion. Elle n’était pas lancée officiellement, explique aujourd’hui Donald Oliver, PDG de la SPIPB depuis mai 2022. À ce moment-là, le parc ne manquait pas de terrains disponibles. La question d’en rajouter un de plus se posait. Il y a aussi l’aspect financier », ajoute-t-il, laissant entendre que le parc n’avait peut-être pas l’argent disponible pour procéder au rachat en 2021. Ce n’est qu’en juin 2022 que Québec a autorisé une injection de 500 millions dans le capital de la SPIPB.

Le parc industriel de propriété provinciale est devenu le cœur de la filière batterie destinée aux véhicules électriques. Actuellement, trois usines totalisant près de 3 milliards d’investissements sont en construction à Bécancour, soit Ford, GM-Posco et Nemaska Lithium. Et la SPIPB met les bouchées doubles pour s’assurer de pouvoir accueillir les industriels souhaitant intégrer la filière.

Le 23 novembre dernier, la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour (SPIPB) a acquis de la société 9409-4927 Québec inc. un ancien terrain d’Iffco de près de 1 million de mètres carrés (10 millions de pieds carrés) pour la somme de 36,2 millions, permettant au vendeur de réaliser un beau gain en capital sur papier.

Si on achète ce terrain, c’est parce qu’on pense faire atterrir de nouveaux projets. Il y a beaucoup d’opportunités que l’on regarde. On n’a pas surpayé pour le terrain, se défend-il. C’est un prix bien raisonnable pour un terrain industriel déjà desservi par les services municipaux. Quand on se positionne sur le prix à payer, on pense au prix auquel on croit pouvoir le revendre. On ne prévoit pas perdre des sous avec ce terrain.

Donald Olivier, PDG de la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour

Selon ses dires, 90 % du terrain peut être aménagé.

Quelques mois auparavant, fin février 2023, la SPIB avait encore joué aux acheteurs. Elle avait allongé 18,5 millions pour deux lots qui avaient appartenu à Iffco et totalisaient environ 890 000 m⁠2. L’un d’eux, de 330 000 m⁠2, aura un usage industriel. Le second terrain, de 560 000 m⁠2, servira à des fins de conservation.

En mai 2021, c’est une jeune pousse de Terrebonne qui n’avait pas vraiment de revenus d’exploitation, Loop Canada, qui avait acquis les terrains de la coopérative indienne Iffco pour 5,9 millions. Opportuniste, Loop a d’abord revendu une partie du terrain à 9409-4927 Québec inc. pour 12 millions en août 2022, selon l’acte de vente. Ensuite, Loop a vendu le restant du terrain à SPIPB pour 18,5 millions en février 2023.

Présidée par Daniel Solomita, Loop ambitionne de recycler les plastiques à usage unique, mais la réalisation de son plan d’affaires est constamment retardée. À l’époque, la société affirmait que le terrain acheté à Bécancour devait accueillir sa première usine commerciale. La taille du terrain n’avait aucune commune mesure avec ses besoins industriels immédiats.

Loop a fait un gain de 25 millions en moins de deux ans avec ses transactions foncières dans le parc industriel de Bécancour.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jeune pousse qui n’avait pas vraiment de revenus en provenance de l’exploitation, Loop Canada a fait un gain de 25 millions en moins de deux avec ses transactions foncières dans le parc industriel de Bécancour. Sur la photo, son président Daniel Solomita.

La filière batterie fait des heureux parmi les propriétaires fonciers

À Daniel Solomita, il faut ajouter les Luc Poirier, Jean Shoiry et Aaron Drazin à la liste des heureux propriétaires fonciers que la filière batterie a enrichis à coups de millions de dollars.

À eux quatre, ils se sont partagé une plus-value de 286 millions depuis deux ans en vendant leurs lots à l’un ou l’autre des acteurs de la filière batterie.

Luc Poirier et ses partenaires ont vendu leur terrain de McMasterville et de Saint-Basile-le-Grand pour 240 millions au cellulier suédois Northvolt. Ils l’avaient payé 20 millions en 2015. Jean Shoiry a vendu le parc industriel LaPrade voisin du parc industriel de Bécancour 19 millions. Il en était devenu le maître des lieux en 2016 en déboursant 2 millions.

Quant au magnat de l’immobilier Aaron Drazin, propriétaire notamment d’Immeubles Crest, il détient la société à numéro qui a réalisé une plus-value potentielle de 24,2 millions en revendant (« flippant ») un ancien lot d’Iffco du parc industriel de Bécancour que la société à numéro avait acquis 15 mois plus tôt.

Quand cette société a acquis ce lot des mains de Loop Canada en août 2022 pour 12 millions, son propriétaire était Abe Leimzider, de Boisbriand. Aaron Drazin l’a remplacé un mois plus tard, selon les renseignements du registre des entreprises du Québec.

« On l’a acheté pour beaucoup plus que 12 millions. Ça, c’est ce qui est enregistré. Il y a eu d’autres considérations dans cette transaction-là », explique au téléphone Michel Lapointe, représentant de la société à numéro. C’est la société de M. Drazin, Immeubles Crest, qui nous a mis en contact avec Michel Lapointe.

Ce dernier s’est dit mal à l’aise de dévoiler le montant des autres considérations ou à qui elles avaient été payées, justifiant qu’il travaillait pour une entreprise privée. M. Lapointe a qualifié M. Leimzider de « partenaire dans la transaction ».