Après une année 2022 tumultueuse sur les marchés financiers, marquée par un très rare repli simultané des valeurs d’actions et d’obligations, comment se profilent les perspectives d’investissement pour les premiers mois de 2023 ? C’est le moment du tour d’horizon trimestriel avec les experts du Portefeuille fictif de La Presse.

Des signes de mauvais augure pour les prochains mois

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $.

Dans ce premier rendez-vous de 2023, ces experts reviennent brièvement sur le quatrième trimestre de 2022, et ils décrivent leurs perspectives pour la suite sur les marchés financiers d’investissement. Ensuite, ils calibrent leur répartition d’actifs individuelle pour le premier trimestre de 2023 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence, c’est-à-dire établi à 60 % en actions et 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

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La hausse des prix se reflète directement en épicerie.

Quels constats au quatrième trimestre ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

PHOTO FOURNIE PAR FIERA CAPITAL

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Au terme d’une année 2022 marquée par une forte hausse des taux d’intérêt par les banques centrales afin de freiner l’inflation la plus élevée en 40 ans, et des marchés d’actions et d’obligations montrant tous deux des rendements négatifs comme on n’en avait jamais vu en 50 ans, les investisseurs ont obtenu un répit bien mérité au quatrième trimestre.

« En fait, dès les premiers signes d’un ralentissement de l’inflation, les investisseurs en ont déduit que le resserrement des taux d’intérêt le plus agressif depuis des décennies pourrait toucher à sa fin, ce qui a déclenché un rebond de soulagement sur les marchés boursiers et obligataires.

« Pour la suite, les investisseurs semblent miser sur un scénario économique d’une légère récession qui serait suivie d’un repli des taux d’intérêt en fin d’année 2023. Mais ce scénario me semble peu probable pour le moment. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

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Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

« Le quatrième trimestre a été marqué par un rebond marqué des principaux indices boursiers aux États-Unis et au Canada. Et comme j’avais amorcé ce trimestre avec une surpondération en actions canadiennes et américaines [par rapport au portefeuille équilibré de référence], ce rebond s’est avéré positif pour conclure une année difficile dans les marchés financiers.

« Par ailleurs, ma plus grande surprise durant ce quatrième trimestre a été le rebond considérable sur les bourses d’Europe et du Japon, ainsi que dans certains pays d’économie émergente. Comme j’étais très sous-pondéré dans ces marchés, je suis complètement passé à côté de ce rebond pour mon rendement du trimestre. D’ailleurs, je n’ai toujours pas trouvé d’explication à ce rebond, considérant la situation de crise de l’énergie et de guerre en Ukraine qui perdure en Europe. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

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Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Je retiens deux points forts du quatrième trimestre de 2022. D’une part, ce fut la vitalité du rebond des marchés boursiers en Europe en dépit des tensions géopolitiques et des risques économiques qui persistent dans la région avec la guerre en Ukraine. D’autre part, les premiers signes d’un essoufflement de l’inflation dans l’économie ont alimenté les attentes des investisseurs envers un prochain plafonnement des hausses de taux d’intérêt par les banques centrales.

« D’ailleurs, l’histoire des marchés financiers tend à démontrer qu’une pause dans un cycle de hausses de taux est généralement une bonne nouvelle. Depuis les années 1970, aucun marché baissier en Bourse ne s’est conclu sans que la Fed [Réserve fédérale américaine] ait d’abord abaissé son taux cible. »

Hugo Ste-Marie, directeur de la stratégie de portefeuille et de l’analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

PHOTO FOURNIE PAR BANQUE SCOTIA MARCHÉS MONDIAUX

Hugo Ste-Marie, directeur de la stratégie de portefeuille et de l’analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Les marchés boursiers au Canada et aux États-Unis ont connu un bon rebond au quatrième trimestre. Les marchés européens ont aussi surpris avec un rebond substantiel, même en excluant l’impact des taux de change.

« Cela dit, ces meilleurs rendements en Bourse au quatrième trimestre n’ont pas suffi à contrebalancer une année très décevante sur les marchés financiers. En fait, pour la première fois en 50 ans, même les investisseurs prudents ont subi des pertes simultanées tant en actions que dans le marché obligataire.

« Mince consolation pour les investisseurs canadiens : grâce au rendement positif du secteur de l’énergie, l’indice S&P/TSX de la Bourse canadienne a fait moins mauvaise figure (- 5,8 %) que l’indice S&P 500 de la Bourse américaine (- 12 %). »

Quelles perspectives pour le début de 2023 ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Les perspectives économiques demeurent sombres, avec un important risque de récession dont l’importance dépendra de la tournure de l’inflation et de la politique de taux d’intérêt.

« Pour les investisseurs en Bourse, je pense qu’il est prématuré de s’attendre à une pause ou à un revirement de la campagne de resserrement des taux d’intérêt, alors que la bataille des banques centrales contre l’inflation est loin d’être terminée.

« En fait, les décideurs [en matière de politique monétaire] cherchent encore des preuves convaincantes d’un ralentissement de l’inflation de base [salaires, services, logement] avant de déterminer la suite du resserrement des taux d’intérêt et de leur maintien à un niveau plus élevé. Un tel contexte demeure de mauvais augure pour les marchés financiers au cours des prochains mois. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

« Je constate que les marchés boursiers en Amérique du Nord sont revenus à une valorisation “parfaite” basée sur l’anticipation d’un prochain repli de l’inflation et d’un plafonnement des taux d’intérêt, ainsi que d’une récession relativement modeste.

« Or [j’estime] que les marchés boursiers demeurent vulnérables à la moindre mauvaise nouvelle. Ça pourrait être une inflation plus tenace que prévu et une récession plus importante qu’anticipé. Ou encore un marché du travail qui perdrait rapidement son erre d’aller, à commencer par un repli des offres d’emploi.

« Entre-temps, les investisseurs boursiers semblent encore optimistes quant à la bonne continuité des bénéfices des entreprises, avec peu de considération pour le risque d’impact d’un ralentissement économique plus marqué. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Il y a encore beaucoup de questions de perspectives économiques à court terme : allons-nous vers un simple ralentissement, une récession légère ou, pire, une récession pire qu’attendu dans les marchés financiers ?

« Pour ma part, je garde un œil attentif sur l’évolution du marché du travail, en particulier le nombre d’offres d’emploi. Parce que c’est là que l’on pourrait voir les premiers signes d’un ralentissement de l’économie plus accentué que prévu. Et ce, avant les mises à pied que les employeurs pourraient vouloir réduire au minimum dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre compétente.

« En Bourse, je me méfie du risque d’un autre épisode baissier à court terme, avant même que les investisseurs soient confrontés à une baisse réelle des prévisions de bénéfices des entreprises. »

Hugo Ste-Marie, directeur de la stratégie de portefeuille et de l’analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« La prudence demeure de mise sur les marchés financiers alors qu’une récession pointe à l’horizon et que l’économie n’a pas encore subi le plein impact des récentes hausses de taux par les banques centrales en Amérique du Nord et en Europe. Aussi, je considère que le sentiment des investisseurs en Bourse à propos des prochains bénéfices d’entreprises demeure trop optimiste.

« Par conséquent, les marchés financiers sont à risque de réactions négatives lors des prochaines annonces de résultats trimestriels de fin d’année 2022, qui seront sans doute accompagnées d’une vague de révisions baissières des attentes de bénéfices pour les prochains trimestres.

« Par exemple, le sentiment courant en Bourse s’appuie sur une hausse annualisée de 3 % ou 4 % des prochains bénéfices, alors que je m’attends à un repli de l’ordre de 10 % en raison de l’impact combiné de l’inflation des coûts de production – les salaires surtout – et du ralentissement de la demande sur la marge bénéficiaire des entreprises. »

Où en est votre répartition d’actifs ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Le risque croissant de récession justifie le maintien d’une position défensive dans l’allocation d’actifs en portefeuille. À mon avis, la prochaine étape du marché baissier en Bourse dépend de la gravité de la récession et de son effet sur les bénéfices des entreprises. Or, ces facteurs négatifs ne sont pas encore suffisamment pris en compte par les investisseurs.

« Dans ce contexte, je maintiens une sous-pondération importante en actions [à 50 % comparativement à 60 % dans le portefeuille équilibré de référence]. Je maintiens également une sous-pondération en obligations. Avec l’inflation encore élevée, et des banques centrales qui priorisent la lutte contre l’inflation, la trajectoire des rendements obligataires [taux d’intérêt] pourrait encore s’élever, ce qui exposerait les marchés obligataires à d’autres baisses de valeur.

« Enfin, je maintiens une surpondération importante en liquidités [encaisse]. Elles sont redevenues attrayantes au fur et à mesure que les banques centrales augmentaient les taux d’intérêt. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

« Les nombreuses questions sur la conjoncture économique des prochains mois m’amènent à une répartition d’actifs un peu “beige” et prudente en ce début d’année 2023. Donc, j’abaisse ma répartition générale en actions à un niveau de sous-pondération [55 %] par rapport au portefeuille équilibré de référence.

« J’accentue ma surpondération déjà importante en encaisse [liquidités], qui passe de 16 % à 20 %. Aussi, avec la perspective d’un plafonnement des taux d’intérêt et d’un rebond du marché obligataire, je rehausse ma pondération en obligations à 25 %, mais encore sous le niveau de 35 % dans le portefeuille de référence.

« Dans ma portion en actions, parce que je considère les actions nord-américaines comme hautement valorisées en regard des incertitudes de conjoncture économique, j’abaisse ma répartition en actions canadiennes et américaines à un niveau neutre [20 % respectivement].

« À l’international, je corrige ma sous-pondération dans les marchés d’économies développées en Europe et en Asie-Pacifique [EAEO], qui passe à 12 % pour le premier trimestre 2023. En particulier, malgré le rebond surprise des derniers mois, et la persistance de facteurs négatifs comme la guerre en Ukraine et la crise de l’énergie, je considère que les actions européennes demeurent moins [onéreuses] que les actions nord-américaines. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Je constate une certaine complaisance dans les marchés financiers envers le risque que le ralentissement économique s’avère plus important qu’anticipé. Par conséquent, je demeure prudent dans la répartition d’actifs en portefeuille. Je maintiens ma surpondération en encaisse [à 7 % comparativement à 5 % pour le portefeuille équilibré de référence] et je neutralise ma sous-pondération en obligations [à 35 %].

« Du côté des actions, j’accentue ma sous-pondération générale [à 58 %] en réduisant surtout la portion en actions canadiennes [à 21 %] alors que je conserve une pondération neutre en actions américaines [à 20 %]. J’estime que la surperformance des actions canadiennes en 2022 a atteint son apogée avec la fin d’un cycle économique favorable à l’énergie et aux matières premières. En comparaison, la Bourse américaine est mieux représentée dans les secteurs plus défensifs en cas de récession pire que prévu. »

Hugo Ste-Marie, directeur de la stratégie de portefeuille et de l’analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« J’amorce l’année 2023 avec prudence en raison des nombreuses incertitudes concernant la conjoncture économique et l’évolution des prochains résultats des entreprises. Par conséquent, j’apporte très peu de changements à ma répartition d’actifs pour le premier trimestre, tout en restant prêt en cas de nouveau repli en Bourse pour saisir des occasions d’achat de titres déjà en surveillance.

« Ainsi, je conserve une surpondération significative en encaisse [15 % par rapport à 5 % dans le portefeuille équilibré de référence] et je maintiens une sous-pondération en obligations, en attendant la suite des hausses des taux d’intérêt par les banques centrales.

« Du côté des actions, je conserve une légère sous-pondération générale [58 %]. Je maintiens les actions canadiennes à 23 % en raison des perspectives encore favorables dans les secteurs de l’énergie et des matériaux. En contrepartie, je neutralise ma pondération en actions américaines [à 20 %] pour deux raisons.

« D’abord, avec l’indice S&P 500 à un multiple de 17 fois le profit par action anticipé en 2023, la Bourse américaine demeure surévaluée par rapport à sa moyenne historique [environ 15 fois], mais aussi par rapport à tous les principaux marchés des économies développées. Ensuite, les attentes de profit par action en Bourse américaine demeurent trop optimistes par rapport au risque d’essoufflement des résultats des entreprises en cas de récession importante et d’une inflation persistante dans leurs coûts de main-d’œuvre. »