Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $.

Dans ce quatrième rendez-vous en 2022, ces experts reviennent brièvement sur les évènements qui ont marqué le troisième trimestre sur les marchés financiers et décrivent leurs perspectives pour la suite.

Nos experts calibrent aussi leur répartition d’actifs pour le quatrième et dernier trimestre de 2022 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence. C’est-à-dire établi à 60 % en actions et 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

Quels constats tirer du troisième trimestre ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

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Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« La volatilité qui a prévalu au troisième trimestre sur les marchés financiers était alimentée par les craintes accrues de récession, en conséquence des efforts soutenus des banques centrales pour lutter contre l’inflation élevée. Les marchés d’actions et de titres à revenu fixe ont évolué en tandem et ils ont prolongé leur profond cycle baissier, ce qui a laissé peu d’options aux investisseurs pour se protéger de l’intensification des risques sur les marchés financiers.

« Ainsi, les marchés boursiers mondiaux ont enregistré leur troisième trimestre consécutif de pertes. Il s’agit de la plus longue séquence baissière en Bourse depuis la crise financière mondiale de 2008.

« Quant aux marchés des titres obligataires, ils ont également reculé au fur et à mesure que les principales banques centrales intensifiaient leurs efforts pour endiguer les pressions inflationnistes les plus fortes depuis quatre décennies. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

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Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« La volatilité persistante des marchés financiers au troisième trimestre provenait surtout des investisseurs “à lunettes roses” qui se sont encore fait surprendre par les déclarations fermes des banques centrales, à commencer par la Réserve fédérale américaine (Fed), afin de juguler l’inflation élevée.

« Ces investisseurs semblent aussi avoir été surpris par la détérioration accélérée des principaux indicateurs de conjoncture économique. Tant ceux à court terme comme la forte remontée des taux d’intérêt, la guerre en Ukraine et la crise énergétique en Europe, que ceux à moyen terme comme la “déglobalisation de l’économie” ainsi que l’impact grandissant des enjeux environnementaux. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

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Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« C’est un véritable tour de montagnes russes que les marchés ont offert aux investisseurs. Après une forte ascension pour les actions en première moitié de trimestre, la descente amorcée à la fin du mois d’août s’est accélérée en septembre, amenant ainsi la vaste majorité des actifs en territoire négatif pour le troisième trimestre consécutif.

« En fin de trimestre, en septembre, l’indice S&P 500 de la Bourse américaine a enregistré un nouveau creux en 2022 ; les taux de rendement obligataires aux États-Unis (échéance 10 ans) ont testé le seuil de 4 % pour la première fois depuis 2010 ; et la valeur du dollar américain a atteint un sommet en 37 ans face aux principales devises de l’économie mondiale.

« De toute évidence, cette volatilité reflète la nervosité des marchés financiers à l’égard du resserrement monétaire accéléré des principales banques centrales, en particulier de la Réserve fédérale, afin de contrer l’inflation trop élevée. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

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Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« La volatilité accrue au troisième trimestre a touché toutes les classes d’actifs négociables dans les marchés financiers, tant les actions que les obligations, ainsi que les devises, les matières premières et l’énergie.

« La confiance des investisseurs s’est détériorée alors que les principales banques centrales du monde accentuaient leur lutte contre l’inflation avec le resserrement de leur politique monétaire. En particulier aux États-Unis, où la Fed a relevé son taux directeur de 150 points de base (1,5 %) sur la période de trois mois.

« Dans un tel contexte de détérioration des fondamentaux de l’économie, le rebond des marchés boursiers de la mi-juin à la mi-août s’est avéré de courte durée.

« Ainsi, en septembre, l’indice boursier mondial (MSCI AC World) a effacé en moins d’un mois tous les gains réalisés au cours du trimestre débuté en juillet.

« En contrepartie, pour les investisseurs nord-américains, l’indice S&P 500 de la Bourse américaine est parvenu à surclasser la plupart des principaux marchés au troisième trimestre, y compris le S&P/TSX au Canada. De plus, jusqu’à présent cette année, les marchés boursiers aux États-Unis et au Canada sont en tête parmi les composantes de l’indice boursier mondial. »

Quelles perspectives pour la suite ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« La guerre en Ukraine et la crise énergétique en Europe, les restrictions de pandémie toujours en place en Chine, l’inflation élevée et les politiques restrictives des banques centrales pour la maîtriser composent un tableau sombre de l’économie mondiale. Malgré la rechute des prix de certaines matières premières, il y a très peu de signes d’un ralentissement significatif de l’inflation “de base”, qui semble plutôt s’enraciner.

« Les banques centrales sont aux prises avec la tâche ardue de réduire la demande pour lutter contre l’inflation, mais sans plonger leur économie dans une récession.

« J’anticipe que les taux d’intérêt devront augmenter encore plus pour étouffer l’inflation. Et que les banques centrales auront du mal à ramener l’inflation au niveau qu’elles souhaitent sans infliger de graves dommages à l’économie. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Dans mes perspectives de marchés, il y a trois éléments qui me préoccupent en particulier quant à leur faible niveau de considération parmi les investisseurs.

« D’une part, malgré une récente détente, il est possible que l’inflation s’entête à un niveau trop élevé que celui souhaité par les banques centrales, au point de motiver d’autres hausses de taux d’intérêt.

« En deuxième lieu, l’économie mondiale montre déjà un ralentissement plus marqué que ce qui était anticipé jusqu’à récemment. L’Europe est en récession et l’Amérique du Nord s’y dirige plus rapidement que les marchés s’y attendent.

« Enfin, malgré quelques légers ajustements à la baisse, les prévisions de bénéfices des entreprises en Bourse américaine par les analystes demeurent en croissance d’environ 6 % en fin d’année, et de l’ordre de 14 % pour l’an prochain. Or, d’habitude en récession, les bénéfices des entreprises peuvent baisser jusqu’à 25 % en comparaison annualisée. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Pour contrer l’inflation devenue trop élevée, une stratégie monétaire aussi tenace de la part des principales banques centrales a de très bonnes chances de fonctionner.

« Toutefois, une telle stratégie n’est pas sans risque pour l’économie. Et comme les mesures d’inflation sont généralement en retard sur le cycle économique, cela revient à conduire en regardant surtout dans le rétroviseur.

« Dans ce contexte, je considère qu’un détour de l’économie par la récession est de plus en plus probable.

« Quant aux perspectives des marchés financiers, même si j’estime que la Fed pourrait difficilement être plus agressive avec les taux d’intérêt qu’elle ne l’est déjà, je considère qu’un éventuel rebond durable en Bourse demeure conditionnel à une baisse de croissance des bénéfices des entreprises et à un plafonnement confirmé des hausses de taux parmi les principales banques centrales.

« Or, ces conditions ne sont toujours pas en place au-delà des “rebonds techniques” qui peuvent survenir à très court terme. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Le sentiment courant des investisseurs est pour le moins médiocre. Mais leur positionnement moyen en portefeuille n’indique pas encore qu’ils soient sur le point de capituler et de jeter l’éponge.

« Si une récession devait se produire, ce qui est très probable à mon avis, nous pourrions voir d’autres dommages dans les marchés financiers. Entre-temps, je constate que les estimations de bénéfices des entreprises continuent de chuter, et les indications sur les attentes de prochains bénéfices restent faibles.

« De plus, le niveau de confiance des dirigeants d’entreprise est revenu à son plus bas niveau depuis la pandémie.

« Avec la détérioration des indicateurs macroéconomiques, ces conditions d’affaires risquent encore d’engendrer beaucoup de vents contraires sur les marchés boursiers au cours des prochains mois. »

Où en est votre répartition d’actifs ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Le risque croissant d’un scénario de ralentissement brutal de l’économie justifie une position défensive en matière d’allocation d’actifs en portefeuille. Les perspectives pour les actions restent défavorables compte tenu du risque croissant de récession qui pourrait provoquer une baisse significative des bénéfices des entreprises.

« Un dur freinage de l’économie et une révision baissière des prévisions de bénéfices pourraient ouvrir la voie à un autre épisode baissier sur les marchés financiers.

« Dans ce contexte, j’accentue ma sous-pondération en actions de 60 % à 50 % [NDLR : le minimum autorisé par rapport au portefeuille équilibré de référence], tout en rehaussant ma surpondération en liquidités [encaisse] de 15 % à 25 %. L’encaisse est de plus en plus attrayante au fur et à mesure que les banques centrales augmentent les taux d’intérêt.

« En contrepartie, je maintiens une sous-pondération en obligations. Avec l’inflation élevée et des banques centrales qui continuent d’augmenter les taux, la trajectoire des taux obligataires demeure défavorable à la valeur des obligations déjà mises en marché. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Tous les principaux indicateurs de marché que je surveille, comme les moyennes mobiles des principaux indices boursiers, m’envoient encore des signaux défensifs en matière de répartition d’actifs.

« Par conséquent, je remanie ma répartition en actions [par rapport au portefeuille équilibré de référence] en réduisant ma surpondération en actions canadiennes [de 35 % à 31 %]. Je considère que la Bourse canadienne est plus exposée à l’impact d’un ralentissement marqué de l’économie sur les secteurs des matières premières, de l’énergie et des industries exportatrices.

« Aussi, j’accentue ma sous-pondération en actions internationales [EAEO, de 5 % à 2 %] et en actions des marchés émergents [de 2 % à 1 %] en raison de l’impact du ralentissement économique mondial sur leurs entreprises et de la force du dollar américain sur leurs coûts financiers.

« En contrepartie, j’accentue fortement ma surpondération en actions américaines [de 23 % à 31 %] afin de profiter de l’effet de [valeur refuge] de la Bourse américaine et du dollar américain dans un contexte d’inquiétudes économiques mondiales. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« La perspective d’une volatilité persistante en Bourse selon l’évolution de l’inflation, des politiques monétaires et de la conjoncture économique justifie le maintien d’une répartition d’actifs “défensive” en portefeuille.

« J’ai un œil sur les obligations dont le rendement devient de plus en plus attrayant en conséquence de la forte remontée des taux d’intérêt. C’est ce qui motive la hausse de ma répartition en obligations dans le portefeuille fictif [de 30 % à 34 %] alors que j’abaisse ma répartition totale en actions [de 63 % à 59 %] en légère sous-pondération par rapport au portefeuille équilibré de référence.

« Dans la répartition en actions, je maintiens ma surpondération en actions canadiennes [23 %], mais j’abaisse légèrement mes répartitions en actions américaines [de 21 % à 20 %], en actions internationales [EAEO, de 13 % à 11 %] et en actions des marchés émergents [de 6 % à 5 %].

« Je considère que la conjoncture économique au Canada et aux États-Unis demeure correcte en comparaison de ce qui se trame en Europe avec la crise énergétique, ainsi que dans les marchés émergents avec l’impact financier d’une forte hausse de la valeur du dollar américain. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Dans un contexte aussi mouvant, mon plan de match est de rester prudent et de suivre l’évolution des bénéfices des entreprises et la stabilisation des principaux indicateurs macroéconomiques.

« Dans le portefeuille fictif, je réduis ma répartition en actions [de 60 % à 57 %] qui passe ainsi en sous-pondération par rapport au portefeuille équilibré de référence. En contrepartie, j’amplifie ma surpondération en encaisse [de 10 % à 15 %] et j’accentue ma sous-pondération en obligations [de 30 % à 28 %].

« Dans la répartition en actions, j’atténue ma surpondération en actions canadiennes [de 25 % à 23 %], mais j’accrois ma surpondération en actions américaines [de 21 % à 23 %] afin de profiter de la situation de “marché refuge” de la Bourse américaine en période trouble dans l’économie mondiale.

« Dans les marchés d’outre-mer, en raison surtout de la situation très problématique en Europe, j’accentue ma sous-pondération en actions internationales [EAEO, de 11 % à 10 %], ainsi que ma sous-pondération en actions des marchés émergents [de 3 % à 1 %]. »